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Tempête économique sur le rugby professionnel anglais

Le club des London Wasp, dont Raphaël Ibañez, actuel manager général de l'équipe de France, a porté les couleurs entre 2005 et 2009, a été placé en redressement judiciaire en octobre 2022. David Howlett / Wikimedia Commons, CC BY-SA

Le XV de France entame le 2 juillet sa préparation pour la coupe du monde de rugby qu’il accueille sur son territoire à partir du mois de septembre. Après des résultats probants ces dernières années et notamment une série record de victoires consécutives, l’enthousiasme est de mise. En Angleterre, le monde de l’ovalie se porte au plus mal. Les finances des clubs de première division sont dans le rouge et trois d’entre eux ont même été exclus de la compétition au cours de la dernière saison. Christina Philippou et Kieran Maguire vous en expliquent les raisons dans cet article traduit de l’édition anglaise de The Conversation.


Le club de rugby anglais des London Irish a été fondé en 1898. Près de 100 ans plus tard, il est devenu un club professionnel à part entière, juste à temps pour participer à la saison inaugurale de la Premiership, l’échelon supérieur du rugby anglais. Après 25 ans en première division, les London Irish ont été exclus du championnat début juin, incapables de fournir des garanties financières suffisantes à l’instance dirigeante du sport. Trop endetté, le club ne pouvait pas payer ni son personnel ni ses joueurs.

Il n’est pas le seul à avoir perdu ainsi sa place parmi l’élite. Deux autres clubs historiques, les London Wasps (qui en 2020 était encore parvenu en finale du championnat) et les Worcester Warriors, ont déjà été exclus de la compétition et placés sous tutelle administrative au cours de la saison écoulée. Les joueurs ont été autorisés à quitter les clubs. Le troisième ligne Jack Willis est ainsi récemment devenu champion de France, titulaire en finale avec le Stade toulousain après avoir commencé la saison avec les Wasps.

Que trois équipes de premier plan disparaissent en moins d’un an témoigne d’un problème majeur dans le rugby anglais. D’autres clubs sont-ils menacés ? Le rugby professionnel est-il encore économiquement viable outre-Manche ?

Une majorité de clubs insolvables

Les finances actuelles des équipes de Premiership n’inspirent pas confiance. Les 13 clubs qui ont entamé la saison 2022-23 avaient tous enregistré des pertes lors de la saison précédente. Huit d’entre eux avaient même des capitaux propres négatifs, ce qui signifie qu’ils étaient techniquement insolvables et subventionnés par leurs propriétaires. Worcester et les London Irish faisaient partie de ce groupe. Cet indicateur était plutôt sain pour les Wasps, qui avaient néanmoins un niveau d’endettement relativement élevé.

Les déboires de ces trois clubs ne sont que les derniers en date de la longue histoire des problèmes économiques du rugby à XV en Angleterre. Bien que des efforts aient été fournis pour stabiliser les finances du sport, notamment en contrôlant les coûts par le biais de plafonds salariaux, il est clair que le problème n’a pas été résolu. Le partenariat lucratif, conclu entre la Premiership et une société de capital-investissement en 2019, avait permis aux clubs d’obtenir plus de 200 millions de livres sterling en échange d’une participation de 27 % dans l’organisation. Cet argent néanmoins n’a donné qu’un coup de pouce temporaire aux finances des clubs.

Des recettes en dent de scie

Les clubs de rugby disposent de trois sources principales de revenus : la vente de billets les jours de match, le sponsoring et les droits de diffusion. Les recettes des jours de match sont les plus importantes, mais varient d’un match à l’autre. Le week-end avec la plus forte affluence a rassemblé 16 400 spectateurs par stade en moyenne.

Les recettes de sponsoring peuvent également varier et dépendent de l’intérêt des supporters. Les sponsors aiment aussi la stabilité. Le risque d’effondrement des clubs influe alors sur leurs accords : l’annulation de rencontres, lorsqu’une équipe adverse a été placée sous administration judiciaire par exemple, et l’incertitude quant à la viabilité de la ligue dans son ensemble rendent leur l’investissement risqué.

En ce qui concerne la dernière source de revenus, le rugby à XV s’est professionnalisé relativement tard, à la fin des années 1990. D’autres sports, tels que le football et le golf, avaient alors déjà trouvé leur place dans le calendrier sportif des principaux diffuseurs. C’est pourquoi les recettes restent relativement faibles. Elles s’élèvent à 40 millions de livres sterling par an pour la Premiership, contre 1,6 milliard de livres sterling pour la Premier League en football, 40 fois moins.

L’auvergnat Olivier Magne (à droite – 89 sélections avec le XV de France) a porté les couleurs des London Irish entre 2005 et 2007. Pascal Pavani/AFP

Un autre problème vital auquel la première division anglaise se trouve confrontée est son manque d’intégration au sein du sport lui-même. Le championnat se poursuit par exemple pendant d’autres événements rugbystiques tels que le très populaire tournoi des Six Nations. Les clubs jouent alors sans leurs joueurs appelés en sélection et surtout devant moins de téléspectateurs. Cela affecte les trois types de revenus. À titre de comparaison, les clubs de football anglais connaissent une pause internationale pour permettre aux joueurs de jouer pour leur équipe nationale à différents moments de l’année.

Reconquérir le public

Le gouvernement britannique a ainsi lancé une enquête parlementaire pour répondre aux préoccupations concernant ce sport. Des conseillers indépendants ont été nommés pour travailler sur la stabilité du rugby.

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement britannique s’immisce dans le sport. Dans le football, il avait par exemple proposé d’introduire un régulateur indépendant devant l’état fragile des finances des clubs. Lorsque nous avons examiné en détail la viabilité financière des clubs de football en 2022, nous avons d’ailleurs constaté des problèmes similaires à ceux observés dans le rugby.

Pour atteindre une viabilité économique et améliorer ses recettes, le rugby à XV doit évoluer de manière à encourager la croissance et à susciter davantage d’intérêt. L’avantage du rugby de première division par rapport aux autres sports d’équipe réside dans l’équilibre compétitif, qui fait que les résultats sont rarement prévisibles. C’est une bonne chose pour les diffuseurs, car cela rend le sport plus passionnant et plus attrayant pour les téléspectateurs.

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Toucher de nouveaux publics s’avère aussi essentiel, comme celui qui commence à s’intéresser au rugby international féminin. Il serait également utile de cibler un public plus jeune par le biais des médias sociaux et de se débarrasser de l’image anglaise du rugby, perçu comme un sport élitiste.

Le nombre de licenciés est en baisse, ce qui est une mauvaise nouvelle, car les études montrent que les personnes qui pratiquent un sport sont plus susceptibles de le regarder. Si cette tendance se poursuit, les difficultés ne feront que se renforcer, et de plus en plus de clubs chargés d’histoire finiront par en payer le prix fort.

This article was originally published in English

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