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A woman in a headscarf walks past a mural of people flashing 'V' peace signs and holding Palestinian flags.
Qui parle au nom des Palestiniens de Gaza ? Mohammed Abed/AFP via Getty Images

Que pensent les Palestiniens de Gaza du Hamas ? Des sondages révèlent qu'ils se soucient davantage de lutte contre la pauvreté que de résistance armée

Avec l’intensification de la guerre entre Israël et le Hamas, des observateurs régionaux et internationaux formulent des hypothèses sur le soutien des habitants de Gaza au Hamas.

Des affirmations erronées telles que celles de Ron DeSantis, candidat à la présidence des États-Unis, qui prétend que tous les habitants de Gaza sont « antisémites », ou celles qui reprochent aux Gazaouis d’avoir « élu le Hamas », peuvent influencer les débats non seulement en ce qui a trait à la perception de la guerre, mais aussi pour ce qui est des plans d’aide aux habitants de Gaza dans les mois à venir.

Tout effort de reconstruction ou de distribution d’aide pourrait être mis en balance avec les craintes que des insurgés du Hamas se trouvent au sein de la population de Gaza.

Dans mes travaux de recherche sur le salafisme djihadiste et l’islamisme, j’ai constaté que des mouvements militants provoquaient des interventions militaires pour exploiter le chaos qui s’ensuivait. En outre, ces groupes prétendent souvent gouverner dans l’intérêt « légitime » des populations qu’ils dominent, même si celles-ci rejettent leur autorité.

Comme l’ont fait remarquer plusieurs commentateurs, le Hamas espère sans doute susciter une réaction disproportionnée de la part d’Israël, mais aussi utiliser les répercussions violentes de l’intervention pour entretenir la dépendance des habitants de Gaza à son égard et détourner l’attention de ses propres échecs en matière de politique intérieure.

Politiciens et Gaza

Les dirigeants des deux parties en conflit ont tenté de justifier leurs actions. Souvent, ils utilisent leur perception de l’opinion publique gazaouie pour soutenir leurs objectifs politiques.

Ismaïl Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, a affirmé que les actions du Hamas représentaient les habitants de Gaza et « l’ensemble de la communauté arabo-musulmane ». Selon lui, le recours à la violence par le Hamas se fait au nom des Palestiniens agressés dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa en septembre 2023, ou qui ont souffert aux mains des forces de sécurité israéliennes, ou à cause des colons en Cisjordanie.

Le président israélien Isaac Herzog a quant à lui suggéré que tous les habitants de Gaza portaient une responsabilité collective à l’égard du Hamas. En conséquence, a-t-il conclu, Israël agira contre Gaza et sa population pour défendre ses propres intérêts.

L’administration Biden, qui s’est bien gardée de condamner les bombardements israéliens, a cherché à adopter une approche plus large face à l’escalade. Dans une entrevue et sur les médias sociaux, le président américain Joseph Biden a affirmé que « l’écrasante majorité des Palestiniens n’a rien à voir avec les attaques épouvantables du Hamas » et qu’au contraire, elle en souffre. Cette souffrance, a ajouté M. Biden, nécessite la levée à terme du « siège total » de Gaza mis en place par Israël.

Dans chaque exemple, les politiciens ont utilisé leurs présomptions concernant les habitants de Gaza pour appuyer leurs politiques. Mais ces derniers ont leur propre façon de voir les choses.

Comment les Gazaouis perçoivent-ils le Hamas ?

Une analyse de l’opinion publique gazaouie au fil du temps révèle un désespoir constant de vivre sous le blocus israélien.

Un sondage réalisé en juin 2023 par Khalil Shikaki, professeur de sciences politiques et directeur du Centre palestinien de recherche sur les politiques et les sondages, indique que 79 % des habitants de Gaza soutiennent l’opposition armée à l’occupation israélienne du territoire palestinien. Un sondage réalisé par le Washington Institute en juillet 2023 révèle que seuls 57 % des Gazaouis ont une opinion « plutôt positive » du Hamas.

Une lecture poussée de ces sondages montre une situation plus nuancée. Considérons que, en 2018, environ 25 % des femmes de Gaza risquaient de mourir en accouchant, 53 % des Gazaouis vivaient dans la pauvreté et les fournitures de soins de santé essentiels étaient très limitées. La même année, Shikaki a constaté qu’un nombre croissant de Gazaouis étaient mécontents du gouvernement du Hamas et que près de 50 % d’entre eux espéraient quitter la bande de Gaza.

Dans un sondage réalisé en juin 2023 par le Washington Institute, 64 % des habitants de Gaza réclament une amélioration des soins de santé, de l’emploi, de l’éducation et souhaitent un retour à une certaine normalité au lieu de la « résistance » revendiquée par le Hamas. Plus de 92 % des Gazaouis se disent ouvertement mécontents de leurs conditions de vie.

