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Quand l’industrie textile marocaine revisite sa capacité à innover

L’industrie textile au Maroc comporte 500 entreprises qui assurent près de la moitié des exportations de l’industrie manufacturière. Fadel Senna / AFP

En tant que premier employeur industriel du pays avec 27 % des emplois, le secteur du textile-habillement est assez représentatif de l’économie marocaine. Il sert à ce titre de baromètre précurseur de changements significatifs dans certaines pratiques managériales au Maroc.

Il contribue à la création de 7 % de la valeur ajoutée industrielle nationale avec environ 500 entreprises qui assurent près de la moitié des exportations de l’industrie manufacturière marocaine, en dépit de leur taille, la plupart étant des petites et moyennes industries (PMI) avec un effectif inférieur à 50 salariés.

Ces entreprises, conscientes que leur survie dépend de leur capacité à se transformer en s’adaptant aux attentes des marchés internationaux, restent cependant confrontées à la difficile identification des besoins et des tendances des marchés donneurs d’ordres.

Le contexte de crise sanitaire et économique qui a touché les principaux pays clients – notamment l’Espagne et la France qui représentent près de 60 % des exportations du secteur –, a compliqué la situation.

Afin de mieux comprendre les difficultés du secteur et comment les entreprises pouvaient les surmonter, nous avons mené une récente étude auprès de dirigeants de l’écosystème textile marocain. Un « cluster des textiles techniques marocains » (C2TM) a été constitué dès 2013 à la suite d’une réflexion conjointe d’institutions publiques et d’industriels du secteur.

En tant que pierre angulaire du vaste réseau des acteurs de l’écosystème textile-habillement, il a pris l’initiative d’une veille informationnelle conséquente sur les marchés étrangers afin de collecter les données nécessaires à l’orientation des productions. Il a ensuite organisé des réunions de restitution et de partage des connaissances afin que tous les acteurs concernés reçoivent des informations ciblées. Ce groupe a enfin accompagné l’ensemble des acteurs afin de faire émerger des pratiques managériales innovantes de collaboration adaptées à ce secteur industriel.

Des freins toujours présents

Ce groupe de réflexion nous a permis d’identifier les freins à l’innovation inhérents à la structure des entreprises. En effet, nos résultats montrent clairement que les PMI souffrent d’un manque de ressources, de compétences et d’interactions avec les donneurs d’ordre et les sous-traitants.

Concernant les ressources, les experts interviewés affirment que certaines matières premières n’existent pas sur le marché marocain ou sont en quantité insuffisante. De ce fait, les PMI doivent s’approvisionner à l’étranger, ce qui est compliqué dans les conditions actuelles. De plus, la recherche d’un retour sur investissement immédiat est également évoquée comme un frein majeur qui pénalise voire annule la propension à innover.

Une autre limite concerne les compétences, notamment le manque de personnel qualifié au niveau de la création et de la commercialisation qui constitue un frein fort à l’innovation. Cette insuffisance de compétences provient à la fois d’une formation défaillante et d’une sous-utilisation des compétences existantes spécifiques notamment au designer textile et au directeur export.

Enfin, concernant l’interaction entre donneurs d’ordres et sous-traitants, les experts soulignent le fort déséquilibre dans le rapport de force en défaveur des PMI sous-traitantes marocaines. En effet, leurs dirigeants expliquent que certaines entreprises recrutent des designers à l’extérieur du Maroc mais qu’au bilan, l’interaction reste difficile avec les donneurs d’ordres étrangers.

L’émergence de leviers d’innovation

Tout n’est cependant pas négatif. Notre enquête a permis de faire émerger quelques leviers d’innovation qu’il est possible de valoriser tels que la réorganisation des modèles économiques autour d’une collaboration renforcée des acteurs de l’écosystème textile et d’une nécessaire réflexion sur les futures politiques de marques issues du territoire marocain.

En ce qui concerne l’écosystème, le secteur textile s’est en effet engagé dans un processus d’amélioration de sa réponse aux marchés en réduisant de deux semaines les délais de livraison vers l’Europe (route + mer). Il s’agit là d’une réduction de moitié par rapport à un cycle normal d’expéditions. Cela a été rendu possible grâce aux fournisseurs locaux de matières premières qui se sont regroupés en plates-formes d’approvisionnements.

L’agilité du port « Tanger Med » est également largement à souligner car elle a permis au secteur textile marocain d’avoir un couloir dédié, un dédouanement en moins d’une heure, une ouverture aux compagnies maritimes dédiées uniquement au transport camion et à une augmentation de la capacité de rotation des navires dans le port au rythme de 6 à 8 correspondances par jour.

L’agilité du port de Tanger Med a permis d’augmenter la capacité de rotation des navires de 6 à 8 correspondances par jour.. Wikimedia, CC BY-SA

Il est à parier que cet ensemble d’opérations est amené à se développer à la lumière des bouleversements générés par la crise sanitaire en cours spécifique à la sélection des circuits courts par opposition aux circuits longs asiatiques et notamment chinois.

Une stratégie de marque propre

Beaucoup de PMI possèdent une expertise pointue en termes de production sur toute la chaîne de valeur, mais elles n’ont pas individuellement les compétences nécessaires à la création de marques génératrices de valeur ajoutée à l’échelle internationale.

À titre d’exemple, dans le secteur du denim, certaines PMI maîtrisent la totalité du processus intégrant des techniques sophistiquées telles que le vieillissement du tissu, la coloration et les coupes élaborées au profit de marques internationales. Néanmoins, elles ont ignoré jusqu’à présent le potentiel stratégique d’une politique de marque propre qui pourrait prétendre à une reconnaissance internationale.

Le pivot C2TM a par conséquent lancé des actions de communication afin de sensibiliser l’ensemble des PMI de l’écosystème à la force de frappe que peut représenter une politique de marque qui rechercherait des retours qualitatifs en termes d’attitude, de notoriété et d’image sur le moyen et long terme plutôt que des effets quantitatifs de ventes immédiates.

À ce jour, seuls quelques exemples de réussite portés par des dirigeants emblématiques dans le tissu industriel des textiles marocains peuvent être cités.

C’est le cas du groupe Richbond qui fabriquait des banquettes traditionnelles de salon marocain et qui a fait le pari d’aborder le marché de l’équipement d’hôtels (en partenariat avec la chaîne Accor au Maroc) afin de leur fournir des matelas haut de gamme via la création d’une marque spécifique, Bekendorff, reflet de la technologie allemande associée à la fiabilité des produits et à un design sobre. C’est grâce à la mise en avant de la marque que ce groupe marocain est aujourd’hui un des leaders de ce secteur.

Spécialisation intelligente

Dans le champ de l’innovation dans le secteur du textile-habillement, les pivots dans les pays de sous-traitance pourraient notamment se concentrer sur l’objectif de construire une spécialisation intelligente afin de répondre aux stratégies des pays donneurs d’ordres.

La Confédération européenne de l’habillement et du textile Euratex, vient par exemple de formuler le renouvellement attendu de sa stratégie de relance de l’ère post Covid-19 au travers d’initiatives phares portant entre autres sur les garanties d’approvisionnements, le recherche de textiles innovants et durables ainsi que de textiles techniques ou encore la promotion du plan Euro Med afin d’exploiter de nouvelles opportunités de marchés avec l’UE.

Il est très probable que l’une au moins de ces initiatives entre en cohérence avec les futures stratégies d’innovation collaborative des PMI marocaines.

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