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a killer whale chasing a school of small fish
Les toxines issues de la pollution s’accumulent dans le corps des épaulards par l’intermédiaire des petits poissons qu’ils consomment. (Audun Rikardsen), Fourni par l'auteur

Régime alimentaire toxique : la santé des orques du Canada est fortement menacée par la pollution

Les orques, également appelées épaulards, sont connues pour leur intelligence et leur présence impressionnante. Elles sont également confrontées à une menace silencieuse, mais persistante, sous la surface de nos océans.

Mes recherches sont consacrées aux orques et à leur régime alimentaire dans l’Atlantique Nord. D’autres études se sont déjà penchées sur les populations de l’océan Pacifique. Jusqu’à présent, il n’existait que très peu de données sur celles de l’Atlantique Nord, particulièrement pour celles de l’est du Canada et de l’Arctique canadien.

En collaboration avec d’autres chercheurs internationaux, j’ai récemment publié une étude dans Environmental Science & Technology qui révèle une réalité troublante : ces prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire transportent des taux élevés de polluants organiques persistants (POPs) dans leur graisse. L’accumulation de ces contaminants synthétiques entraîne des risques pour leur santé.

Polluants éternels

Les POPs sont également appelés « polluants éternels » en raison de leur remarquable stabilité et de leur caractère durable. Ce groupe comprend des composés bien connus comme les biphényles polychlorés (BPC), les pesticides chlorés comme le dichlorodiphényltrichloréthane (DDT) et les retardateurs de flammes bromés.

Au siècle dernier, ces produits chimiques ont été fabriqués en masse et utilisés dans un large éventail d’applications, notamment dans les processus industriels ou dans l’agriculture. Mais des recherches menées en Suède à la fin des années 1960 ont révélé que ces substances s’accumulent dans les organismes vivants et persistent dans l’environnement.

Les produits chimiques se lient aux graisses et leur concentration augmente au fur et à mesure qu’ils remontent la chaîne alimentaire, ce qui affecte surtout les dauphins et les baleines. Ces animaux, qui sont des prédateurs avec un niveau trophique élevé, en accumulent de plus grandes quantités et peinent à les éliminer. Cette accumulation de contaminants dans leur régime alimentaire – appelée bioamplification – est particulièrement préoccupante pour les mammifères marins, dont la température corporelle et les besoins énergétiques dépendent d’une quantité importante de graisses.

À des concentrations élevées, ces substances chimiques perturbent les systèmes immunitaires et hormonaux des mammifères, mais affectent également leur capacité à se reproduire et peuvent même provoquer des cancers.

gros plan d’une orque dévorant un poisson
Les orques qui se nourrissent principalement de poissons ont tendance à présenter des taux de contaminants plus faibles. (Audun Rikardsen), Author provided (no reuse)

Une contamination qui varie beaucoup

Notre étude, qui porte sur 160 orques, révèle un schéma inquiétant de contamination par les BPC dans l’ensemble de l’Atlantique Nord. Les concentrations varient considérablement d’un endroit à l’autre de l’océan, allant d’une quantité stupéfiante de 100 mg/kg dans l’ouest de l’Atlantique Nord à environ 50 mg/kg au centre de cette même région. Fait intrigant, les orques vivant dans l’est de l’Atlantique Nord, notamment en Norvège, présentent des concentrations de BPC plus faibles, de l’ordre de 10 mg/kg.

Signalons que les effets sur le système immunitaire liés aux BPC commencent à se manifester à partir de 10 mg/kg ; l’infertilité a été observée chez les mammifères marins à partir de 41 mg/kg. Les orques de l’est du Canada et de l’Arctique canadien présentent des taux de BPC dépassant le double du seuil associé aux problèmes de reproduction chez ces animaux.

Dis-moi ce que tu manges

Le régime alimentaire joue un rôle essentiel dans ce schéma de contamination. Les orques qui se nourrissent principalement de poissons montrent généralement des taux de contaminants plus faibles. En revanche, celles qui consomment des mammifères marins, en particulier des phoques et des baleines à dents, affichent des concentrations plus élevées.

Les orques dont le régime alimentaire est mixte – contenant à la fois du poisson et des mammifères marins – ont tendance à afficher des taux élevés de contaminants, principalement en Islande.

