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Pourquoi nous avons besoin d’une mesure universelle de température

Axel Drainville/flickr, CC BY-NC

Qu’est-ce qui pèse le plus : un kilo de fromage, ou un kilo de Vegemite, cette pâte salée qui fait saliver les Australiens ? Curieusement, la réponse dépend de l’endroit d’où viennent ces produits. Un exemple (détaillé ci-dessous) qui montre bien que la science de la mesure a un problème de communication : comment se mettre d’accord sur la quantité dont on est en train de parler.

Historiquement, on mesurait les choses par le biais de références, pratiques à utiliser mais variables, comme la largeur d’un pouce (inch) ou un pied (foot), ceci étant le résultat de débats anciens. Résoudre les ambiguïtés inhérentes à ces règles empiriques grossières est devenu aussi important pour les commerçants du Moyen-Age que la Magna Carta, un texte vieux de 800 ans. On y trouve le paragraphe suivant, apparemment destiné à répondre aux besoins d’ouvriers du textile quelque peu portés sur l’alcool : « (35) Il doit y avoir des mesures standards pour le vin, la bière et le maïs (quartier de Londres), dans tout le royaume. Il doit y avoir également une largeur standard pour le tissu teint, roux, et le tissu haberject, à savoir deux aunes dans les lisières. Les poids devront être normalisés de manière similaire. »

Lors des révolutions, industrielles et scientifiques, la demande croissante pour plus de précision et de standardisation en science, le développement de la production de masse et l’émergence d’un commerce global a abouti au développement du système métrique fondé sur des unités telles que le mètre, le kilogramme et la seconde. Ce système est devenu le socle de l’édifice scientifique moderne, permettant aux gens d’étudier quantitativement des phénomènes tels que la gravité, l’électricité ou la température, pour laquelle il n’y a pas tous les jours, des références pratiques.

Une référence à mesurer

Les unités standards ont été définies à l’origine par une référence forgée par l’homme. Par exemple, une masse de platine conservée à Paris définit le kilo étalon dont il existe des copies en réserve dans différents instituts nationaux pour les mesures.

Mais reste un problème : comment diffuser la norme de façon fiable ? Par exemple, quand le kilo étalon et ses copies sont comparés, ils diffèrent légèrement. Parce que les instituts nationaux produisent une définition légale valable pour leur nation, un kilo de fromage français est actuellement un microgramme plus léger qu’un kilo de Vegemite australien !

Pour résoudre le problème, les scientifiques se sont mis au travail pour redéfinir le système d’unités en termes de constantes universelles comme la vitesse de la lumière, la fréquence de certains atomes ou la résistance électrique de dispositifs quantiques. Ce programme est plus ou moins achevé concernant le temps, la longueur et la charge électrique.

D’autres unités, comme la masse et la température, dépendent toujours d’artefacts. Le Kelvin qui est une unité de température, se définit à l’aide d’une analyse des isotopes stables de l’eau (Vienna Standard Mean Ocean Water), spécialement préparée par l’Agence internationale de l’énergie atomique. Dans l’échelle de température dite ITS-90, ce que l’on appelle le triple point de l’eau (où coexistent ses phases liquide, solide et gazeuse) définit précisément 273,16 Kelvin (0,01 degré Celsius).

Une mesure universelle de température

Au niveau international, plusieurs approches sont actuellement expérimentées pour redéfinir le Kelvin en termes de quantités universelles.

Image infrarouge d’un laser sondant des atomes de césium. GW Truong.

Notre proposition, publiée dans le journal Nature Communications, est fondée sur la spectroscopie laser d’atomes de césium dans un gaz, avec effet Doppler. Les atomes dans un gaz bougent en permanence et plus forte est la température, plus importante leur vitesse moyenne.

Grâce à des lasers très précis, nous avons pu mesurer le décalage de fréquence Doppler du spectre atomique, à partir duquel nous avons pu déterminer les vitesses des atomes, de la même façon qu’un policier mesurerait la vitesse des véhicules avec un radar Doppler.

La formule pour calculer la température. Author provided

À partir de la vitesse atomique (v), nous calculons la température (T) du gaz grâce à la formule ci-contre (m est la masse atomique et k est la constante de Boltzmann.

Il est important de préciser qu’il n’y a aucun facteur inconnu de calibration dans notre technique. Nous avons simplement besoin de constantes universelles comme la masse atomique et la vitesse de la lumière. Ainsi, avec un savoir-faire technique suffisant, n’importe quel laboratoire, sur Terre ou dans la galaxie Andromède, peut refaire notre expérience. Il n’y a pas besoin d’artefacts pour créer une référence. Encore mieux, notre approche permet de prendre en compte une large gamme de température, de celles bien en dessous du point de gel à celles qui prévalent à l’intérieur des brasiers.

L’un des défis de cette technique est que la lumière laser utilisée pour tester les atomes change aussi leur état, même en utilisant des lasers à faible puissance. De la même façon que les automobilistes réagissent après avoir été contrôlés par un radar de vitesse, les atomes de notre expérience sont excités par la lumière utilisée pour les mesurer.

Le changement dans leur état atomique est petit – une part pour 10 000 – mais c’est important compte tenu de notre objectif de précision d’une part pour un million. Heureusement, les atomes du même isotope de césium sont parfaitement semblables, ainsi, nous pouvons tenir compte de ces petits changements en utilisant la théorie quantique pour améliorer grandement notre performance de mesure.

Mettre à jour notre système d’unités est essentiel : il est le fondement sur lequel la science et la technologie sont construites. La mise à niveau de la définition du Kelvin nécessitera de vérifier la compatibilité avec le système actuel ; et poursuivre plusieurs différentes pistes expérimentales nous permettra de savoir que nous avons emprunté le bon chemin.

Comme pour toute mise à jour, celle-ci sera considérée comme réussie si le public remarque à peine la transition. Mais pour ceux qui sont les premiers concernés – qui développent des matériaux transformés à haute température, qui étudient le fond diffus cosmologique ou qui fabriquent des gaz quantiques ultra-froids – fonder le Kelvin sur des principes universels et fondamentaux permettra de réaliser les tests les plus rigoureux de l’univers.

This article was originally published in English

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