Le géant des télécommunications AT&T a faim. Il est prêt à débourser plus de 85 milliards de dollars pour s’approprier Time Warner le géant des médias. Pourquoi cette fusion ? Concrètement, il s’agit pour AT&T – le prédateur – de s’offrir Time Warner – la proie – pour tenter de valoriser ses contenants en y faisant circuler de nouveaux contenus. Il veut aussi pouvoir affronter à armes égales les futurs géant des futurs marchés que sont les acteurs de la Video On Demand (VOD) sur Internet comme Netflix aujourd’hui, mais aussi Facebook et Google voire Amazon demain.
Cette méga fusion a été validée fin octobre dernier par les conseils d’administration des deux entreprises impliquées. Il s’agit ni plus ni moins d’une transaction à environ 100 milliards de dollars – en titres et en espèces – qui permet au géant américain des télécommunications AT&T de prendre possession du géant américain des médias Time Warner avec, dans son escarcelle, des acteurs comme HBO ou CNN.
Malgré les ambiguïtés de Trump…
Malgré la volonté affichée lors de sa campagne, le président élu ne pourra guère s’opposer à cette méga-aquisition de Time Warner par AT&T pour une valorisation globale de la proie à 85 milliards de dollars. Les nombreuses déclarations de Donald Trump du type « too much concentration of power in the hands of too few », même si elles recouvrent une certaine réalité sur le terrain, ne seront pas ou peu suivies d’effet une fois son équipe arrivée au pouvoir.
Le président élu a montré durant toute sa campagne une certaine agressivité contre un grand nombre de médias qui seraient en faveur du couple Clinton voire même qui en seraient leur bras armé. Il a ainsi fustigé des médias présentés comme corrompus. Il a cité par exemple le cas CNN qui l’a souvent ridiculisé (selon lui) lors de ses reportages. Mais il a aussi évoqué le conglomérat Comcast-NBC Universal d’avoir « tenter d’empoisonner l’esprit de l’électeur américain » et regretté que ces deux sociétés aient été autorisées à fusionner.
Enfin, il s’en est également pris nommément au directeur général de Amazon, Jeffrey P. Bezos, qui possède aussi l’influent Washington Post. Ce journal ne l’a effectivement pas ménagé ce qui pose à ses yeux à la fois « un énorme problème antitrust » et un problème politique sur le lobbying de Amazon dans les administrations de Washington. Le président élu continue à se lâcher contre les journalistes – alimentant ainsi un récit qui paradoxalement crée du contenu donc du papier – mais il semble bien avoir acté que sa personne (c.-à-d., le candidat) et sa fonction (c.-à-d., son équipe) pouvaient avoir des positions différentes !
Néanmoins, malgré ces anicroches de campagne, il est cependant assez clair que certains des membres de son équipe (Joshua Wright, David Higbee, Jeffrey Eisenach voire bien évidement Steven Munchinnommé au trésor le 30 novembre dernier) ont une approche résolument « laisser faire, laisser aller » face aux trusts en général et face aux lois antitrust en particulier. Une équipe qui est qualifiée de « business friendly ».
Le projet devra tout de même passer par les fourches caudines du département de la justice (et de ses services de réglementations) et de la Federal Communications Commission. Cette dernière, sous influence démocrate, ayant le pouvoir de blocage de transferts de licences le plus élevé, elle serait en mesure d’exiger des conditions en faveur de la préservation d’une saine concurrence. Mais, au final, l’avènement de ce géant ATT&TW semble de plus en plus probable et s’explique par une logique de marché et une logique d’entreprise.
La confiance des investisseurs
Le titre de AT&T a d’ailleurs bondi de 2 % pour atteindre fin novembre les 94 dollars ce qui montre la confiance des investisseurs concernant ce projet de fusion-absorption de Time Warner par AT&T. Certes il subsiste de nombreuses réticences au sein de certains milieux d’affaires et médias face à la prise de contrôle de AT&T sur le géant des contenus et des flux qu’est Time Warner. En effet, ce dernier apporte dans le panier de la mariée d’incontournables acteurs tels que CNN, HBO ou la franchise Harry Potter et risque de modifier les règles du jeu et les rapports de forces sur ce secteur.
L’idée la plus répandue est que AT&T va pouvoir favoriser, financièrement, techniquement, technologiquement et/ou commercialement, ses propres contenus (shows) au travers de ses propres contenants (plateforme de distribution) comme DirecTV par exemple et cela au détriment des contenus de ses concurrents.
