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Cette simulation figure les orbites d’étoiles situées à très grande proximité du trou noir supermassif qui occupe le centre de la Voie Lactée. ESO/L. Calçada/spaceengine.org, CC BY

Valse avec le trou noir au centre de notre galaxie

Nous avons annoncé récemment la détection d’un effet très particulier : une étoile du centre de notre Galaxie « danse » en orbite autour du trou noir supermassif au centre de la Voie lactée. Son orbite, suivie depuis 30 ans, était jusqu’à cette année parfaitement décrite par une ellipse. Pour la première fois, notre équipe internationale a observé ce mois-ci une déviation infime de l’orbite de l’étoile par rapport à une simple ellipse, de l’ordre de quelques centaines de microsecondes d’angle, soit la taille d’une boîte à chaussures vue sur la Lune.

Pour comprendre ce que cette détection signifie, il est utile de faire un pas en arrière et de considérer l’évolution des idées sur la notion d’orbite des corps célestes.

La plupart des étoiles et des planètes décrivent des orbites non circulaires, s’approchant puis s’éloignant périodiquement de l’objet autour duquel elles gravitent. L’orbite de l’étoile S2 précesse, en orbite autour du trou noir supermassif situé au cœur de la Voie lactée, ce qui signifie que le point de l’orbite le plus proche du trou noir change au fil des rotations, générant l’aspect d’une rosette. Cet effet n’avait encore jamais été mesuré pour une étoile orbitant autour d’un trou noir supermassif.

La Terre au centre : le cosmos des Grecs anciens

L’école de Pythagore apporte deux avancées considérables en science : le nombre est considéré comme principe premier des choses et la systématisation de la géométrie débute – Pythagore généralise son fameux théorème, qui était déjà connu en pratique des Égyptiens pour des triangles particuliers.

Système géocentrique, dit de Ptolémée, hérité de celui d’Eudoxe de Cnide, représenté en 1539 dans la Cosmographie de Petrus Apianus. L’univers est divisé en 8 sphères concentriques. Wikipedia

Platon, autour de 400 avant notre ère, propose un modèle du cosmos basé sur des sphères imbriquées : la Terre est au centre, entourée des sphères de l’eau, de l’air et du feu. Les astres se meuvent au-delà, à des distances croissantes : la Lune d’abord, puis les autres planètes connues et le Soleil, et enfin la sphère des étoiles lointaines fixes. Ce modèle, développé par Eudoxe de Cnide – un « thésard » de Platon dirait-on aujourd’hui, postule que les astres se déplacent à vitesse constante en suivant des orbites circulaires le long des sphères imbriquées.

Le système héliocentrique et l’avènement de la physique moderne

Malgré les développements apportés par Ptolémée (Ie siècle) au modèle d’Eudoxe, les éléments de base de la compréhension du cosmos n’ont pas évolué de façon radicale avant le XVIe siècle. Vers 1530, la révolution copernicienne place le Soleil, et non plus la Terre, au centre du cosmos, et considère les astres en orbite circulaire autour du Soleil. Vers 1580, Tycho Brahe réalise des observations d’une précision stupéfiante sur une très grande quantité de sources lumineuses. Au tournant du XVIIe siècle, Johannes Kepler synthétise les observations de Tycho Brahe et le système de Copernic pour les systématiser dans les fameuses lois de Kepler, toujours enseignées de nos jours.

Le résultat de l’équipe GRAVITY, cette ellipse en précession, doit être analysé en référence aux lois de Kepler. En effet, Kepler apporte deux éléments fondamentaux : d’une part, le rôle de « moteur » joué par le Soleil dans le mouvement des astres, alors que les descriptions précédentes se contentaient d’entériner le fait que les astres tournent, soit autour de la Terre, soit autour du Soleil, sans voir de lien de cause à effet entre la présence du corps central et le mouvement des astres autour de lui. D’autre part, les observations de Tycho Brahe lui permettent de remplacer la théorie du mouvement circulaire datant d’Eudoxe par un mouvement elliptique. Avec Newton vers 1680, les avancées de Kepler sont confirmées et incluses dans un système d’explication beaucoup plus vaste, qui formera la pierre angulaire de l’astronomie jusqu’à Einstein. En effet, la théorie de Newton montre mathématiquement qu’un corps (par exemple une planète) subissant l’attraction gravitationnelle d’un autre corps (par exemple le Soleil) suit une conique – dont les exemples les plus simples sont les cercles et les ellipses – validant ainsi les idées de Kepler.

