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Réforme des retraites : comment les parlementaires tentent de rassembler leurs troupes

Elisabeth Borne, Première ministre, invitée lors de l'émission télévisée de France 2 L'Événement le 31 janvier, regarde l'écran où apparaissent les chefs de file des différents partis, dont les députés doivent débattre cette semaine le projet de loi sur la réforme  des retraites.
Elisabeth Borne, Première ministre, invitée lors de l'émission télévisée de France 2 L'Événement le 31 janvier, regarde l'écran où apparaissent des représentants des différents partis, dont les députés doivent débattre cette semaine le projet de loi sur la réforme des retraites. Emmanuel DUNAND / AFP

La réforme des retraites engagée par le gouvernement Borne met en lumière les diverses dynamiques internes à l’Assemblée nationale. À gauche, la stratégie de mobilisation de l’opinion complète celle de l’obstruction avec le dépôt massif d’amendements – près de 6 000 amendements en commission des Affaires sociales et près de 18 000 amendements en séance publique.

À droite, Les Républicains sont en position de faiseurs de roi en votant avec la majorité en échange de concessions sur l’âge de départ les carrières longues. Au Rassemblement national, discret sur le sujet, on se targue d’avoir obtenu (par tirage au sort) l’examen de sa motion référendaire sur le projet de réforme.

Enfin, au sein de la majorité présidentielle, le défi est de mobiliser les troupes et d’assurer une cohésion de vote. Il y a alors lieu de comprendre le rôle clef des groupes politiques à l’Assemblée, tant pour assurer une cohésion idéologique que de bénéficier des avantages stratégiques liées à la création d’un groupe.

Les groupes politiques et leur cohésion

Comme dans tout parlement, l’Assemblée nationale se compose de « groupes politiques », où les députés se regroupent généralement par affinité (souvent issus du même parti politique), animés par la défense d’un intérêt commun (le groupe « Groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires » défend les territoires et leurs identités) ou encore pour des raisons techniques, c’est-à-dire constituer un groupe sans attache partisane, dans le but de bénéficier des avantages d’un groupe politique. Ce dernier cas est apparu à plusieurs reprises, en 1959 avec la « Formation administrative des élus d’Algérie et du Sahara », en 1993 avec le groupe « Liberté et République » ou encore en 2018 avec le groupe « Liberté et Territoires », l’ancêtre de l’actuel groupe LIOT.

Pour les groupes de la majorité et de l’opposition, il est important de montrer cohérence et unité. Pourtant, le système électoral français devrait inciter à cultiver un vote personnel des députés (étant donné qu’il n’y a qu’un seul siège par circonscription). Ce ne serait sans compter sur l’augmentation de la cohésion et de la discipline de parti sous la Ve République comme le rappelait le professeur de science politique Nicolas Sauger. Cette discipline de vote est possible puisque plusieurs prérogatives relèvent des groupes (c’est-à-dire sa présidence) et non du bon vouloir des députés, comme la répartition dans les commissions, du temps de parole… et même la place dans l’hémicycle (être dans l’axe des caméras de l’Hémicycle peut être un atout pour montrer sa visibilité).

Le meilleur et le pire de l'Hémicycle, Huffington Post, 2022.

Le manque de solidarité envers le groupe peut se solder par une exclusion du député. Il est également possible pour le président de la République de discipliner indirectement les plus réfractaires de sa majorité avec l’arme de la dissolution de l’Assemblée. C’est ce que le général de Gaulle avait répliqué à la censure du Gouvernement Pompidou en 1962. Une telle option serait alors possible en cas d’indiscipline des députés de la majorité sur le sujet des retraites puisqu’il se murmure qu’Emmanuel Macron envisagerait de dissoudre à son tour l’Assemblée.

De l’intérêt d’avoir son groupe parlementaire

Disposer d’un groupe politique octroie des avantages non négligeables en raison du Règlement de l’Assemblée nationale (RAN) qui oblige les organes à reproduire la configuration politique de l’Assemblée. Cela concerne entre autres la répartition du temps de parole, du nombre de sièges dans les commissions, des responsabilités du Bureau de l’Assemblée (vice-président, secrétaire, questeur) ou des rapporteurs. De plus, chaque président de groupe politique participe à la Conférence des présidents, l’organe chargé de déterminer l’agenda de l’Assemblée, dont le nombre de voix est égal au nombre de membres de son groupe.

Dans un contexte où le parti présidentiel ne dispose pas de la majorité absolue des sièges à l’Assemblée, former son propre groupe à l’Assemblée (d’au moins 15 députés) est d’autant plus intéressant pour le MoDem et Horizons afin de peser auprès de l’Exécutif pour les raisons développées ci-haut.

L’introduction du statut de « minoritaire » en 2008 permet par ailleurs à des groupes politiques comme le MoDem et Horizons de se positionner en appui au parti présidentiel Renaissance tout en reflétant un pluralisme de la majorité et en conservant une certaine liberté de vote. À ce sujet, en matière de cohésion de vote, les politologues Jean-François Godbout et Martial Foucault constatent qu’en cas de coalition gouvernementale, les membres du plus petit groupe de l’alliance sont plus susceptibles de s’opposer au gouvernement (en raison d’incitations électorales ou idéologiques).

S’appuyer sur sa majorité… et sa droite

Plusieurs députés de la majorité ont exprimé leur hésitation à soutenir le projet de réforme des retraites. On y retrouve aussi bien des députés de Renaissance, du MoDem et d’Horizons. Le défi de la cohésion de vote pour la majorité se heurte aussi bien à une pluralité idéologique qu’à la capacité de faire pression sur le gouvernement.

Cette incertitude de la majorité renforce la position du groupe Les Républicains qui, avec ses 61 députés (dont deux apparentés, après l’annulation de l’élection de Meyer Habib), a un rôle pivot pour l’adoption de la réforme. En situation de gouvernement minoritaire, ce type de groupe pivot détient une influence disproportionnée par rapport à leur force absolue comme le démontre le politologue Olivier Rozenberg sur la période 1988-1993. Effectivement, le groupe de droite ne représente que 10 % de l’Hémicycle en étant le 4e groupe politique en effectifs, mais il faudrait une défection d’une vingtaine de députés LR pour qu’il n’y ait pas de majorité sur ce texte. Or, le groupe LR est celui avec le moins de cohésion de l’Assemblée (0,82).

Reste à voir comment Les Républicains voteront lorsque le projet de réforme passera au Sénat, où la droite y est majoritaire.


L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Jean-François Godbout.

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