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Au pied du Mont Fuji, les Shinkansen compte parmi les trains les plus fiables du monde. Shutterstock

Shinkansen : les TGV japonais bientôt en perte de vitesse ?

Dix jours seulement avant les Jeux olympiques de Tokyo de 1964, le Japon inaugurait son Tōkaidō Shinkansen, une ligne ferroviaire à grande vitesse reliant Tokyo à Osaka. Les trains ont montré au monde entier la haute qualité de la technologie ferroviaire japonaise, avec des trains roulant jusqu’à 285 km/h avec une fréquence de départ élevée et une régularité remarquable.

Plus de dix trains partent de Tokyo par heure, et le retard moyen ne dépasse pas 54 secondes par train, ce qui est beaucoup moins élevé qu’en France où il était en 2022 de cinq minutes par trains au départ (14,2 % de TGV en retard avec un retard moyen de 35 minutes). Jusqu’à présent, les trains à grande vitesse japonais n’ont enregistré aucun décès de passagers au cours de leurs 60 années d’exploitation.

Le Shinkansen japonais est cependant un système ferroviaire autonome, isolé du réseau ferroviaire conventionnel. Les voies y sont plus écartées par exemple que celles du reste du réseau.

Cela explique pour partie que, si les fournisseurs japonais ont développé un savoir-faire technique de haut niveau, ils peinent à s’adapter au marché ferroviaire international. Fin 2023, le Japon a exprimé sa réticence à participer au projet indonésien de train à grande vitesse d’une valeur de 7,3 milliards de dollars US, invoquant des problèmes de compatibilité technique et d’atteinte possible à sa « marque ». En conséquence, l’Indonésie a choisi la Chine pour construire le chemin de fer, qui avait par ailleurs proposé de le faire plus rapidement et avec moins de conditions.

Mes recherches suggèrent que la fierté et la confiance nationales se transformeront en anxiété si l’expertise ferroviaire japonaise continue de se heurter à des rivaux étrangers et ne parvient pas à remporter des contrats.

Compétitifs, mais seulement à domicile

Dans le passé, le Japon a exporté avec succès son infrastructure ferroviaire en Inde, en Europe et au Royaume-Uni. L’expérience avec d’exportation de la technologie des trains à grande vitesse vers Taïwan à la fin des années 1990 et au début des années 2000 reste même exemplaire. Le train à grande vitesse taïwanais, une ligne de 350 km qui longe la côte ouest du pays, est le résultat d’un mélange de technologies européennes et japonaises après de nombreuses tractations politiques.

Les ingénieurs japonais craignaient que leur train à grande vitesse ne doive rouler sur des voies européennes, une exigence technique que la technologie du Shinkansen n’avait pas prévue. Ils craignaient que la réputation internationale du train à grande vitesse ne pâtisse d’un quelconque problème dans le processus de mélange des conceptions japonaise et européenne. Tout s’est passé au mieux, mais cet épisode montre à quel point les ingénieurs japonais restent obsédés par l’idée que la technologie du train à grande vitesse doit être vendue comme un ensemble complet.

C’est un exemple de ce que l’on appelle le « syndrome de Galapagos », une métaphore utilisée pour décrire les produits et services qui ont été développés en se concentrant sur un seul marché ou une seule culture, ce qui les distinguent par rapport au reste du monde. L’expérience de Taïwan a également mis en lumière une autre dimension de l’expertise ferroviaire japonaise : les fabricants japonais n’ont pas l’expertise nécessaire pour être compétitifs sur le marché ferroviaire international où le mélange de technologies de différents pays est la norme.

Risques futurs

Le gouvernement japonais a récemment annoncé qu’il soutiendrait une offre d’entreprises japonaises visant à exporter l’expertise et la technologie des chemins de fer souterrains vers la République dominicaine. Ce pays des Caraïbes prévoit en effet d’étendre son réseau de métro, principalement dans sa capitale Saint-Domingue. L’implication du Japon est logique compte tenu de son expérience dans l’exploitation de pareils systèmes de transport en commun. Il fonctionne déjà dans les grandes villes japonaises comme Tokyo, Yokohama, Kobe et Fukuoka. Toutefois, le risque existe ici encore que le système japonais reste incompatible avec ce qui est disponible sur le marché international.

Or, si le système japonais n’est pas compatible au niveau international, l’opérateur restera coincé avec la technologie japonaise lorsque le moment sera venu de la renouveler. À moins de trouver un fournisseur non japonais désireux et capable d’intégrer sa technologie dans le système japonais.

C’est exactement ce qu’il est advenu récemment à Taïwan au moment de renouveler une partie de son matériel roulant sur sa ligne à grande vitesse. L’opérateur taïwanais a dû choisir entre l’achat de trains neufs auprès de différents fabricants japonais ou de fournisseurs européens. L’achat de nouveaux trains au Japon entraînait des coûts supplémentaires, tandis que l’acquisition de matériel roulant européen rendait plus complexe l’utilisation d’une flotte mixte. Finalement, l’opérateur taïwanais a opté pour l’achat de nouvelles rames auprès des entreprises japonaises Hitachi et Toshiba.

L’image de marque du Japon repose sur l’idée que la technologie japonaise est la meilleure au monde. Mais le gouvernement et l’industrie ferroviaire du Japon ont encore beaucoup à apprendre du marché international. Pour l’instant, la confiance japonaise devra cohabiter avec l’anxiété.

This article was originally published in English

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