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 Photo de personnes en train de discuter lors d’une répétition musicale.
La confiance en soi varie d’un individu à l’autre, mais pourquoi ?

Santé mentale : de quoi la confiance en soi dépend-elle ?

En France, on estime qu’une personne sur cinq a souffert ou souffrira d’un ou plusieurs épisodes de dépression au cours de sa vie. Le coût humain – et économique – de cette maladie est considérable, ce qui explique que sa prise en charge soit l’une des priorités du gouvernement.

Les recherches scientifiques ont démontré que l’estime de soi est un facteur clef dans l’émergence des troubles mentaux, en particulier ceux de nature anxieuse et dépressive. Mieux comprendre comment l’estime de soi et la confiance en nos capacités s’établissent et se maintiennent au cours de la vie pourrait permettre de mieux prendre en charge certains de ces troubles.

Aujourd’hui encore, les mécanismes cognitifs et cérébraux qui sous-tendent l’estime de soi ou mènent à son altération demeurent mal connus. Avant de pouvoir les élucider, il faut d’abord répondre à plusieurs questions : à quel niveaux s’exprime la confiance ? Pourquoi est-elle si variable d’un individu à l’autre ? Existe-t-il des « profils psychiatriques » liés à l’estime de soi ?

Situés à l’intersection des neurosciences, de la modélisation mathématique et de la psychiatrie, nos travaux de recherche ambitionnent de répondre à ces questions, afin de mieux comprendre cet aspect critique de la cognition humaine.

Voici ce que nous avons appris jusqu’à présent, ainsi que les principales hypothèses en vigueur.

Estime de soi et engagement

Les études de psychologie montrent qu’une confiance en soi et en ses capacités élevées est associée à un plus fort sentiment de contrôle sur ce qui nous arrive, ce qui est davantage propice à tenter de relever des défis. Cela procure également davantage de motivation, ce qui se traduit par la mise en œuvre d’efforts plus importants face à d’éventuelles épreuves. Par conséquent, un tel état d’esprit crée un contexte qui renforce les chances de connaître des succès, ce qui, en retour, peut renforcer la confiance en soi.

À l’inverse, nous avons tous l’intuition que si, au moment d’envisager de se lancer dans un projet, une personne manque de confiance en elle, elle risque de « ne pas y croire », et donc de renoncer à essayer. Les chances de succès - et, par conséquent, les opportunités de renforcer positivement sa confiance en soi - sont alors moindres.

Cette situation pourrait être un facteur de risque d’émergence de troubles anxieux ou dépressifs, mais des interrogations demeurent : est-ce la faible estime de soi qui conduit à l’apparition de troubles anxieux ou dépressifs ? Ou est-ce l’existence d’un trouble anxieux ou dépressif qui contribue à diminuer l’estime de soi ?

Pour explorer ces questions, il faut s’intéresser à la façon dont les individus établissent des jugements de confiance.

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Une grande variabilité de confiance en soi

Quand on s’intéresse aux jugements de confiance que portent les individus, on s’aperçoit qu’il existe une immense variabilité. Ainsi, une personne dépressive peut sous-estimer ses capacités à accomplir une tâche malgré une performance comparable aux autres, tandis qu’une personne souffrant de troubles cognitifs (dans un contexte de début de démence par exemple) peut continuer d’avoir confiance en ses capacités, malgré des déficits dans différents contextes.

Cette variabilité, dont les origines ne sont pas connues, s’exprime sous deux formes principales.

La première forme correspond au degré auquel les jugements de confiance portés par un individu lui permettent de discriminer entre ses propres réponses correctes et ses erreurs. On peut par exemple être surconfiant(e), mais être quand même un peu moins surconfiant(e) lorsque l’on s’est trompé(e) que lorsque l’on a raison. À l’inverse, on peut être surconfiant(e), mais de manière égale, quelle que soit la justesse de notre réponse, ce qui est « encore pire ».

La seconde forme principale de variabilité des jugements de confiance est due à l’existence (ou non), en moyenne, d’un décalage entre la confiance subjective et la performance objective, en considérant la notion de performance prise au sens large.