La prise de pouvoir des tuyaux sur les fluides
Nous arrivons là au cœur du débat et de la logique de cette absorption qui montre la prise de pouvoir des tuyaux qui transportent sur les fluides qui sont transportés. Les derniers ont besoin des premiers pour exister et la qualité du contenu n’est pas la principale caractéristique du transport, ajoutons le format, la volumétrie, la granularité, la taille, la durée, la simultanéité… et l’on comprendra que les tuyaux prennent peu à peu le pouvoir sur ce qu’ils transportent ! Il s’agit bel et bien de l’achat d’un producteur de contenus (Time Warner) par un offreur de contenants (AT&T). Il s’agit finalement de spectacles de flux (sport) ou de stocks (film) qui pourront être télé communiqués afin de valoriser le télé communiquant !
Malgré l’évidence, c’est-à-dire que AT&T avait clairement misé sur l’arrivée de Hillary Clinton, il s’avère que la firme va plutôt bien s’adapter à l’arrivée de Trump et va accepter de travailler avec l’administration Trump malgré des doutes perceptibles. Ainsi John Stephen qui est ni plus ni moins le directeur financier d’AT&T a clairement déclaré devant des investisseurs potentiels « Nous avons vraiment hâte de travailler avec le président élu Trump et son équipe de transition ».
Lors de la même conférence, il a ajouté explicitement que « ses politiques et ses discussions sur l’investissement dans les infrastructures, le développement économique et l’innovation américaines s’inscrivent tout à fait dans les objectifs d’AT&T ».
Maintenant que certains doutes politico-médiatiques sont partiellement levés, revenons à la genèse de cette gigantesque et spectaculaire fusion
Pourquoi Time Warner ?
C’était de facto la proie idéale car l’une des dernières encore disponibles sur le marché des contenus et de l’entertainment. En effet, Disney est devenu trop gros et trop cher (150 milliards de dollars environ) et les autres proies comme le groupe 21st Century Fox ou comme CBS sont inaccessibles car contrôlés par un actionnaire principal et familial et en l’occurrence la puissante famille Redstone.
Toutefois le PDG de Time Warner, Jeff Bewkes, est longtemps resté réticent face aux yeux doux d’éventuels prédateurs comme Rupert Murdoch en 2014, via la 21st Century Fox, qu’il considérait insuffisamment préparé. De même, pour lutter contre les dégâts du streaming sur la télévision payante au travers de la montée de Netflix, le groupe Time Warner propose depuis peu sa propre offre de streaming. Le secteur devenait agressif et l’appétit des actionnaires devenait pressant, il était donc temps de céder aux sirènes d’une méga-proposition de rachat et ce fut celle de AT&T. Le nid du féroce Pygargue à tête blanche semblait-il à ce point douillet ?
Pourquoi AT&T ?
C’est clairement le prédateur déclaré car d’une part il n’est que numéro 2 (donc il lui faut croître) et d’autre part il n’est qu’opérateur (donc il lui faut acquérir des contenus). C’est bien le cœur de cette stratégie, il faut à terme que le contenant qu’est AT&T puisse vivre des contenus de Time Warner qu’ils vont diffuser sur Internet et non plus sur la Télévision (même – surtout ? – payante).
Pour AT&T, face à de redoutables concurrents comme Verizon et Comcast, il s’agit aussi de ne pas rater le marché de la téléphonie mobile (après un échec sur T Mobile en 2011 à cause d’une position qui serait devenue oligopolistique) et ne pas passer à côté de celui de la télévision par satellite et notamment celle qui vendent du sport comme la NFL (d’où l’achat de DirectTV en 2015 pour 48,5 milliards)
Le next step ?
La fusion AT&T et TW montre combien la taille n’est pas ou plus un obstacle à de tels rapprochements. L’analyse des fusion-absorption a encore de beaux jours et de beaux cas devant elle. Il faut surtout que le marché, le législateur et les investisseurs, en comprennent la logique industrielle (ici le couplage contenu/contenant) et la logique stratégique (ici croître pour pas être trop facilement avalé). Si ce projet est bien mené à son terme, le marché américain ne suffira pas à ce néo-géant. Ça tombe bien car le marché numérique global a besoin d’acteurs de plus en plus massifs et puissants pour pouvoir contourner les états et leur _si incongru _arsenal législatif et réglementaire !