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Sénégal : décès de Pathé Diagne, un intellectuel aux multiples talents

Un homme en lunettes porte une casquette noire et une cchemise de même couleur
L'intellectuel sénégalais Pathé Diagne. Photo : Adjaratou O. Sall

L'universitaire sénégalais Pathé Diagne, décédé le 23 août, fut un homme multidimensionnel qui a consacré sa vie à la recherche, à l'enseignement à la promotion des langues nationales et à la richesse culturelle et intellectuelle de l'Afrique.

Son engagement dans le combat linguistique sur la description des langues nationales et notamment sur la gémination du wolof du temps de l'ancien président du Sénégal Léopold Sédar Senghor, a été remarquable et a posé les jalons de la recherche approfondie sur nos langues nationales et des décrets sur leur orthographe.

Né à Saint-Louis, en 1934, Pathé Diagne y grandit et ne quittera sa ville natale que pour achever ses classes terminales à Dakar. Économiste, linguiste, historien des civilisations, et éditeur, il a été formé à diverses disciplines à l'Université de Dakar devenue Université Cheikh Anta Diop, à l`Université de Paris-Sorbonne et à l’École pratique des hautes études en sciences sociales de Paris.

Linguiste

Pathé Diagne a participé, par ses travaux, au début des années 1960, aux États-Unis, à l’avènement de la linguistique transformationnelle et générative à l’Université de Carbondale (Illinois). Il a de même contribué aux études de linguistiques comparatives initiées au sein de la West African Linguistic Society. Il a été enseignant-chercheur à l’Institut fondamental d'Afrique noire (IFAN) et à la Faculté de lettres et sciences humaines de l`Université de Dakar.

Pathé Diagne a collecté des textes fondamentaux de la littérature sénégalaise et assuré de multiples traductions en langue wolof d’œuvres de Sophocle, Tolstoï, Shakespeare, Buchner, Gogol, etc. Il a conçu le programme “Langues africaines Horizon 2000” de l`Unesco, dans les années 1980.

Ancien rédacteur en chef de la revue Présence Africaine, Pathé Diagne a été l’un des organisateurs du Festival mondial des arts nègres de Dakar (1966), du Festival panafricain d'Alger (1969) et du Manifeste culturel africain qui a débouché sur la charte culturelle de l'Afrique de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) devenue Union africaine (1977). Il a créé la Librairie et les Éditions Sankoré à Dakar, au milieu des années 1970. Il est l'organisateur de la première Conférence panafricaine de Dakar (1984).

Fondateur de l`Association internationale des arts et cultures (AIFESPAC), il a, dans ce cadre, initié le Projet Gorée-Almadies, écrit et réalisé le spectacle, Gorée est mémoire, donné en mondovision par la télévision italienne (RAI), sur l’île de Gorée, au large de Dakar, en 1987.

Economiste

Comme écobomiste, Pathé Diagne a été consultant pour le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le Programme des Nations unies pour l'environnement (UNEP), etc. Il a été responsable de l'élaboration de programmes industriels de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cdedao) et de la Communauté économique des pays des grands lacs (CEPGL). L’université est donc sa destinée, a été sa destination avec ses laboratoires dont le Centre de linguistique appliquée de Dakar (CLAD), les instituts (IFAN), la Faculté des lettres et sciences humaines, la Faculté des sciences économiques et gestion avec leurs départements, etc.

Il a mis en oeuvre, toujours à Dakar, avec l'appui de la Fondation Ford, le Centre d'études de prospective alternative et de politologie (CEPAP).

Pathé a ouvert ces fenêtres que nous avons nommées, il a croisé le fer avec collègues et étudiants et le personnel administratif, technique et de service. Il a été bousculé parfois, il a laissé des semences, des fruits.

Ami de Ousmane Sembène

Il a osé secouer le cocotier en organisant sur le campus de l’Université de Dakar, le fameux symposium sur l'oeuvre du professeur Cheikh Anta Diop.

Avec son ami, le cinéaste Ousmane Sembène, il a su profiter de l’ère de l’élargissement démocratique initiée par son ami le président Abdou Diouf, il a su se prononcer avec force et détermination sur les projets culturels, économiques, socio-politiques des animateurs des deux alternances postcoloniales survenues au Sénégal en 2000 et 2012.

Pathé Diagne était un homme aux multiples talents et un érudit accompli. Son parcours académique, tout d'abord à l'IFAN dans les années 70 puis à l'université de Dakar, est un témoignage de sa dévotion à la recherche et de son amour pour l'Afrique et son histoire.

Jeune linguiste prometteur, il a très vite marqué de son empreinte à l'IFAN en menant des recherches innovantes sur les langues africaines, en publiant en flux continu des ouvrages célèbres.

Pathé Diagne a publié quelques classiques qui ont contribué à défricher divers domaines : La Grammaire Moderne du Wolof (1967), Anthologie wolof de la littérature universelle (1970), Anthologie de la littérature wolof, (I971), pour ne citer que quelques-unes de ses nombreuses publications.

Auteur

En plus de ses productions issues de la recherche fondamentale et appliquée, Pathé Diagne été l’un des initiateurs de la traduction d'œuvres littéraires et religieuses dans les langues nationales sénégalaises. Il a ainsi traduit en wolof, fait inédit à l’époque, des classiques de Léon Tolstoï, de Shakespeare, entres autres, démontrant par-là que nos langues, au même titre que celles d'Europe, peuvent exprimer les idées de ces grands penseurs, car, l’une des facettes du combat qu’il a mené avec d’autres illustres aînés était de montrer que l’histoire, les langues et les civilisations noires étaient d’égale dignité à celles d’Europe et du monde.

Pathé Diagne est également l'auteur de la la première traduction du Coran en wolof et en alphabet latin, faite par un universitaire francophone. D’autres ont été faites en ajami. A propos des langues nationales, il déclarait :

Si dans ce message, je privilégie ma vocation de linguiste sur d’autres qui m’ont habité, c’est que la langue est un véhicule incontournable de notre histoire, de nos cultures et civilisations. Elle nous renvoie à nous-mêmes, à nos expériences intimes. Xam sa lakk, xam sa bopp (Connaître sa langue pour connaitre sa culture, en wolof).

Sa passion pour les langues était contagieuse, et il a réussi à inspirer de nombreux jeunes sénégalais et africains à poursuivre des études linguistiques.

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