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Des policiers français dégagent les manifestants de la chaussée lors d'une  manifestation du 1er mai à Paris.
Des policiers français dégagent les manifestants de la chaussée lors d'une manifestation du 1er mai à Paris. Shutterstock

Vivons-nous vraiment une crise de l’autorité ?

Le « retour de l’autorité » est devenu un des mots-slogans de la communication politique et particulièrement de la communication gouvernementale qui appelle régulièrement à rétablir « l’autorité » en France, dans les écoles comme dans les territoires à l’instar des récents discours du Premier ministre Gabriel Attal à propos de la situation en Nouvelle-Calédonie.

Personne ne sait pourtant ce qu’est l’ordre « normal » à rétablir et on ne connaît pas plus les raisons qui auraient entraîné le déclin de l’autorité et le refus de celle-ci. Ce constat n’est pas nouveau et les déclarations tonitruantes appelant à rétablir l’autorité sont en général des déclarations d’impuissance.

Le sujet ne préoccupe pas uniquement les gouvernants. Selon un sondage de 2018, 41 % des Français interrogés pensent qu’« il faudrait que la direction du pays soit confiée à un pouvoir politique autoritaire, quitte à alléger les mécanismes de contrôle démocratique s’exerçant sur le gouvernement ».

Comment comprendre ces désirs et demandes d’autorité qui semblent gagner en force ?

La norme et l’autorité

Le philosophe français d’origine russe Alexandre Kojève a souligné dès 1942 qu’« il est impossible de traiter du pouvoir politique et de la structure même de l’État sans savoir ce qu’est l’Autorité en tant que telle ».

En effet, sans une notion solide de l’autorité, on ne peut expliquer ni le politique et la politique, ni le consentement à la société existante et l’engagement pour cette société structurellement hiérarchique et qui ne correspond en général pas aux intérêts des sujets. On ne peut pas non plus expliquer la critique, la contestation et la (re)mise en question de l’autorité établie et, in fine, de cette société.

L’autorité n’est pas naturelle mais elle représente ce qui est normal et qui devrait aller soi : l’ensemble des règles et normes de la société qui se décline dans la sphère privée et dans la sphère publique, de l’État à la famille et à la vie intime.L’autorité est un pilier de la normalité de la vie en société. « Le normal c’est l’effet obtenu par l’exécution du projet normatif, c’est la norme exhibée dans le fait », selon la fameuse formule du philosophe Georges Canguilhem reprise plus tard par Michel Foucault et beaucoup d’autres auteurs.


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Dans les débats sur l’autorité, certains la considèrent comme une condition (quasi) naturelle du vivre ensemble, garante de l’ordre et de la sécurité et permettant au plus grand nombre un avenir sûr et prévisible. D’autres y voient la force de soumission à une domination qui se cache derrière des règles et des normes imposées mais déclarées naturelles, inchangeables et allant de soi. Ceux-là considèrent l’autorité comme méprisante. C’est pour cette raison qu’ils la refusent.

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Un désir d’autorité ?

A notre époque, des peurs et des angoisses s’installent, surtout concernant l’avenir. L’écoanxiété en est un exemple, la croyance en la collapsologie en est un autre. L’opinion que l’avenir sera (bien) pire que le présent domine.

Dans notre monde incertain et menaçant, l’autorité serait capable de faire fonctionner la société ou certaines de ses parties (par exemple les familles, les entreprises ou les écoles) selon un ensemble de règles et de normes « normales », « naturelles » et nécessaires pour vivre ensemble en société.

Le désir d’autorité se réfère toujours à des phénomènes concrets et des vécus réels qui nourrissent les opinions (publiques) sans pouvoir et sans vouloir comprendre et expliquer ces phénomènes comme l’incapacité des parents ou des enseignants d’imposer aux enfants une certaine discipline à la maison, dans le quartier ou dans l’école.