Nous avons tous constaté que certaines personnes se sous-estiment, tandis que d’autres se surestiment. D’autres encore sont en revanche plutôt bien « calibrées » : elles sont capables d’avoir un niveau de confiance élevé lorsque leur performance objective est élevée, et plus faible lorsque leur performance est réellement plus faible.

À l’échelle de la population, un résultat bien validé en psychologie comportementale et en économie est que nous sommes (légèrement) surconfiants. Par exemple, plus de la moitié des personnes pensent qu’elles conduisent mieux que la moyenne, qu’elles sont plus intelligentes que la moyenne… Alors que ce devrait être (environ) la moitié.

Cela peut concerner aussi l’évaluation de la validité de sa propre mémoire : si un individu se plaint de pertes de mémoire, a-t-il des raisons objectives de se plaindre ? Ou est-ce qu’en réalité sa mémoire est intacte, mais sa perception subjective de sa mémoire est altérée ?

Historiquement, il a été difficile d’isoler les changements dans la manière d’évaluer sa confiance indépendamment de changements dans d’autres caractéristiques de notre fonctionnement cognitif. La tâche est rendue d’autant plus difficile que la confiance s’exprime à différents niveaux.

Différents niveaux de confiance

Nos jugements de confiance s’expriment à différents niveaux hiérarchiques :

  1. notre confiance en une décision donnée localement (« J’ai bien répondu à cette question ») ;
  2. notre confiance dans une tâche (« J’ai plutôt bien réussi cet examen ») ;
  3. notre confiance dans un domaine cognitif donné (« J’ai bonne mémoire ») ;
  4. jusqu’à notre confiance en soi, qui constitue un niveau global.
Schéma des niveaux hiérarchique de confiance en soi, du local au global
Les niveaux hiérarchique de confiance en soi, du local au global. Marion Rouault, Fourni par l'auteur

Ces distinctions sont importantes : je peux avoir confiance en ma capacité à conduire par mauvais temps (domaine perceptif), alors que je ne suis pas sûre de me souvenir d’une liste de choses à faire (domaine de la mémoire).

De même, sur certains types d’exercice, je peux être capable de « savoir quand je sais et savoir quand je ne sais pas », alors que pour d’autres matières, je ne saurai pas bien identifier mes erreurs et mes succès.

Cette question du niveau de confiance a des enjeux pour les interventions visant à restaurer une confiance adaptée chez des patients ou des élèves.

Deux hypothèses principales

À l’heure actuelle, deux hypothèses coexistent quant aux mécanismes qui sous-tendent l’estime de soi.

L’une est qu’il existerait un mécanisme d’auto-évaluation central, qui permettrait d’évaluer la confiance en une réponse, ou sur une tâche donnée. Ce mécanisme serait le même dans différents domaines, comme la mémoire, le langage, ou le raisonnement. Dans ce cas de figure, des interventions visant à améliorer l’estime de soi devraient viser à « rééduquer » ou « entraîner » cette capacité de jugement très centrale, indépendante de la tâche en cours. Les bénéfices se généraliseront ensuite.

La seconde hypothèse postule que nos jugements de confiance ne résulteraient pas d’un mécanisme central d’auto-évaluation, mais seraient intimement liés à chaque domaine. Dans ce cas, il faudra que chaque intervention cible le domaine d’intérêt particulier sur lequel on juge qu’il est nécessaire d’agir.

À l’heure actuelle, ces deux hypothèses demeurent débattues. Les résultats de recherche, que ce soit au niveau comportemental ou neural, tendent à indiquer que la réalité se situe probablement entre les deux. Il n’existerait pas un unique mécanisme centralisé - ce qui ne conférerait probablement pas assez de flexibilité, mais il n’existe pas non plus de mécanisme spécifique pour chaque domaine - ce qui à l’inverse s’avérerait trop peu efficace et coûteux à entretenir pour le cerveau.

Des profils hétérogènes de santé mentale dans la population

Une difficulté supplémentaire dans l’étude de la confiance est que la classification actuelle des troubles psychiatriques, selon le DSM-5, le manuel américain de référence, est questionnée par les chercheurs.

C’est particulièrement le cas de l’idée qu’« un symptôme équivaut à une maladie ». Par exemple, être anxieux n’est pas un symptôme diagnostique d’un seul trouble psychiatrique : on peut être anxieux dans une dépression, dans un trouble de la personnalité borderline, etc.

