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Anomalies de température du 19 mars au 20 juin 2020. Les couleurs rouges représentent les zones plus chaudes que la moyenne pour la même période de 2003 à 2018; les bleues sont plus froides que la moyenne. EPA-EFE/NASA

Vague de chaleur en Sibérie : pourquoi l’Arctique se réchauffe beaucoup plus vite que le reste du monde

À la veille du solstice d’été, un phénomène très inquiétant s’est produit dans le cercle arctique. Pour la première fois depuis que l’on enregistre les températures, les 38 °C ont été atteints dans une ville reculée de Sibérie. C’est 18 °C de plus que la température maximale quotidienne moyenne de juin dans cette partie du monde, et un record absolu de température pour la région.

De nouveaux records sont établis chaque année, et pas seulement concernant la température maximale, mais aussi la fonte des glaces et les feux de forêt. Et pour cause : les températures atmosphériques dans l’Arctique ont augmenté à un rythme environ deux fois supérieur à la moyenne mondiale.

Tout cela n’est pas sans conséquence. Associée aux températures estivales élevées des années précédentes, la récente vague de chaleur en Sibérie a accéléré la fonte du pergélisol arctique, ce sol gelé en permanence recouvert d’une fine couche superficielle qui fond et regèle chaque année. Avec l’augmentation des températures, la couche supérieure s’enfonce et ses structures commencent à se détériorer à mesure que le sol en dessous se dilate et se contracte. Ce phénomène est en partie responsable de la marée noire catastrophique (la pire jamais observée dans l’Arctique) qui s’est produite en Sibérie à la fin mai 2020, lorsqu’un réservoir de carburant s’est effondré, libérant plus de 21 000 tonnes de carburant.

Mais que se passe-t-il en Arctique, et pourquoi le changement climatique y semble-t-il beaucoup plus marqué que dans le reste du monde ?

La fumée des feux de forêt couvre le ciel de la Sibérie, le 23 juin 2020. EPA-EFE/NASA

Les prédictions des modèles

Les scientifiques ont conçu des modélisations du système climatique mondial, appelées « modèles de circulation générale », ou « GCM » pour « general circulation models », qui reproduisent les principaux schémas relevés lors des observations météorologiques. Ils permettent de suivre et de prévoir le comportement de phénomènes climatiques tels que la mousson indienne, El Niño, l’oscillation australe et les courants océaniques comme le Gulf Stream.

On utilise les GCM depuis les années 1990 pour établir une projection des changements climatiques dans un monde où l’atmosphère est de plus en plus dense en CO2. Une des caractéristiques communes de ces modèles est un effet appelé « amplification polaire ». C’est dans les régions polaires, et plus particulièrement dans l’Arctique, que le réchauffement s’intensifie. L’amplification peut être comprise entre deux et deux et demi, ce qui signifie que pour chaque degré de réchauffement de la planète, l’Arctique en subira le double ou plus. C’est une caractéristique fondamentale de nos modèles climatiques, mais pourquoi ce phénomène se produit-il ?


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La neige fraîche est la surface naturelle la plus claire de la planète. Elle a un albédo d’environ 0,85, ce qui signifie que 85 % du rayonnement solaire qui y arrive est réfléchi vers l’espace. Pour l’océan, c’est le contraire : étant la surface naturelle la plus sombre de la planète, il ne réfléchit que 10 % du rayonnement (son albédo est de 0,1). En hiver, l’océan Arctique, qui s’étend sur le pôle Nord, est recouvert de glace de mer, elle-même recouverte d’une couche de neige isolante. C’est comme une énorme couverture thermique blanche qui protège l’océan sombre qui se trouve en dessous. Lorsque les températures augmentent au printemps, la glace de mer fond, exposant l’océan. Il absorbe alors encore plus de rayonnement solaire, ce qui accentue le réchauffement de la région et, par effet de ricochet, fait fondre encore plus de glace. C’est une boucle de rétroaction positive que l’on appelle mécanisme de rétroaction lié à l’albédo de la glace.

La fonte de la glace de mer arctique entraîne un réchauffement de la région. Jonathan Bamber, Author provided

Si cet effet lié à l’albédo de la glace (de la neige, en réalité) est particulièrement important dans l’Arctique, c’est parce que l’océan Arctique est quasiment enclavé par l’Eurasie et l’Amérique du Nord, et il est donc moins facile (par rapport à l’Antarctique) pour les courants océaniques de déplacer la glace de mer dans la région et hors de celle-ci. C’est ainsi que la glace de mer qui reste dans l’Arctique pendant plus d’un an a diminué à un rythme d’environ 13 % par décennie depuis le début des relevés par satellite à la fin des années 1970.

En fait, certains éléments indiquent que l’étendue de la glace de mer n’a pas été aussi réduite depuis au moins 1 500 ans. Des phénomènes de fonte extrême de la calotte glaciaire du Groenland, qui se produisaient une fois tous les 150 ans, ont été observés en 2012 et en 2019. Les données des carottes glaciaires montrent que la fonte accrue de la surface de la calotte glaciaire au cours de la dernière décennie est sans précédent depuis trois siècles et demi et potentiellement depuis 7 000 ans.

En d’autres termes, les températures record enregistrées cet été dans l’Arctique ne constituent pas un phénomène isolé. Elles s’inscrivent dans une tendance à long terme prédite par les modélisations climatiques il y a déjà plusieurs décennies de cela. Nous en constatons aujourd’hui les résultats avec la fonte du pergélisol, de la glace de mer et de la calotte glaciaire. Si l’Arctique a parfois été décrit comme le lanceur d’alerte de la dégradation du climat, force est de constater qu’il vient de nous envoyer un message clair. Et ce ne sera sûrement pas le dernier.

This article was originally published in English

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