Les débats sur l’autorité pénètrent aussi largement les médias. Ici l’émission C Ce soir du 22 avril 2024 s’interroge : « La France a-t-elle besoin d’un sursaut d’autorité pour ses jeunes ? »

Interrogé lundi 24 juillet 2023 au sujet des violences qui ont marqué le début de l’été, le président de la République a réagi :

« La leçon que j’en tire, c’est un : l’ordre, l’ordre, l’ordre. La deuxième, c’est que notre pays a besoin d’un retour de l’autorité à chaque niveau et d’abord dans la famille ».

Ce désir d’autorité se traduit dans la recherche d’objets, de procédures et de personnes qui pourraient combler ce manque, pour satisfaire le désir et procurer le plaisir d’une vie assurée. Ce désir est le souhait, en général irrationnel et obsessionnel, de vivre heureux grâce à la subordination à l’autorité. Cette relation est plus fantasmagorique que réelle, mais elle peut porter un projet de société autoritaire. « C’est le désir qui crée le désirable, et le projet qui pose la fin » et la société autoritaire peut être désirable comme le rappelle Simone de Beauvoir. Le désir, tout comme la demande et la quête d’autorité sont des réactions aux vécus de l’érosion de la normalité établie dans le passé, dont l’autorité fait partie, sans qu’un projet d’avenir prenne forme pour autant.

La construction de l’autorité

Le normal et par conséquent l’autorité ne sont pas seulement des rapports interpersonnels mais aussi des constructions sociales objectivées, inscrites dans les choses, dans des règles, des lois, des institutions, etc., tout comme dans les sujets eux-mêmes. L’autorité interpersonnelle, par exemple entre parents et enfants, se conjugue avec l’autorité objectivée par exemple dans les lois, dans les règles de l’institution scolaire ou dans le fonctionnement du marché qui impose sa loi.

Cela explique non seulement que l’autorité n’est que rarement contestée. Elle s’impose en général sans violences, sans débats et sans arguments. C’est pour cette raison que l’autorité va de soi pour les sujets. Elle leur apparait comme quasi naturelle : « une seconde nature ». Ainsi, il semble normal que les parents et surtout le père imposent la normalité aux enfants ou les enseignants aux élèves… et que ces derniers l’acceptent comme normal. L’autorité change, bien sûr, de forme et de contenu au cours de l’histoire, mais elle repose toujours sur le consentement des soumis à l’autorité et souvent sur leur demande explicite.

Les critiques de l’autorité quant à elles oscillent entre le constat que l’autorité n’est pas respectée mais qu’elle doit être rétablie, d’un côté et de l’autre côté, le refus de l’autorité considérée comme insupportable.

En crise, vraiment ?

En général, le sens du mot « autorité » reste flou ; elle est pourtant déclarée étant « en crise ». Le refus de toutes formes d’autorité relève, en revanche, du fantasme car il y a toujours de différentes compétences, capacités et savoir. La question n’est pas de savoir s’il faut une autorité ou pas mais laquelle.

Les détenteurs de l’autorité affaiblis insistent sur la nécessité de la respecter et de la restaurer. La critique de l’autorité dans des situations de « crise de l’autorité » est le plus souvent réactionnaire : on doit rétablir l’autorité d’autrefois, un autrefois souvent fantasmé comme l’autorité absolue des enseignants ou des lois. Mais cette quête a peu de chances d’aboutir : ni les forces de l’ordre, ni les enseignants, ni les parents, ni les curés ne peuvent regagner l’autorité de dire et d’imposer la normalité parce qu’il ne porte pas de projet d’avenir qui permettrait de dépasser les manques et souffrances que les sujets vivent dans la société contemporaine.

On se trouve dans un véritable cercle vicieux : la normalité et l’autorité sont nécessaires pour la vie en société mais, déstabilisées, elles créent des situations de souffrances qui conduisent en retour à un désir d’encore plus d’autorité.

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