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Référendum sur le « Brexit » : comme un air de déjà vu…

Un drapeau favorable au Brexit arboré par des pêcheurs de Ramsgate (Kent). Chris J. Ratcliffe / AFP

À un peu plus d’une semaine du référendum sur le maintien ou le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne, la perspective d’un « Brexit » semble de plus de plus envisageable. Les dernières enquêtes d’opinion publiées placent en effet, pour la première fois depuis longtemps, le camp eurosceptique en tête, alors que le camp du « remain » paraissait pourtant bien placé pour l’emporter.

Une telle situation n’est pas sans rappeler la campagne référendaire de 2005 en France pour le Traité constitutionnel européen qui avait vu le « non » finalement l’emporter nettement après avoir été longtemps distancé dans les sondages. Mais là ne s’arrêtent pas les similarités.

Comme en France il y a dix ans, le débat référendaire est marqué par les interventions de différents acteurs ne participant traditionnellement pas au processus électoral. Le référendum de 2005 avait été caractérisé par les appels à voter « oui » émanant d’une multitude de personnalités ou organisations extérieures aux partis politiques : artistes (ce qui est certes assez fréquent en France), mais aussi militaires, membres du clergé, syndicalistes, industriels, écrivains, universitaires… Une structure avait même été créée à gauche par Jack Lang pour rassembler ces soutiens.

Le camp du « in » : de Barack Obama à Jude Law

La campagne référendaire britannique actuelle est encore plus frappante à cet égard. L’intervention des milieux économiques est ainsi particulièrement marquée. Dans le camp du « in », des personnalités importantes du monde des affaires appellent à rester dans l’UE : Lord Sugar, célèbre entrepreneur et vedette de l’émission « The Apprentice », Jamie Dimon, le patron de la banque d’affaires JP Morgan, et Paul Polman, PDG d’Unilever. Plusieurs entreprises ont même communiqué avec leurs employés pour insister sur les enjeux du référendum (Rolls-Royce, Airbus, HSBC, Microsoft…). Plus rares sont les entrepreneurs à soutenir le Brexit. Et bien qu’habituellement opposés, la puissante confédération patronale (le CBI) et les syndicats réunis au sein du TUC se retrouvent ensemble pour soutenir le « remain ».

Les interventions d’importantes personnalités politiques étrangères, en particulier Barack Obama et Angela Merkel, ont eu un réel écho, mais elles n’ont pas été les seules. Les chefs des gouvernements espagnol et néerlandais, le ministre de l’Économie italien Pier Carlo Padoan et même l’ancien ministre des Finances et économiste grec Yanis Varoufakis, peu suspect d’europhilie, ont appelé le Royaume-Uni à rester dans l’UE.

Angela Merkel, David Cameron et Barack Obama ici en 2009. Number 10/Flickr, CC BY-NC-ND

Cela a aussi été le cas pour nombre d’institutions internationales telles que le FMI ou l’OCDE. La Table ronde des industriels européens (ERT) qui rassemble les plus grandes entreprises européennes a publié un communiqué indiquant qu’« une Europe sans le Royaume-Uni serait plus faible, de même que le Royaume-Uni lui-même serait plus faible hors de l’Europe ». Finalement, très rares ont été les voix internationales – dont celles de Donald Trump – à soutenir le Brexit.

Comme en France en 2005, le monde artistique s’est lui aussi mobilisé. Près de 300 « people », dont l’humoriste Eddie Izzard, la créatrice de mode Vivienne Westwood ou l’acteur Jude Law, ont signé une lettre soutenant le « in ». Des scientifiques (Stephen Hawking), des membres du clergé et des universitaires ont pris parti, presque à chaque fois pour enjoindre les électeurs à ne pas sortir de l’Europe…

Reste à l’analyste politique à évaluer l’efficacité de toutes ces interventions et à déterminer si elles ne sont pas paradoxalement contre-productives. Comme en France, la grande majorité de ces voix appelle à soutenir l’Europe, visiblement sans succès. Au contraire.

Vers un vote anti-establishment ?

