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SF, culture contemporaine et culture digitale…

1966 … « Delta Vega », Star Trek, vu par Albert Whitlock. James Vaughan/Flickr, CC BY-NC-SA

Et si les médias de divertissement participaient à la construction de l’identité de notre société contemporaine… et si, plus particulièrement, les thèmes de la science-fiction nourrissaient les mutations et les utopies modernes !

Le 16 mai 2016, sur France Culture, Stéphane Deligeorges, le présentateur de « Continent Science », proposait une variation sur ces thèmes au cours d’une émission dont le titre était « la science au cinéma : prétexte didactique ou simple élément du décor ? ». Les invités, tous trois physiciens, étaient Jacques Treneir, Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik. Ils ont discuté de la place que pouvait prendre la science dans les processus de fabrication d’une fiction… Au risque d’erreurs scientifiques… Au bonheur de fasciner, d’emporter le spectateur vers de nouveaux horizons…

Absent, Roland Lehoucq, astrophysicien, aurait tenu toute sa place à cette table. En effet, ce dernier a fait de l’utilisation de la science-fiction son biais pédagogique privilégié. Il s’est aussi fait connaître auprès du grand public grâce à de petits ouvrages tels que « Faire des sciences avec Star Wars », ouvrages issus de son expérience de professeur en université.

Une société de transition

En rayon… Jonathan Corbet/Flickr, CC BY-SA

Ces quelques éléments de contexte pour bien situer notre temps : ce présent, à qui l’on prête bien des défauts et peu de qualités… ce présent pourrait bien être un temps de transition, un temps de passage entre une culture que l’on peut appeler la culture Gutenberg – des taquins la nomment culture bourgeoise – et une autre, appelons-la Digital Pop Culture.

Objectivement, notre temps semble être surtout le passage de la culture de l’analogique, du tangible vers celle du numérique, du dématérialisé… le passage vers une culture qui, déjà, a ses codes – comportementaux – ses outils – numériques – ses médias qui expriment ses espoirs et ses peurs, ses mythes et ses légendes…

Mais, peut-on se satisfaire du simple constat d’opposition entre les cultures Guttenberg et pop culture ? Entre les cultures bourgeoises et digitales ? Un élément de la culture populaire illustre ce temps de transition qui serait le nôtre : le rock.

Les leçons du rock et de la BD

Le Rock a longtemps été le marqueur de la transgression, celui du refus de l’héritage bourgeois… il est aussi devenu un mouvement culturel de masse désormais partagé par plus de trois générations ! La variété des âges parmi les spectateurs qui assistent aux concerts des papys du rock en témoigne. Ainsi, la dimension transgressive du rock semble avoir été abolie. Mieux encore : le rock et tous ses dérivés font désormais partie de la culture dominante, dite mainstream…

. Tom/Flickr, CC BY

Autres exemples : la bande dessinée et le dessin animé qui ne sont plus cantonnés aux seuls divertissements enfantins en acquérant leurs lettres de noblesse sur tous les continents, tout comme le cinéma et les jeux vidéo… les tatoueurs qui désormais ont pignon sur rue… d’ailleurs, le tatouage est devenu tellement peu transgressif qu’il est en passe d’être remplacé par le piercing auprès de ceux qui cherchent à marquer leur singularité. Et encore… les piercings ne sont-ils pas eux-mêmes en voie d’être intégrés à la culture dominante ?

Quelle sera la prochaine étape dans cette quête du particularisme et de la manifestation de la rupture ? Les implants sous-cutanés ? Qui sait…

En tout cas, au cours de ce XXIe siècle, désormais bien entamé, on peut poser un constat : la culture mainstream a l’étonnante capacité de phagocyter les manifestations d’opposition, de transgression… Un autre constat est à faire : cette culture populaire se partage étonnamment bien d’une génération à une autre !

