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Des manifestants barricadent une rue en réaction au report de l'élection présidentielle à Dakar, au Sénégal, le 9 février. Photo: Cem Ozdel/Anadolu via Getty Images.

Sénégal : la crise électorale de 2024 met en évidence des problèmes plus profonds impliquant Macky Sall et son dauphin

La tentative infructueuse du président sénégalais Macky Sall de reporter l'élection présidentielle a exacerbé inutilement des tensions déjà présentes dans le processus électoral. Cette décision met en évidence des problèmes de gouvernance plus profonds dans le pays.

Le décret de Sall, ultérieurement annulé par le Conseil constitutionnel, était le dernier en date d'une série d'interventions abusives du gouvernement dépassant les prérogatives du pouvoir exécutif. Il s'agit notamment de la disqualification de candidats clés de l'opposition, de la manipulation des procédures judiciaires et de la détention arbitraire d'opposants.

Les 12 années de mandat de Sall ont été marquées par des contradictions. Son administration a stimulé les investissements dans les transports et les infrastructures urbaines. Il a notamment travaillé sur l'extension du réseau autoroutier, le nouvel aéroport international de Diass, le développement de routes principales et l'achèvement de projets de transport public.

Mais ces investissements ne se sont pas traduits par une amélioration de la vie des Sénégalais. Des milliers de jeunes continuent de s'aventurer dans des voyages périlleux vers l'Europe, ayant perdu tout espoir de réaliser leur potentiel dans leur propre pays.

C'est dans ce contexte qu'il a décidé de reporter les élections, dans une ultime tentative de mettre en place une stratégie gagnante pour son camp. Son successeur désigné, Amadou Ba, reste une figure contestée au sein du parti au pouvoir, l'Alliance pour la République.

Je m'intéresse à l'histoire de la formation de l'État en Afrique de l'Ouest. Comme je l'ai soutenu dans mes travaux, les États se maintiennent en produisant et en marginalisant des catégories “alterisées” en leur sein. Cela fait référence à une situation où les gouvernements affirment leur souveraineté non pas contre des forces extérieures, mais contre des groupes culturels internes et des logiques de gouvernance existantes. Le style de gouvernance de Sall correspond sensiblement à ce schéma.

Crise au sein de son parti

Sall a déclaré qu'il reportait les élections en raison d'un prétendu conflit entre l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel. Le parlement avait approuvé la création d'une commission d'enquête sur le processus de validation des candidatures présidentielles par le Conseil constitutionnel.

En fait, Sall s'est accroché à une accusation de corruption portée par Karim Wade contre deux juges du Conseil constitutionnel suite à l'exclusion de Karim de l'élection en raison de sa double nationalité.

Mais la raison la plus plausible est une crise au sein du camp au pouvoir. L'Alliance pour la République est un parti divisé qui se présente aux élections en ordre dispersé. Le successeur choisi par M. Sall, Ba, ne suscite guère d'enthousiasme parmi les électeurs. Il incarne le statu quo. Candidat aisé, Ba a la tâche ardue de convaincre un électorat appauvri qu'il est à la hauteur.

M. Sall a outrepassé ses pouvoirs constitutionnels. La constitution sénégalaise limite la durée du mandat présidentiel, qui ne peut être modifiée. De surcroît, selon le code électoral, le décret fixant la date de l'élection présidentielle doit être publié au plus tard 80 jours avant la date prévue du scrutin. M. Sall a reporté le scrutin seulement 12 heures avant le début de la campagne et 22 jours avant le scrutin.

La tentative de report de l'élection par M. Sall, qui vient renforcer un climat de méfiance à l'égard de l'intégrité du processus électoral, a plongé le Sénégal dans une grave crise constitutionnelle. Son décret a mis en exergue deux questions importantes :

  • l'engagement du gouvernement en faveur d'une passation de pouvoir ordonnée

  • l'intégrité du processus démocratique.

L'érosion d'une tradition démocratique

Depuis 2021, une série de manifestations et d'émeutes ont opposé Ousmane Sonko, une figure clé de l'opposition faisant l'objet d'accusations de viol, et ses partisans à un gouvernement accusé d'avoir manipulé le système judiciaire pour entraver un candidat sérieux. En conséquence, l'économie a été gravement perturbée, avec une perte de production économique journalière estimée à 33 millions de dollars.

En outre, M. Sall a mobilisé les forces de sécurité et de défense pour instaurer un climat de peur. Il a eu recours à des mesures musclées contre les figures de l'opposition et les voix dissidentes au sein de la société civile, par le biais de détentions arbitraires et de poursuites judiciaires. Son gouvernement a systématiquement restreint la liberté de réunion, interdit les manifestations, réprimé les médias indépendants et utilisé les ressources publiques pour renforcer le parti au pouvoir.

Pour toutes ces raisons, le Sénégal a connu un affaiblissement des institutions chargées de garantir l'État de droit, de favoriser la participation politique et d'assurer la reddition des comptes des pouvoirs publics.

M. Sall a été élu en 2012 après une période tumultueuse sous le gouvernement flamboyant du président Abdoulaye Wade. M. Sall a fait toute sa carrière politique sous la tutelle de M. Wade. Cependant, leurs relations se sont détériorées lorsqu'il est devenu évident que M. Sall nourrissait l'ambition de défier le fils de M. Wade, Karim, qui était destiné à succéder à son père.

M. Sall s'est engagé à assurer une gouvernance vertueuse et sobre. Mais l'euphorie du public s'est vite dissipée lorsque des scandales impliquant des ministres et des membres de sa famille proche ont mis à nu la corruption au sein de l'administration.

En 2023, dans un contexte de grande agitation sur la validité d'un troisième mandat, Sall a cédé à la pression populaire, après de violentes manifestations. Celles-ci ont débouché sur la crise politique la plus grave depuis les années 1960, faisant plus de 60 morts et conduisant à l’arrestation de plus d'un millier de personnes.

Où va le Sénégal ?

Conformément à la décision du Conseil constitutionnel, M. Sall a finalement accepté d'organiser l'élection avant son départ.

À l'approche du scrutin du 24 mars, l'absence des principaux candidats et les incertitudes concernant les procédures électorales ajoutent à la volatilité de la situation.

En outre, la rupture de la confiance est telle que l'opinion publique sénégalaise doute encore de l'engagement de M. Sall à remplir ses obligations et à faciliter une passation de pouvoir ordonnée.

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