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Présidentielle aux Antilles : « Le vote d’extrême droite était lié aux problèmes sociaux »

Ce vote renvoie aux dossiers sociaux principalement, à la question de l'eau, de la politique vaccinale, de l'insécurité et du chômage. Christophe Archambault / AFP

Après un plébiscite pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle, la candidate du Rassemblement national (RN) a obtenu, deux semaines plus tard, près de 61 % des voix en Martinique et en Guyane, et même près de 70 % en Guadeloupe, réalisant son meilleur résultat dans ces départements où les scores de l’extrême droite sont habituellement faibles lors des scrutins locaux et nationaux. Fred Reno, chercheur en sciences politiques à l’Université des Antilles décrypte les logiques qui ont conduit à ces résultats.


The Conversation : Comment expliquer que les électeurs des régions d’outre-mer aient voté aussi massivement pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle ?

Fred Reno : Les outre-mer ont voté en majorité pour la candidate Le Pen contre Macron. La question qui se pose est : comment des Noirs, des afrodescendants ont pu voter pour le Rassemblement national, un parti qui renvoie au racisme, aux discriminations… On peut réduire Le Pen à l’extrême droite mais les choses sont plus complexes que cela. Il faut relativiser ce vote en évitant d’en faire un vote d’extrême droite. C’est un vote pour Le Pen, contre Macron mais pas un vote d’extrême droite au sens où les gens auraient adhéré aux valeurs du RN.

Quand on interroge les gens qui ont voté Le Pen, ils répondent spontanément : « on a voté contre Macron et on a voté contre les élus locaux ». Le vote contre Macron est lié à des problèmes sociaux qui se posent dans le pays, la question vaccinale, l’insécurité, la délinquance… La critique qui est faite aux élus locaux est très forte. Pour beaucoup d’électeurs, les élus locaux ont failli et sont les principaux responsables de la situation parce qu’ils n’ont pas été en mesure de prendre en charge les demandes sociales.

TC : Les votes pour Marine Le Pen ne sont donc pas des votes d’adhésion mais plutôt des votes sanction ?

FR : Oui, pour analyser cela il faut partir du premier tour. Jean-Luc Mélenchon arrive largement en tête en Guadeloupe (56,16 %) et en Martinique (53,10 %). Marine Le Pen arrive en deuxième position en Guadeloupe avec près de 18 % des voix et en troisième en Martinique avec 13 %. Les électeurs ont d’abord voté Mélenchon, s’ils étaient fondamentalement lepeniste ou d’extrême droite ils auraient voté d’emblée Marine Le Pen. C’est donc par défaut qu’ils se sont prononcés pour Le Pen au deuxième tout parce que Mélenchon n’a pas été qualifié. Le vote n’a pas de consistance idéologique, c’est un vote de protestation, de colère. Je crois que les électeurs ont instrumentalisé ces candidatures pour adresser un gros message aux élus locaux et à Emmanuel Macron.


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TC : Marine Le Pen est donc perçue comme une candidate antisystème, pas comme une personne d’extrême droite ?

FR : Absolument, elle est dédiabolisée à l’évidence. Les électeurs disent : « on a tout essayé jusque là, essayons extrême droite cela ne nous coûte rien finalement c’est une candidate comme les autres avec un discours qui nous parle. Elle va remettre dans leur droit les employés suspendus par la crise sanitaire, elle va régler le problème de l’eau, tous les thèmes qui nous intéressent elle les prend en charge dans son discours. »

Marine Le Pen visite un marché à Saint-Anne dans le cadre de son voyage de campagne dans l’île française des Caraïbes, la Guadeloupe, le 27 mars 2022
Marine Le Pen visite un marché à Saint-Anne dans le cadre de son voyage de campagne dans l’île française des Caraïbes, la Guadeloupe, le 27 mars 2022. Cedrick Isham Calvados/AFP

TC : Le vote anti-Macron s’inscrit-il dans la continuité d’un rejet des institutions et de l’État français ?

