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Suppressions de postes et médiatisation des performances des entreprises

EDF vient d'annoncer 3 500 suppressions de poste. Sans indignation médiatique. Falcon Photography/Flickr, CC BY-SA

Fin janvier 2016, EDF annonçait 3 350 suppressions de postes. Quelques jours plus tard, Sanofi, entreprise très profitable, avec des résultats en hausse, prenait le relais avec 600 suppressions de postes sur le territoire. Ces annonces par leur banalité sont presque passées inaperçues.

Quand les licenciements cessent d’intéresser

Les médias se font généralement l’écho des restructurations. Ils peuvent agir comme de simples diffuseurs de l’information transmise par les entreprises, relayer les revendications des parties prenantes ou agir comme de véritables amplificateurs susceptibles de faire basculer l’issue de l’opération. À la fin des années 90, le chômage était déjà là, mais ce type d’annonce faisait les gros titres jusqu’à parfois déclencher de véritables campagnes d’indignation. Les affaires Michelin et Danone-Lu en sont des exemples emblématiques.

Tract PCF.

Le 8 septembre 1999, le PDG de Michelin faisait état d’un projet de réductions des effectifs de 7 500 postes tout en indiquant une augmentation de 20 % de son résultat semestriel. En janvier 2001, Le Monde révélait que Danone s’apprêtait à supprimer près de 1 700 postes dans sa branche biscuit (Lu) alors que le groupe affichait globalement des performances record. C’est le sentiment d’injustice ressenti lors de ces annonces qui a favorisé l’essor de l’expression « licenciement boursiers » initiée par les syndicats et largement reprise par les médias.

Or, ces articles de presse, dénonçant les licenciements, se font de plus en plus rares et laissent davantage place à un discours économique et financier qui vient rationaliser et légitimer ces opérations. C’est ce qu’ont révélé les travaux d’analyse que nous avons menés sur le traitement médiatique des restructurations d’entreprises cotées de 1997 à 2011.

L’étude révèle une évolution de la manière dont sont présentées les restructurations dans la presse écrite économique et financière. Alors que jusqu’en 2001, l’attention médiatique se concentrait surtout sur leurs conséquences sociales en évoquant les protestations des salariés et des syndicats contre les suppressions d’emplois qualifiées d’injustifiées, les aspects financiers et économiques ont ensuite été mis en avant, en privilégiant le point de vue des équipes dirigeantes et actionnariales.

Depuis 2008, le poids accordé à ces différents aspects (social, économique et financier) semble s’être davantage rééquilibré. Toutefois, le vocabulaire pour les évoquer a changé. Par exemple, les termes de « licenciements » et de « grèves » ont été remplacés par les termes « départs volontaires » et « tensions sociales ». De même, les termes de « rationalisation » et de « restructuration » sont largement préférés aux « réductions d’effectifs » ou aux « suppressions d’emplois ».

Quelles pistes d’explications pour ces évolutions ?

La situation économique joue très certainement. En période d’expansion, les conséquences sociales et humaines des restructurations économiques sont particulièrement mal acceptées. Quand la situation est globalement difficile, les « mauvaises nouvelles » sociales ne suscitent plus les mouvements d’opinion qu’elles provoquaient auparavant. Les phénomènes de crises économiques liés à l’explosion de la bulle Internet en 2001 puis de l’immobilier en 2008 ont probablement affecté l’optimisme de l’opinion publique.

La question est aussi stratégique. Jusqu’à quel point les médias sont-ils prêts ou peuvent-ils faire entendre la voix des syndicats pour infléchir les politiques et faire face à une mondialisation croissante favorisant les puissances financières ?

Quoi qu’il en soit, cette diminution de la place des aspects sociaux dans le traitement de l’actualité des entreprises peut sembler très paradoxale dans une période où la réglementation impose aux entreprises d’avoir des objectifs de plus en plus affirmés en matière de responsabilité sociale et environnementale.

Depuis le début des années 2000, de nombreux travaux académiques autour des questions de développement durable et de responsabilité des entreprises ont été menés et soulignent les enjeux entourant la prise en compte des différentes dimensions de la performance dans la stratégie globale des entreprises. De nouveaux outils de pilotage et de reporting (ex : le Sustainability Balanced ScoreCard, reporting intégré) ainsi que de nouvelles procédures et normes de qualité (Ex : ISO 14001, 26000) ont été mis en place pour mieux tenir compte et communiquer sur les aspects sociaux et environnementaux. De la même manière, des guides de bonnes conduites (Global Reporting Initiative, Livre vert 2001 ) ainsi que des dispositifs législatifs (loi NRE 2001, Grenelle 2) sont venus renforcer les exigences en termes de bonnes pratiques sociales et environnementales.

Mais que valent ces avancées si elles s’avèrent être en opposition avec l’idéologie dominante du moment, largement en faveur de la financiarisation des échanges ?

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