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Pourquoi les banquiers ont intérêt à enfreindre les normes sociales

Rascals ! Hyènes ! Magnats ! Tels sont quelques-uns des qualificatifs peu amènes que les grands médias américains utilisent pour désigner les banquiers. Si la crise est passée par là, l’opprobre public qui touche le secteur de la banque d’investissement n’a pas faibli depuis 2008. Et pourtant, les vocations pour les métiers de la finance restent nombreuses et la force d’attraction des grandes banques d’investissement américaines auprès des jeunes diplômés ne faiblit pas non plus, que ce soit aux États-Unis ou en Grande Bretagne.

Comment expliquer cette différence entre la perception des banques d’investissement et l'attrait des métiers qui y sont associés ?

Dans une étude intitulée « Qu’il est bon d’être méchant » et publiée dans la Revue Française de Gestion, je rends compte de ce phénomène paradoxal ; en combinant l’étude de grandes quantités de données et des méthodes d’analyse de contenu, je montre que plus les banques américaines sont attaquées par les médias… plus elles sont considérées comme prestigieuses par leurs pairs !

Deux mécanismes sont à l’oeuvre. Tout d’abord, ce sont surtout les pratiques les plus courantes de cette industrie qui sont critiquées par les grands médias américains; comme par exemple les montants des bonus ou la prise de risque poussée à l’extrême. Ces pratiques ont progressivement émergées pendant les années 80 alors que la « théorie de l’agence » devenait centrale dans la façon dont les entreprises se structuraient : cette théorie suggère que les employés doivent être incités financièrement et individuellement à prendre des risques pour maximiser la valeur produite. Au-delà de la validité que l’on peut accorder à une telle approche, elle fournit un jeu d’argument cohérent que les banques utilisent pour justifier leurs pratiques. Mais dans le contexte de la crise financière, ces comportements ont commencé à choquer l’opinion publique.

Pointer du doigt les grandes banques qui s’engagent dans de telles pratiques ne fait pourtant que montrer aux autres parties prenantes et audiences à quel point elles reflètent les valeurs centrales de cette industrie. Par ailleurs, les employés du secteur ont tendance à serrer les coudes et à s’identifier aux banques qui sont les plus décriées, par simple mécanisme d’autodéfense.

Comment réguler quand même ?

Qu’en conclure pour la régulation des pratiques des banquiers d’investissement ? Les tentatives pour limiter les bonus sont-elles par exemple vouées à l’échec ? Pour certains, la répression des pratiques « déviantes » les plus courantes de l’industrie de la banque ne peut pas fonctionner, car ces pratiques sont ancrées dans les mentalités des parties prenantes les plus importantes, comme les grandes entreprises clientes ou les autres banques. En Europe, la régulation des bonus semble inciter les banques, en particulier dans la City, à reporter la part variable du paiement de ses employés sur la part fixe, créant paradoxalement une inflation des salaires qui ne seront plus liés à la performance individuelle.

Faut-il pour autant renoncer à réguler le secteur de la banque d’investissement ? Certainement pas, car un certain nombre de ces pratiques ont en partie contribué à la crise financière. Mais il faut peut-être se poser la question de réguler la demande plutôt que l’offre de services des banques d’investissement.

Par exemple, la rémunération des banques d’investissement par les grandes entreprises pour des émissions de titres ou des fusions-acquisitions, parce qu’elle correspond à un pourcentage d’une somme très conséquente peut s’avérer complètement dé-corrélée de la valeur ajoutée fournie par le capital humain mis au service du client par la banque.

Il faut donc probablement se poser la question de la régulation de la facturation des services plutôt que des pratiques de l’industrie…

Cet article est publié dans le carde du partenariat entre la Revue Française de Gestion et The Conversation France

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