Grâce à ce trait d’union transgénérationnel inattendu, il nous est donné de renouveler la manière, parmi d’autres, de transmettre le savoir. Cette culture très fortement imprégnée de digital devient de moins en moins âpre à acquérir avec la maturation grandissante des interfaces informatiques. Certains l’annoncent : nous pouvons désormais nous consacrer au raisonnement, à la créativité, à la sérendipité… sans, cependant, négliger les nécessaires analyses et compréhensions des nouveaux schémas cognitifs qui émergent de ces pratiques. Ils ne manquent pas d’étonner ! Mais c’est un autre sujet…

Société du savoir et société de consommation

Pourtant, reste un constat à faire, beaucoup plus pessimiste que ceux précédemment relevés : celui du divorce latent entre société du savoir et société de consommation, on pourrait tout aussi bien l’appeler société du Kleenex : Dans une appétence toujours plus grande pour un accès à la jouissance sans contrainte, la nouveauté pousse la génération précédente vers la désuétude. Si cette attitude de consommation a le mérite illusoire de nous proposer des produits toujours soi-disant plus performants, elle génère aussi des distorsions.

Par exemple, la musique de variété s’est engagée de longue date dans une production pléthorique au point que le succès devienne toujours plus relatif… au point que, de décennie en décennie, les professionnels sont obligés de baisser les seuils qui permettent d’obtenir une récompense : disque d’or, de diamant… de platine… Et pourtant la créativité est bien au rendez-vous !

Alors, l’obsolescence programmée s’est-elle aussi insinuée dans la production culturelle ?

D’un usage créatif de la SF

OKIMG_5861 Romics Spring 2015. taymtaym/Flickr, CC BY

Il est à espérer que non ! D’ailleurs, pour s’en convaincre, la démarche de Roland Lehoucq mérite analyse. Ce qu’il fait, comme le font sûrement nombre d’autres pédagogues, c’est prendre nos jeunes contemporains – les digital natives et leurs successeurs – tels qu’ils sont. Sans leur opposer la culture Guttenberg, il leur montre qu’avec leurs bagages, leurs acquis, le bain culturel dans lequel ils ont grandi, ils peuvent aller bien plus loin qu’eux-mêmes ne pouvaient l’imaginer.

Quand, avec malice, il fait calculer à ses étudiants la puissance d’un sabre laser rien qu’en observant la séquence d’ouverture de l’épisode 1 de Star Wars. Après une volée de protestations, il arrive à faire constater à son audience bien des choses, par exemple, le fait que le manche du sabre contiendrait difficilement l’énergie nécessaire à faire fondre une porte blindée… faut-il encore se donner le temps d’en faire l’analyse… faut-il encore dépasser la culture du Kleenex !

Seul sur Mars, Gravity, Interstellar, Her, Time Out, Elysium, Repo Man, Minority Report, 1984, Blade Runner, Metropolis – cette liste est tout sauf exhaustive – en leur temps, tous ces films, ainsi que les romans dont ils sont adaptés, étaient tous transgressifs et proposaient une prospective dérangeante de l’avenir de l’humanité. Aujourd’hui, ils demeurent autant d’invitations au rêve qu’une invitation à la réflexion, qu’elle soit celle de l’individu ou bien celle d’organisations. À ce propos, il n’est pas inutile de rappeler que, dans les années 80, un des maîtres de la science-fiction américaine, Robert Heinlein, a été conseiller de Ronald Reagan…

Death of the Moon par Robert Fuqua, Amazing Stories, janvier 1944. Tom/Flickr

Avec les décennies, cet étonnant matériel culturel s’accumule. Désormais, on peut faire du rétro futurisme et ainsi analyser, parfois avec humour mais toujours avec curiosité, les erreurs que fit le passé en fantasmant son propre avenir ! Si bien que, nous-mêmes, finalement arrivés dans le futur de ce passé, riche de cet héritage – parmi tant d’autres – et riche des outils dont nous disposons, qu’ils soient technologiques ou humains, nous pouvons désormais imaginer et construire notre futur en espérant la transgression, la rupture, l’accident… tous ferments de créativité !

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