Réciproquement, une maladie ne veut pas dire un seul symptôme. Dans le cas des troubles obsessionnels compulsifs (TOCs), par exemple, certains patients sont surconfiants, tandis que la plupart sont sous-confiants (parce que très anxieux par exemple). Pourtant, leur diagnostic est le même.

Cela rend difficile de prédire de manière fiable quelle option de traitement serait la plus efficace pour un(e) patient(e) donné(e). En effet, si la classification traditionnelle est cliniquement pertinente, elle ne correspondrait pas toujours directement à la neurobiologie des troubles psychiatriques.

Pour sortir de cette approche traditionnelle, l’approche dite « dimensionnelle » se focalise sur les symptômes sous-jacents, qui peuvent être communs à plusieurs maladies. On peut la voir comme une classification alternative, qualifiée de « transdiagnostique », c’est-à-dire qui fonctionne « à travers » les diagnostics et catégories classiques.

Les maths peuvent aider à mieux décrire la variabilité des symptômes de santé mentale

Traditionnellement, pour diagnostiquer les troubles mentaux, psychologues et médecins se basent sur les symptômes rapportés par les patients, qui les expriment lors des consultations et en répondant à des questionnaires spécialisés. On y trouve par exemple des questions du type « Avez-vous du mal à prendre des décisions ? », « Vous sentez-vous parfois anxieux au point d’avoir du mal à respirer ? », etc.

En utilisant des outils d’analyse basés sur l’apprentissage machine, les chercheurs ont essayé de grouper les symptômes de façon à identifier s’il existe des points communs entre différentes pathologies, plutôt que d’étudier chaque maladie séparément.

Une fois que l’on a pu établir des groupements de symptômes communs à plusieurs maladies, on peut mettre à contribution des techniques expérimentales pour mieux comprendre les mécanismes biologiques, cognitifs ou comportementaux en jeu.

Pour reprendre l’exemple des TOCs, l’approche par apprentissage machine a pour objectif d’identifier des sous-groupes (par exemple, un groupe « anxiété ») des formes de la pathologie se traduisant par une sous-confiance ou une surconfiance. L’espoir est de permettre de proposer des traitements ou des psychothérapies plus adaptées à chacun. En effet, il est possible qu’une personne atteinte de TOC anxieux ne réponde pas de la même façon à un traitement donné qu’une personne atteinte de TOC dans lequel l’anxiété joue un rôle moindre…

Dans la population générale

L’idée est que les symptômes de santé mentale fluctuent naturellement, non seulement chez les patients, mais dans toute la population. Et ce, même chez des personnes qui n’ont pas de trouble psychiatrique diagnostiqué : nous sommes tous à un certain degré plus ou moins anxieux, plus ou moins impulsifs, plus ou moins obsessifs, etc.

En utilisant une approche par apprentissage machine sur des échantillons de nombreux volontaires, on retrouve que les personnes présentant des symptômes compulsifs et de type pensées intrusives plus importants ont généralement une confiance plus élevée, mais une auto-évaluation moins fiable. Ce mélange pourrait expliquer des effets psychologiques tels qu’une tendance à tirer des conclusions hâtives.

Schéma de l’approche mathématique utilisée pour aborder les variations de jugements de soi
Les approches dimensionnelles prennent en compte les hétérogénéités de symptômes au sein d’une même « catégorie diagnostique », et entre ces catégories, en identifiant des dimensions latentes sous-jacentes à divers symptômes de santé mentale, qui fluctuent naturellement au sein de la population. Marion Rouault, Fourni par l'auteur

En revanche, on constate que des personnes présentant des symptômes anxieux et dépressifs plus marqués ont une confiance plus faible dans leurs décisions, mais une auto-évaluation plus juste – on parle parfois de « réalisme dépressif ». Ces résultats semblent néanmoins dépendre du domaine dans lequel on évalue notre confiance.

Mieux comprendre comment les jugements de confiance se construisent permettra de déterminer l’origine des variations importantes d’auto-évaluation qui existent d’une personne à l’autre. Cela pourra aussi aider à prendre conscience des décalages qui peuvent exister entre notre performance et la perception que nous en avons. Et de réaliser qu’il existe parfois des décalages entre notre réussite réelle et l’image que l’on s’en fait…


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