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Vue du parlement européen
La transition verte devrait coûter environ plus de 1500 milliards d’euros par an jusqu’en 2050. European Parliament, CC BY-SA

UE : les règles budgétaires sont-elles compatibles avec les objectifs du Pacte vert ?

Après une suspension des règles budgétaires durant la période Covid, celles-ci sont à nouveau d’application depuis le début de l’année 2024, telles que définies dans le pacte de stabilité et de croissance de l’Union européenne (UE). Le débat sur la réforme de ces règles budgétaires vient d’être lancé entre le parlement européen et les États membres par un vote du 17 janvier.

En parallèle, la publication de deux études sur les besoins en financement de la transition a lieu ce mois de février : le rapport « Road to Net Z€ro » du think tank Institut Rousseau et le travail de la Commission européenne sur les investissements à réaliser pour atteindre la neutralité carbone en 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction d’émissions à l’horizon 2040.

Ces deux travaux ont été réalisés par des équipes distinctes et employant des méthodologies bien différentes. Il est donc remarquable que l’Institut Rousseau et la Commission parviennent à une estimation du besoin d’investissement quasi identique : 1 520 milliards d’euros par an en moyenne jusqu’en 2050 pour le premier, entre 1 524 et 1530 milliards d’euros pour la seconde !

Le soutien public est essentiel

L’étude de l’Institut Rousseau, à laquelle nous avons participé aux côtés de plus de 150 experts à travers toute l’Europe, divise ce chiffre en deux parties : d’une part, des investissements verts déjà en cours ou une redirection d’investissements « gris » (par exemple, une redirection des investissements en véhicules à moteur thermique vers les transports en commun et les véhicules électriques) ; et, d’autre part, l’investissement supplémentaire que représente le surcoût de la transition par rapport au scénario « business-as-usual » obtenu en prolongeant les tendances d’investissement actuelles.

Au bilan, cette part supplémentaire ne représente qu’une faible fraction des 1 520 milliards, à savoir 360 milliards d’euros par an, c’est-à-dire 2,3 % du PIB de l’UE-27. Sur ces 360 milliards d’euros annuels supplémentaires requis par rapport au scénario « business-as-usual », 260 milliards devront être investis par la puissance publique. Ceux-ci sont issus d’une batterie de plus de 70 mesures de politiques publiques proposées secteur par secteur afin d’atteindre les cibles de décarbonation de l’Union à 2030 et 2050.

De tels investissements publics permettent de faire levier sur les investissements privés et ainsi de débloquer les montants nécessaires. Ceux-ci comprennent également le montant des subventions nécessaires pour accompagner les différents acteurs privés dans une transition parfois coûteuse. Une telle approche semble aujourd’hui plus que jamais essentielle pour l’acceptabilité du Pacte vert européen, notamment au regard de la colère des agriculteurs face à la détérioration de leurs revenus.

Incompatibilité avec la réglementation actuelle

Or, la réglementation relative aux aides d’États restreint largement leur mise en œuvre à l’heure actuelle. En effet, les textes européens interdisent, sauf exception, tout soutien public aux entreprises en mesure de fausser la concurrence. Sa suspension dans le cadre du Temporary Crisis and Transition Framework – un dispositif permettant aux États membres de soutenir leurs économies suite aux chocs du Covid-19 et de la guerre en Ukraine – devrait ainsi devenir permanente si l’UE veut se donner les moyens de ses ambitions.

En outre, les 250 milliards d’investissements publics annuels supplémentaires correspondent à 1,6 % du PIB européen. Il est évident qu’ils sont incompatibles avec le plafond de 3 % de déficit public tel que fixé dans le pacte de stabilité et de croissance de l’UE.

Pourtant, la proposition de réforme actuellement sur la table et livrée à la négociation entre le Parlement européen et les États membres n’assouplit que marginalement ces règles de déficit. Elle entre ainsi en opposition frontale avec un des objectifs phares de l’actuelle Commission, à savoir la réalisation du Pacte vert européen.

Pas d’effet négatif à long terme

D’aucuns ne manqueront pas d’affirmer que de tels investissements publics seraient inconsidérés, voire impossibles. À cela, nous opposons trois arguments : d’abord, ces montants restent raisonnables en comparaison au coût du changement climatique en cas de non-action ; ensuite, les investissements publics annuels requis sont inférieurs au montant du plan de relance post-Covid (338 milliards d’euros par an) ; enfin, ils restent nettement inférieurs aux subventions octroyées aux énergies fossiles en Union européenne (359 milliards d’euros par an).

Autrement dit, les investissements de transition ne font que se substituer à des aides publiques existantes, qui disparaîtront au fur et à mesure de la décarbonation de l’économie. Si la période de transition engendre une hausse du déficit public, qui peut par exemple être compensée par des emprunts communs, les calculs réalisés indiquent donc que, au bilan, la transition n’aura pas forcément d’effet négatif sur les finances publiques à long terme.

Enfin, booster l’investissement de manière ciblée et dans des secteurs d’avenir se révélerait probablement bénéfique pour une économie européenne au bord de la récession et risquant de renouer avec le caractère moribond qui la définit depuis la crise de 2008.

Ainsi, l’étude « Road to Net Z€ro » montre qu’investir dans la transition écologique, en plus de permettre le respect de nos obligations légales de neutralité carbone, constitue un choix économiquement rationnel et désirable pour l’Europe. Un tel choix nécessite cependant de radicalement changer le cap des discussions en cours sur la réforme des règles budgétaires et fiscales européennes.

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