Ils vivent dans des camps de réfugiés, surpeuplés, dans des conditions insalubres, sans éducation et parfois, sans les soins de base. Ils sont pourtant nés de parents canadiens. Mais ces derniers sont partis faire le djihad et à ce titre, leur rapatriement n’est ni populaire, ni considéré comme prioritaire.
Le 5 octobre, le gouvernement canadien a annoncé le rapatriement de l’un d’eux, la petite Amira, une orpheline canadienne de cinq ans. Ses parents, qui avaient rejoint Daech, ont été tués en 2019 à Baghouz lors d’une frappe aérienne.
Cette « exfiltration » intervient à la suite d’un âpre combat mené par sa famille torontoise. Celle-ci a d’ailleurs intenté une poursuite judiciaire contre l’État canadien afin d’obtenir son rapatriement. Réticent à accueillir ces ressortissants considérés comme des voyageurs extrémistes canadiens (VEC), le Canada a été critiqué à maintes reprises pour son manque de proactivité et interpellé afin de faciliter le retour des enfants des VEC.
Quel traitement le Canada doit-il réserver à ces enfants et aux mineurs canadiens qui reviennent des zones considérées comme des foyers en puissance et de formation au terrorisme ?
Je m’intéresse à l’encadrement des sorties de violences dans le cadre de mes recherches doctorales. En étudiant les trajectoires des individus ayant rejoint les organisations terroristes, j’en suis venue à réfléchir à la façon dont les États doivent encadrer le retour de ces citoyens « problématiques ». Quels sont les principaux enjeux que soulèvent ces situations délicates et controversées ?
Rapatriement massif ou au cas par cas
Contrairement à la France ou aux États-Unis, le Canada n’a qu’une très faible proportion de VEC dans la zone syro-irakienne soit huit hommes, 13 femmes et 25 enfants. Toutefois, l’opinion publique est partagée entre d’une part, les obligations internationales en matière de droits des enfants et d’autre part, celles relatives aux impératifs sécuritaires. Le gouvernement canadien a toujours justifié ses réserves pour procéder au rapatriement en raison de l’absence de représentation diplomatique dans ces zones sensibles et la complexité des opérations de sauvetage, qui nécessite une planification logistique importante.
Il y a de plus absence de consensus sur le plan international concernant la démarche à suivre par les États pour faire face à ces retours souhaités par les ex-djihadistes eux-mêmes ou par les familles de ces derniers.
L’énième échec de l’adoption d’une résolution le 31 août par le Conseil de Sécurité sur le sort des combattants djihadistes étrangers reflète bien la cristallisation des deux tendances qui s’opposent sur la scène internationale. Tandis que les États-Unis et la Russie soutiennent le rapatriement systématique de tous les ressortissants ayant rejoint l’État islamique, plusieurs pays européens militent pour qu’on les traduise en justice « au plus près de l’endroit » où leurs crimes ont été commis et pour le rapatriement au cas par cas. Cette position est également partagée par le gouvernement canadien qui ne procède jusqu’ici au rapatriement que pour des cas « exceptionnels ».
Or, cette « compassion » à géométrie variable est difficile à justifier eu égard aux principes d’égalité et de non-discrimination. Les États ont des obligations légales et internationales à l’égard de leurs ressortissants. En outre, cette empathie sélective freine également les réflexions sur l’élaboration de politiques et la mise en œuvre de stratégies qui seraient adaptées pour gérer ces rapatriements.
Ces réticences s’expliquent en partie en raison des nombreux obstacles auxquels la justice fait face pour juger les VEC au Canada pour des crimes commis en Irak ou en Syrie. Il faut en effet rappeler que les individus qui ont rejoint Daech sont présumés avoir participé à des exactions graves, et qu’ils peuvent constituer une sérieuse menace à leur retour. Toutefois, l’enjeu sécuritaire mérite pourtant ici d’être remis en question s’agissant des enfants de VEC.
Accueillir les enfants de VEC : entre panique morale et réalité de la menace
Sur le terrain médiatique, le retour des VEC et/ou de leur progéniture est resté très controversé en raison des motifs sécuritaires et des risques d’endoctrinement à la suite de leurs trajectoires.
Plusieurs travaux académiques ont en effet mis en lumière les méthodes de Daech pour former des soldats du califat à travers l’utilisation par exemple de manuels scolaires comme outils de propagande.
Toutefois, la tendance médiatique accrue à présenter ces enfants comme étant systématiquement une nouvelle génération de « terroristes mineurs », des bombes à retardement ou de « folk devils » peut s’assimiler à la panique morale, théorie développée dans les travaux du chercheur Stanley Cohen. Elle conduit à définir un groupe de personnes comme un danger pour la société, ce qui oriente la mise en place de contrôles sociaux plus sévères.
Ce portrait pourtant très stéréotypé des enfants de djihadistes en général fait de ceux-ci des boucs émissaires d’une situation dans laquelle ils n’ont pas choisi d’être. De plus, la moyenne d’âge des enfants de VEC, qui est de six ans, permet de relativiser les risques qu’ils sont censés représenter pour la société et montre l’intérêt de les intégrer rapidement à une vie normale. La crainte d’accueillir ces enfants parce qu’ils ont eu des liens présumés étroits avec Daech ne devrait certainement pas occulter le fait qu’ils sont retenus dans des camps de détention en Syrie où ils vivent dans des conditions dégradantes.
Des chercheurs ont également mis en lumière, dans une étude récente, l’impact des expériences traumatiques des enfants qui reviennent de territoires anciennement contrôlés par Daech sur leur développement et leur bien-être. Dans la même veine, des initiatives visant à humaniser ces derniers et à nuancer l’opinion publique quant à leur sort ont été entremises à travers des documentaires à l’instar du balado Poussières de Daech qui illustre bien la détresse des familles et l’étendue de la complexité de ces enjeux.
Une synergie dans les interventions
En attendant que sur le plan international les pratiques et réglementations s’harmonisent au moyen de la coopération diplomatique, le gouvernement canadien doit se pencher sur le cas des enfants qui courent les risques d’apatridie parce qu’ils sont nés dans les territoires contrôlés par Daech.
Les difficultés éventuelles pour le placement des fratries sont aussi à considérer, tandis qu’un accompagnement particulier doit être fait pour la reconstitution de ces familles. En outre, il est nécessaire d’assurer une synergie dans les interventions. Il faut coordonner une approche multisectorielle, notamment entre la Gendarmerie royale du Canada, les services de la protection de l’enfance et la jeunesse ainsi que les services psychosociaux.
In fine, au risque de faire la politique de l’autruche, une réflexion doit être nécessairement menée concernant le rapatriement des VEC adultes et les mesures pénales qui doivent leur être appliquées. Il serait en effet questionnable de la part d’un pays respectueux des droits humains d’organiser uniquement les retours des orphelins ou d’arracher des enfants à leurs parents au motif qu’ils sont des VEC.
Pour les mères qui accompagnent ces enfants et qui ont parfois perdu leurs époux dans ces zones, le Canada doit aussi développer une stratégie pertinente pour faciliter leur réintégration ou encore, leur judiciarisation, si leurs exactions peuvent être prouvées. Ces réflexions s’imposent d’ailleurs, dans la mesure où les autorités kurdes viennent d’annoncer la libération de milliers de prisonniers et de familles de djihadistes du plus grand camp de réfugiés de Syrie, Al-Hol. Ils sont pour la majorité des citoyens occidentaux dont le rapatriement fait toujours l'objet de débat.