Représentation du système solaire dans le « Twentieth Century Atlas of Popular Astronomy » de 1908, par Thomas Heath. Thomas Heath/Flickr, CC BY

La relativité générale

Einstein, héritier direct de Newton, reformule les lois de la gravitation en 1915, et aboutit aux lois de la relativité générale, qui englobent et dépassent considérablement la théorie newtonienne.

Une des conséquences de la relativité générale porte sur les orbites des corps célestes. Elle prédit que les orbites des planètes autour du Soleil ne suivent pas des ellipses képleriennes, mais se décalent peu à peu pour former une rosace, dans ce mouvement de « danse » évoqué au début de l’article.

Le Verrier, pour expliquer les anomalies dans l’orbite de Mercure, fit l’hypothèse d’une planète additionnelle, nommée Vulcain. Lithographie de E. Jones & G.W. Newman, 1846. Library of Congress

Einstein se souvient alors que l’astronome français Urbain Le Verrier avait mis en évidence en 1859 à l’Observatoire de Paris le fait que la planète Mercure – la plus proche du Soleil, et donc la plus fortement soumise à sa gravitation – exhibait un mouvement inexpliqué, en désaccord avec les lois de Kepler et de Newton. Einstein s’empare du problème et montre que la théorie de la relativité générale explique exactement l’incohérence rapportée par Le Verrier.

Einstein, d’après ce qu’il a lui-même rapporté, « n’a pas pu travailler pendant trois jours à cause de [s]on excitation » suite à cette toute première vérification expérimentale de sa nouvelle théorie, qui valide son travail acharné réalisé pendant la décennie qui précède. La mesure récente de l’équipe GRAVITY est la dernière vérification expérimentale de ce même effet, dans un contexte très différent puisqu’il s’agit de l’orbite d’une étoile autour d’un trou noir et non de l’orbite d’une planète autour d’une étoile.

L’observation récente de GRAVITY

La relativité générale prédit le comportement de tous les astres, y compris celui de l’objet de prédilection de l’instrument GRAVITY – le trou noir de 4 millions de fois la masse du Soleil qui se trouve au centre de notre Galaxie, Sagittarius A*.

L’étoile répondant au nom poétique de S2 est en orbite relativement proche autour de ce trou noir. Sa trajectoire a été déterminée par GRAVITY : c’est une rosace, correspondant au lent décalage d’une ellipse. Comme l’avait fait Einstein en 1915 avec Mercure, l’équipe GRAVITY a comparé le décalage de l’orbite de S2 à la valeur prédite par la relativité générale. L’accord est excellent, ce qui constitue un nouveau test de la théorie d’Einstein. Ce nouveau test est réalisé dans un contexte beaucoup plus « extrême » que celui de Mercure : l’astre observé est ici en orbite autour d’un trou noir, un objet lui-même prédit par la théorie de la relativité générale et qui constitue l’un des membres les plus exotiques du bestiaire astronomique standard. La validation de la théorie d’Einstein dans l’environnement d’un tel objet est donc particulièrement intéressante.

Au-delà de tester la validité des prédictions de la relativité générale, l’observation de GRAVITY permet d’étudier l’environnement proche du trou noir ainsi que ses propriétés : sa masse et sa distance sont maintenant contraintes avec une grande précision. Une question importante est de déterminer si la masse centrale autour de laquelle S2 est en orbite est complètement concentrée dans l’objet Sagittarius A* lui-même, ou si une autre composante de masse, plus étendue, est également présente. Cette masse supplémentaire pourrait être présente sous forme de « matière sombre » (composée de la fameuse matière noire, d’étoiles peu brillantes et d’une assemblée de petits trous noirs et d’étoiles à neutrons isolées) ou d’un compagnon trou noir qui serait lui-même en orbite autour de Sagittarius A*. Les observations récentes de l’équipe GRAVITY semblent pointer du doigt une concentration complète de la masse dans l’objet Sagittarius A* lui-même, mais des études plus approfondies sont nécessaires pour répondre à cette question complexe.

GRAVITY n’est pas le seul instrument à scruter les propriétés des abords des trous noirs. L’Event Horizon Telescope a récemment publié une première image des abords d’un trou noir. Dans un autre registre, les détecteurs d’ondes gravitationnelles suivent l’évolution de trous noirs en collision. L’ensemble de ces nouvelles observations va permettre dans les prochaines décennies de tester de mieux en mieux la théorie d’Einstein, et, espérons-le, d’en découvrir la limite.


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