Nos recherches ont pour but d’étudier les répercussions potentielles des préférences alimentaires sur la santé des orques. Les évaluations des risques suggèrent que les individus de l’ouest de l’Atlantique Nord et de certaines zones à l’est, dont le régime alimentaire est mixte, sont exposés à des risques plus élevés, directement liés à ce qu’ils mangent.

Parmi les contaminants émergents, l’hexabromocyclododécane (HBCDD), un retardateur de flamme, est particulièrement préoccupant. Les concentrations de HBCDD chez les orques de l’Atlantique Nord sont parmi les plus élevées mesurées parmi les mammifères marins, dépassant les concentrations observées dans leurs congénères du Pacifique Nord.

Disparition de la glace marine

Ce constat révèle la fascinante complexité de l’écologie des orques et souligne l’impact considérable de leurs préférences alimentaires sur leur exposition aux polluants environnementaux.

Cela soulève également des inquiétudes pour les orques « envahissant l’Arctique » qui se déplacent progressivement vers le nord en raison des changements climatiques. Leur grande nageoire dorsale les empêche normalement de naviguer parmi les glaces marines denses. Mais la fonte de ces glaces a permis aux orques d’accéder à un nouvel habitat abritant d’autres espèces de proies.

Les chercheurs pensent qu’ils y chasseront de plus en plus de mammifères marins, tels que les phoques annelés, les narvals et les bélugas. Ces changements de régime alimentaire, influencés par l’évolution de notre environnement, peuvent entraîner des risques accrus pour la santé des prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire.

Les femelles sont moins contaminées grâce au transfert maternel

L’étude met également en évidence une différence de concentration de contaminants selon le sexe. Les orques mâles semblent plus touchées que leurs homologues femelles, en raison du transfert de contaminants des femelles adultes à leur progéniture pendant la gestation et l’allaitement.

Les mères orques utilisent leur propre énergie pour produire du lait très gras pour leurs petits, les aidant ainsi à grandir rapidement et à rester en bonne santé. Ce lait nutritif provient de la graisse de la mère, où les contaminants sont stockés. Lorsqu’elle nourrit ses petits, elle peut leur transmettre jusqu’à 70 % de ces contaminants stockés.

un petit orque et un autre plus grand nageant côte à côte
Les mères orques peuvent transmettre à leurs petits jusqu’à 70 % des contaminants stockés dans leur graisse. (Anaïs Remili), Author provided (no reuse)

Mesures d’urgence

Face à ces résultats, il est urgent d’agir pour protéger les orques de l’Atlantique Nord et leurs écosystèmes. L’objectif du traité des Nations unies de 2001, qui consiste à éliminer progressivement et à détruire les BPC d’ici 2028, est de moins en moins réalisable.

Des quantités considérables de déchets contaminés par les BPC sont stockées dans des entrepôts en mauvais état, au risque de voir les polluants se retrouver dans l’environnement et d’affecter encore davantage nos écosystèmes. Qui plus est, lorsqu’un produit chimique est interdit, un autre apparaît souvent, avec suffisamment de variation pour échapper aux réglementations précédentes, perpétuant ainsi un cycle dévastateur.

Pour s’attaquer efficacement au problème de l’accumulation de contaminants chez les orques, il est nécessaire de prendre les mesures suivantes :

  • des actions urgentes sont indispensables pour l’élimination adéquate des déchets contaminés par les BPC, en privilégiant la collaboration internationale pour aider les pays qui ne disposent pas de l’infrastructure nécessaire à la gestion des déchets ;

  • il est essentiel d’empêcher la libération de nouveaux contaminants potentiellement plus nocifs dans l’environnement en améliorant les tests de toxicité des produits chimiques avant leur mise en marché ;

  • la coopération entre les écotoxicologues, les biologistes de la conservation, les décideurs politiques et les autres parties prenantes est primordiale. Des stratégies efficaces pour atténuer les effets néfastes de la pollution ne peuvent être élaborées que grâce à des efforts collectifs ;

  • des initiatives de conservation ciblées doivent être prises en faveur des populations les plus menacées, telles que les orques de l’est de l’Arctique canadien et de l’est du Canada.

La pollution chimique a été identifiée comme l’une des neuf menaces mondiales de notre époque pour la faune et la flore, ainsi que pour la santé humaine. Il est temps d’apporter à notre planète – et aux orques – le répit dont elle a besoin en réduisant les contaminants existants par des actions concrètes.

This article was originally published in English

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