Beaucoup de choses auront été dites sur la bande de Gaza ces dernières semaines. Ce territoire enclavé régulièrement mis sous les feux de l’actualité reste toutefois relativement méconnu. Il en va également ainsi de son économie, dont on peine à comprendre comment elle fonctionne, compte tenu du blocus et des guerres qui sévissent depuis bientôt deux décennies.
Les rapports, pourtant, ne manquent pas, avec leurs lots de chiffres plus alarmants les uns que les autres. Plus de 60 % des habitants de Gaza sont dépendants d’une aide alimentaire et près de la moitié de la population active est au chômage, tandis que 78 % de l’eau courante y est impropre à la consommation humaine.
En 2012, un rapport de l’ONU nous alertait déjà en annonçant que Gaza deviendrait un lieu « invivable » à l’horizon de 2020, un pronostic sans cesse confirmé depuis. En 2023, la vie économique de 2,1 millions de Palestiniens dans ce territoire de 365 km2 est pourtant bien réelle – une vie de privations mais aussi de résistance.
Un tissu économique sinistré par le blocus et les guerres
Cité commerciale millénaire située à la porte de trois continents, Gaza s’est trouvée de plus en plus isolée et plusieurs fois coupée de ses routes économiques au cours du siècle passé. Territoire amputé de son arrière-pays palestinien au moment de la Nakba en 1948, puis occupé par Israël après 1967, la bande de Gaza est désormais soumise à un embargo presque total depuis 2007.
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Cette année-là, le Hamas prenait le contrôle de la bande de Gaza par la force, tandis qu’il était évincé du gouvernement en Cisjordanie par le président Mahmoud Abbas. Des sanctions israéliennes et internationales imposées à l’Autorité palestinienne au lendemain de la victoire du parti aux élections législatives de 2006 avaient provoqué une crise politique sans précédent et un durcissement des dissensions inter-palestiniennes. Déclarant la bande de Gaza « territoire hostile », Israël renforçait encore les restrictions sur les mouvements de personnes et de marchandises à sa frontière.
Les trois premières années du blocus sont particulièrement sévères et infligent d’importants dégâts à l’appareil productif local. Seuls les « produits humanitaires de base » sont autorisés à entrer et les exportations sont complètement proscrites. L’activité de sous-traitance pour le compte d’entreprises israéliennes, un temps florissante, est également suspendue. Cette première phase voit la fermeture de 95 % des établissements industriels et la destruction de 120 000 emplois.
Les agriculteurs aussi sont gravement touchés. L’interdiction d’importer des intrants agricoles (engrais, semences, plants, pesticides) ou même des pièces de rechange pour les machines entrave le fonctionnement de l’ensemble du secteur. Ce dernier est aussi lourdement affecté par l’imposition israélienne d’une « zone tampon » le long de la frontière, ce qui rend inaccessibles jusqu’à 35 % des terres arables de la bande.
Cette situation est encore aggravée par les violentes opérations militaires d’Israël contre la bande de Gaza (2009, 2012, 2014, 2021) et les bombardements d’une grande partie des infrastructures publiques (centrale électrique, bâtiments officiels, routes) et de nombreuses installations industrielles.
Les accords de cessez-le-feu négociés après chaque nouvel affrontement conduisent néanmoins Israël à assouplir certaines restrictions. Le volume et la variété des marchandises autorisées à entrer augmentent une première fois en 2010, puis en 2014 ou après 2021, sans jamais retrouver toutefois un niveau comparable à celui d’avant 2007. L’importation d’équipements et de matériaux nécessaires au fonctionnement des industries et des services de base reste quant à elle sévèrement limitée. Les exportations, ainsi que les transferts commerciaux vers la Cisjordanie, reprennent timidement ; elles concernent des produits agricoles d’abord, puis des produits textiles et mobiliers.
Une économie d’adaptation et de navigation à vue
La mise en place de tunnels de contrebande sur la frontière égyptienne ouvre durant un temps une nouvelle fenêtre sur l’extérieur. Leur taille et leur nombre augmentent rapidement pour permettre l’entrée de carburant, de matières premières et de biens d’équipement, en plus des produits de consommation.
Ces tunnels, pour la plupart développés et exploités par des entrepreneurs privés, sont bientôt soumis à une surveillance et à une réglementation officielles côté palestinien. Leur économie connaît un essor rapide, employant directement ou indirectement (construction, transport, commerce…) jusqu’à 50 000 personnes en 2009. Elle est également devenue la première source de financement pour les autorités locales qui instaurent différentes taxes (douanes, licences). Cette brèche bien trop précaire n’offre pourtant pas de solution véritable au blocus, et l’Égypte y mettra finalement un terme à partir de 2013.
D’autres actions sont menées pour répondre à la pénurie alimentaire, portées à la fois par des ONG locales, des agences internationales et des acteurs gouvernementaux). Des pratiques agricoles plus écologiques et plus durables sont développées et encouragées. Le rationnement des cultures, la production en étage et l’usage de semences et d’engrais organiques sont employés pour préserver l’intégrité des ressources et pour réduire la dépendance envers les intrants chimiques israéliens.
Le recours à l’hydroponie permet également de transformer des toits en béton en véritables potagers tandis que la récupération des eaux de pluie et la mise en place de panneaux solaires viennent partiellement pallier le manque d’eau et d’énergie. Si elle ne génère que très peu de revenus, cette production de subsistance couvre bientôt une majeure partie des besoins du territoire en fruits, légumes, poissons et volailles.
Les salaires versés aux employés des agences internationales et de la fonction publique sont en réalité la principale ressource pour de nombreuses familles. L’UNRWA assure la scolarité et les soins de santé basiques pour plus de 50 % de la population, employant ainsi 10 000 personnes. Le gouvernement de Ramallah continue également de payer ses fonctionnaires recrutés à Gaza avant 2007, pour ne pas laisser le terrain vacant au Hamas. Si certains d’entre eux (environ 10 000) sont en activité dans les secteurs de l’éducation et de la santé, la majorité (quelque 40 000) se tient toujours au repos forcé sur ordre de Ramallah.
Le gouvernement de Gaza assume de son côté la charge de quelque 50 000 fonctionnaires dont les salaires sont néanmoins régulièrement diminués de moitié en raison des difficultés financières. Des difficultés qui sont allées croissant depuis 2013 et la perte des recettes liées à l’activité des tunnels.
Quel avenir pour l’économie de Gaza ?
Alors que le bilan des victimes de la guerre continue de s’alourdir chaque jour depuis le 7 octobre, la question de l’avenir économique de la bande de Gaza est vraisemblablement secondaire. Or, par-delà la réponse nécessaire aux besoins humanitaires immédiats de la population, se pose déjà la question du financement de la reconstruction et du développement, et celle de leur mise en œuvre. L’institut de recherche palestinien MAS recense un niveau de destruction matérielle sans commune mesure avec celui des précédentes guerres.
Il rappelle aussi que toute projection économique est prématurée en l’absence de perspectives claires quant à l’issue politique et à l’évolution du gouvernement sur ce territoire. Une chose paraît certaine en revanche : il est urgent que la guerre et le blocus prennent fin pour donner leur chance à une actualité moins tragique et à un avenir tout simplement plus humain.