En outre, comme l’a rapporté Shikaki, plus de 73 % des répondants estiment que le gouvernement du Hamas est corrompu. Les habitants de Gaza n’ont toutefois pas d’espoir de changement électoral. Aucune élection n’ayant eu lieu depuis 2006, la majorité des habitants actuels de Gaza n’étaient pas en âge de voter pour le Hamas.

Le soutien à la résistance armée n’a pas toujours existé. Quand le Hamas a ouvertement combattu l’Autorité palestinienne – qui gouverne la Cisjordanie et a remis en cause la légitimité de la victoire du Hamas – et pris le contrôle de la bande de Gaza en 2007, plus de 73 % des Palestiniens se sont dits opposés à cette prise de pouvoir et à tout conflit armé.

À l’époque, moins d’un tiers des habitants de Gaza soutenaient une action militaire contre Israël et plus de 80 % d’entre eux condamnaient les enlèvements, les incendies criminels et la violence aveugle.

Évolution de l’opinion gazaouie

Les sondages réalisés auprès des habitants de Gaza de 2007 à 2023 sont révélateurs. Ils montrent clairement que le soutien des Gazaouis à la résistance armée s’est accru parallèlement à une hausse de la frustration, de la colère et du désespoir devant l’absence de solution politique à leurs souffrances.

En 2017, Sara Roy, chercheuse qui étudie l’économie palestinienne et l’islamisme, s’est penchée sur la tolérance des habitants de Gaza à l’égard du Hamas, notant que « ce qui est nouveau, c’est le sentiment de désespoir que l’on peut constater du fait que les gens sont désormais prêts à repousser des limites qui étaient autrefois inviolables. »

Les Gazaouis, explique-t-elle, en particulier ceux de moins de 30 ans (75 % de la population), appuient largement, même si à des degrés divers, le Hamas ou ses prétentions à une légitimité islamique. Le Hamas, disent-ils, verse des salaires alors que peu d’organismes peuvent le faire. Risquer d’être pris pour cible par les soldats israéliens constitue un risque calculé et acceptable si cela permet de recevoir une paye.

A man in a cap paints the word Hamas in large letters on a wall.
Un partisan du Hamas affiche son soutien avant les élections de 2006 à Gaza. Mahmud Hams/AFP via Getty Images.

En 2019, 27 % des Gazaouis considéraient que le Hamas était responsable de leurs conditions de vie. Dans le même sondage, 55 % des répondants soutenaient tout plan de paix qui inclurait un État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale et un retrait israélien de tous les territoires occupés.

En 2023, lorsque les habitants de Gaza interrogés par Shikaki ont exprimé leur soutien à la résistance armée, ils l’ont fait car ils considéraient que cette résistance pourrait alléger le blocus et le siège israéliens mieux que toute politique électorale. Cependant, les personnes interrogées ont aussi exprimé leur exaspération face à la corruption du Hamas et à la persistance du chômage et de la pauvreté dans la bande de Gaza.

Désespoir palestinien et objectifs du Hamas

Toute perspective de retour à la normale semble disparue pour de nombreux Gazaouis, et le Hamas affirme agir en tant que « résistance légitime ».

Avec des négociations de paix au point mort depuis 2001, le report des élections, l’impossibilité de sortir de Gaza et l’aggravation de la crise humanitaire, toute une génération de Gazaouis se retrouvent devant un horizon bouché.

Several people, including women and children, running out of their homes. Behind them are some partially damaged buildings.
Des familles palestiniennes quittent précipitamment leurs maisons après que des frappes aériennes israéliennes ont visé leur quartier dans la ville de Gaza, au centre de la bande de Gaza, le 17 octobre 2023. AP Photo/Abed Khaled

« La mort est partout, a déclaré Omar El Qattaa, 33 ans, photographe basé à Gaza, et la mémoire est effacée. »

Des sondages de 2023 ayant montré qu’une majorité de Gazaouis ne veut pas d’une rupture du cessez-le-feu avec Israël, le Hamas a mené ses attaques d’octobre contre la volonté populaire. Le désespoir ressenti par El Qatta et des millions d’autres habitants de Gaza risque d’être instrumentalisé par le Hamas. Comme l’écrit Matthew Leavitt, expert du Hamas, ce mouvement considère la politique, la charité, la violence politique et le terrorisme comme des outils complémentaires et légitimes pour poursuivre ses objectifs politiques.

Comme l’affirme Khaldoun Barghouti, chercheur palestinien basé à Ramallah, les bombardements continus d’Israël ont atténué la frustration à l’égard du Hamas, du moins à court terme. Ces agressions ont transformé la condamnation du Hamas pour les attaques d’octobre en une colère contre Israël.

Il reste à voir si cela se traduira par un soutien à des solutions alternatives au Hamas dans les mois à venir. Tout dépendra de la capacité des acteurs internationaux à regagner la confiance des Gazaouis tout en les aidant à trouver des options pour remplacer un gouvernement et un mouvement militant qu’ils considéraient comme corrompus et incapables de répondre à leurs besoins fondamentaux.

This article was originally published in English

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