Je ne pense pas qu’il y ait un rejet de l’État français bien au contraire, je pense qu’il y un appel à l’État, à plus d’États. Dans le contexte de mondialisation, d’incertitude, il y a une demande de protection et de sécurité. Et le discours de Marine Le Pen qui renvoie à l’autorité, à la centralisation même puisqu’elle refuse le principe de l’autonomie, je pense que cela parle à tous ces gens. Je crois que le vote anti-Macron est un vote qui renvoie aux dossiers sociaux principalement, à tous les problèmes qui n’ont pas été réglés et que Macron avait promis de régler. Il y a le sentiment que rien n’a été fait par les représentants de Macron sur place. C’est par manque d’interventionnisme étatique qu’on a rejeté Macron.

TC : Les mobilisations qui ont eu lieu suite à l’instauration de l’obligation vaccinale et du passe sanitaire ont aussi pu influencer ces votes de protestation ?

FR : Je crois que la question vaccinale est venue se greffer sur la question sociale et elle a joué comme un catalyseur. Cela a renforcé encore plus les oppositions. Il y a un élément qui intervient à la fin, c’est quand on a su que finalement la pandémie était en baisse et que le port du masque n’était plus nécessaire, qu’on allégeait les restrictions, beaucoup de gens ont cru que les employés suspendus allaient être rappelés et allaient pouvoir retrouver leur emploi mais ça n’a pas été le cas. Cela a été perçu comme une forme de mépris par beaucoup de gens.


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TC : Durant sa campagne Jean-Luc Mélenchon s’est particulièrement adressé aux outre-mer. C’est ce qui explique qu’il soit arrivé en tête du scrutin au premier tour ?

FR : Mélenchon est l’homme politique qui a été le plus actif en Guadeloupe et en Martinique. Il a pris la parole sur des sujets importants ici, comme l’eau et le chlordécone. Pas seulement lui mais aussi ses émissaires, notamment Danièle Obono et Mathilde Panot. Cette dernière a fait un rapport avec d’autres députés sur la question de l’eau. Elle eu une prise de parole qui a beaucoup plu ici, sur les réseaux sociaux notamment. Elle a été présentée comme celle qui faisait ce que ne font pas nos élus locaux.

Il y a un élément supplémentaire qui est la question de la créolisation. Mélenchon est le seul candidat a avoir donné une dimension culturelle à ses interventions politiques. Il a érigé la créolisation en réponse à la question du multiculturalisme en France. Même si tout le monde ne partage pas cette théorie, en se référant ouvertement à Édouard Glissant, Mélenchon parle de nous et fait de nous une référence.

Jean-Luc Mélenchon discute avec des habitants et des représentants locaux à côté de la députée Mathilde Panot et du député européen Manuel Bompard dans le quartier populaire de Volga plage à Fort-de-France (France)
Jean-Luc Mélenchon discute avec des habitants et des représentants locaux à côté de la députée Mathilde Panot et du député européen Manuel Bompard dans le quartier populaire de Volga plage à Fort-de-France. Christophe Archambault/AFP

TC : Pensez-vous qu’en Guadeloupe et en Martinique les électeurs vont se mobiliser pour les élections législatives ?

FR : Il est certain qu’il y a une prise de distance avec nos élus locaux, une majorité d’entre eux ont appelé à voter Macron lors de la présidentielle. Je suis persuadé que pour les élections législatives peu de candidats vont faire référence à Macron mais je ne suis pas sûr que l’élection présidentielle va modifier en profondeur le paysage local. Je ne pense pas que la France insoumise ait une implantation locale suffisante pour avoir des députés. Ils semblent l’avoir compris parce que la FI, à la différence du RN, est en mesure de négocier avec d’autres partis de gauche comme le PCF ou le PS, et peut-être même une frange des nationalistes.

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