Un phénomène similaire à ce qui s’était passé en 2005 en France semble en effet se produire : le vote Brexit devient un vote « anti-establishment » pour dénoncer des élites coupées du peuple. Nigel Farage, le leader de l’UKIP, joue notamment sur ce registre. Au même moment, le Parti travailliste semble bien en peine de faire passer son message du « in » auprès d’un électorat populaire visiblement tenté par le Brexit. Si le Labour est certes moins divisé que les Tories, le soutien du bout des lèvres de son leader Jeremy Corbin au camp du « remain » ne semble pas porter. Il est possible que son passé d’eurosceptique notoire vienne brouiller un peu plus son message.

Le leader de l’UKIP, Nigel Farage, en campagne le 13 juin. Chris J. Ratcliffe/AFP

Il convient aussi de rappeler qu’au cours des dernières campagnes électorales, les médias, en particulier télévisés, ont insisté sur plusieurs incidents montrant un supposé divorce entre le petit peuple britannique et ses leaders politiques, en particulier travaillistes. L’ancien Premier ministre Gordon Brown avait été sévèrement critiqué en 2010 lorsqu’il avait été surpris en train de traiter de « bigote » une personne âgée, pourtant sympathisante du Labour, parce que celle-ci lui avait exprimé ses préoccupations sur l’économie et l’immigration. En 2014, c’est le « white van man », c’est-à-dire le petit artisan indépendant, qui avait été brocardé par une députée travailliste, provoquant un scandale et finalement sa démission.

La récente mise en cause de David Cameron, le grand leader du « remain », dans le scandale Panama papers n’est pas non plus de nature à faire passer son camp pour proche des préoccupations de l’homme de la rue. La critique d’élites bruxelloises bureaucratiques, lointaines, anonymes, presque quotidiennement relayée par les tabloïds depuis 1975, a toujours rencontré un écho important dans un pays où la proximité entre l’électeur et son représentant est considérée comme une valeur démocratique essentielle.

Le retour de l’épouvantail turc

Les thématiques et messages de la campagne actuelle constituent également un objet d’étude intéressant. De l’avis général, le référendum britannique a été caractérisé par deux approches et par deux thèmes. L’approche du camp du « remain » a été avant tout d’insister sur les risques que comporte un départ de l’UE, et ce quel que soit le sujet. Celle du camp du Brexit a été de mettre en avant l’idée de reprendre le contrôle (« take back control ») dans tous les domaines.

Quant aux thématiques, deux d’entre elles ont dominé : l’économie et l’immigration. Les partisans du « leave » ont fait de cette dernière leur thème privilégié et cela semble avoir porté au sein des classes populaires. Le message d’une immigration européenne hors de contrôle, ayant un impact négatif sur les services publics et les salaires est devenu récurrent. Et comme en 2005 en France, la question turque a peu à peu pris de l’ampleur, en particulier dans les discours et interventions télévisées de l’UKIP. La menace d’une adhésion de la Turquie et de ses 80 millions d’habitants est ainsi brandie comme elle l’avait été en France quand certains opposants au traité constitutionnel appelaient à s’opposer à la « Constitution turque ».

« J’aime l’Europe, je vote non »

Enfin, l’adoption par les partisans du « out » d’un nouveau slogan – « Love Europe, leave the EU » – n’est pas sans rappeler le « J’aime l’Europe, je vote non » que les tenants du camp du non avaient adopté en France il y a dix ans.

En mai 2005, le « non » l’avait emporté en France. Andrew Phelps/Flickr, CC BY-NC-ND

Il reste aujourd’hui bien difficile de se prononcer sur l’issue du référendum britannique. Toutefois, si le camp du « out » sort vainqueur, de multiples analyses de ce scrutin seront proposées. Parmi ces analyses, certaines devront s’interroger sur des dynamiques de campagne très similaires à celles qui avaient fini par voir le « non » l’emporter en France en mai 2005.

Les autres interrogations en cas de victoire du Brexit portent sur le futur de l’UE. Dans une telle hypothèse, la construction européenne entrerait dans un nouveau cycle. États membres et institutions communautaires auraient alors à faire face à de multiples questions et pressions remettant en cause l’engagement européen, et surtout ses modalités.

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