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Unsplash/Luis Del Río Camacho
Pratiquer le bain de forêt, une occasion de se reconnecter au monde ? CC BY-NC-ND

2050 : de Noël à la béatitude, la révolution des arbres

Nous avons demandé à nos auteurs d’imaginer à quoi pourraient ressembler les fêtes de fin d’année en 2050. Damien Karbovnik, sociologue des religions et spécialiste des nouvelles pratiques spirituelles s’est attaché à décrypter la quête spirituelle de la famille Martin dans un monde où la nature se raréfie. Avec… bienveillance bien sûr !


Ce réveillon de Noël 2050, la famille Martin a décidé de le fêter à la manière des « bienheureux », comme aiment à s’appeler eux-mêmes ceux qui ont fait le choix de vivre dans la « bienveillance » au quotidien.

Noël, « trop chrétien » pour eux, n’est plus que noël, même s’ils concèdent qu’une partie du message du Christ, d’une certaine manière, est toujours d’actualité, mais ils refusent « tous ces dogmes et croyances dépassés ».

Pour eux, pas besoin de se raconter d’histoires ni d’en raconter aux enfants. De Noël, ils ont gardé la date, « pour ne pas se déphaser avec les autres », ils en ont aussi gardé l’esprit, mais eux, « l’expériencent » vraiment. Ils célèbrent ce qu’ils appellent entre eux la « fête de la béatitude », fête pendant laquelle le bien-être n’est plus réservé aux seuls êtres humains.

Une harmonie retrouvée

Cette année, Gabriel et Jade Martin ont définitivement tranché : la fête se fera sans leurs parents. « Trop toxiques », nous confie-t-elle. Elle déplore de priver ses deux enfants, Kylian, 6 ans, et Louise, 8 ans, de ce lien familial, mais elle ne culpabilise pas.

« Chaque année, c’est un peu pareil avec les milléniaux : toujours des reproches, toujours des discours pessimistes sur l’avenir ; mais on les attend toujours, les catastrophes qu’ils nous ont prédites dans notre enfance. »

Certes, la température a légèrement augmenté et il fait un petit 15° de moyenne, en ce mois de décembre 2050 en région parisienne, mais les quelques catastrophes climatiques de ces dernières années n’ont pas entamé la confiance du couple :

« Nous on a décidé de vivre au jour le jour et on voit bien qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter, on le voit bien que rien n’a vraiment changé en dehors de quelques problèmes ponctuels. »

Gabriel enchaîne en nous expliquant qu’il ne supporte pas les conseils d’éducation de sa mère, toujours à les reprendre sur leur comportement vis-à-vis de leurs enfants. Pour lui, « ils ne comprennent rien à l’éducation assertive ». Bloqués dans « l’éducation positive », ils accusent les milléniaux de créer une fausse ambiance de bien-être qui ne serait, selon lui, qu’une condescendance intergénérationnelle, devenue dorénavant intolérable.

Si les parents sont absents, ils passeront une partie du réveillon en visio avec la sœur de Jade, restée dans le Sud avec sa famille afin de limiter son empreinte carbone. Distanciel oblige, ils ne s’échangeront pas de cadeaux, mais des énergies positives, un « cadeau sans valeur commerciale », nous explique Jade, et qui rappelle « la simplicité d’un bonheur familial sans jugement, dans la paix et le respect de chacun ».

Le Sapin, quant à lui, est toujours là, mais il est holographique. Totalement virtuel, il est complètement modulable dans sa forme et sa décoration depuis une application installée sur l’une des tablettes de la famille. En 2050, il est devenu impensable pour un bienheureux de couper un arbre.

Le sacre des arbres

Depuis la publication de l’ouvrage de Peter Wohlleben, la question du bien-être sylvestre a fait du chemin et a fini par rejoindre les adeptes du shirin-yoku, cette pratique initiée au Japon dans les années 1980 et qui a pour but de diminuer son stress et d’augmenter son bien-être par le contact avec la nature. Aussi appelé « sylvothérapie » ou « bain de forêt », le shirin-yku était dans un premier temps totalement centré sur le seul bien-être des êtres humains mais, au tournant des années 2030, de plus en plus de praticiens ont réussi à entrer en communication avec des arbres, dévoilant ainsi au monde entier la complexité de leur pensée et une philosophie sylvestre axée sur l’immobilité, le rythme des saisons et l’adaptation.

Découverte du shirin-yoku, France 3 Pays de Loire.

Pour Gabriel, la découverte du « message des arbres » avait été une véritable prise de conscience et, depuis ce jour, il n’avait plus jamais voulu faire de sapin de Noël.« La première fois que j’ai dit à mes parents qu’ils étaient des meurtriers, quand ils ont ramené un sapin à la maison, ils m’ont ri au nez », nous raconte-t-il, encore ému par l’événement.

« Ça a été mon pire noël, je crois. Depuis, je me suis promis de faire de mon mieux pour passer noël en accord avec de vraies valeurs gaïennes ».

Les valeurs gaïennes ont peu à peu remplacé les valeurs « humanistes », bien trop anthropocentrées et limitées. Gabriel précise :

« Comment veux-tu faire une fête sans tenir compte du bien-être de tous les êtres vivants qui t’entourent ? ».

Jade se rappelle qu’au début, moqueries et critiques « pleuvaient sur la sylvothérapie », mais elles n’ont fait, selon elle, que rendre possible « la croissance de la conscience gaïenne » et, en même temps, favoriser le développement spirituel des humains.

« Tout ça, nous dit-elle, nos parents ne le comprennent pas et viennent contaminer notre maison avec leurs énergies de meurtriers inconscients ».

D’ailleurs, avant le repas du réveillon, Gabriel et Jade emmèneront leurs deux enfants à la grande méditation de la béatitude, organisée au pied d’un chêne que la légende dit pluriséculaire. Gabriel s’empresse alors de préciser :

« C’est là que Saint Louis rendait la justice, les vibrations y sont vraiment très spéciales, elles ne sont pas seulement positives, elles sont justes. Je crois que c’est l’un des meilleurs endroits au monde pour tenter de communiquer avec un arbre ».

En effet, comme chaque année depuis près de vingt ans maintenant, tous les bienheureux se réunissent le jour de noël au pied d’arbres célèbres à travers le monde entier pour communiquer leurs énergies bienveillantes aux arbres, afin qu’ils puissent se défendre contre les intempéries et surtout les incendies, tout en continuant à nous protéger contre le réchauffement climatique. Jade est formelle :

« Depuis que la pratique s’est répandue, le climat s’est stabilisé ».

Un repas en pleine conscience

Pour le repas, en apparence, rien n’a changé quand on entend Gabriel et Jade en décliner le menu. Pourtant, le foie gras servi en entrée est de synthèse, car depuis la fin des années 2020 plus aucun foie gras produit « à l’ancienne » n’est toléré dans l’Union européenne. À table, les aliments d’origine animale sont d’ailleurs rares. Gabriel nous explique qu’ils ne sont pas végans, dans sa famille, mais qu’ils pratiquent « l’alimentation consciente », c’est-à-dire qu’ils ne mangent pas plus de produits d’origine animale que ce dont ils ont « biologiquement besoin ». Et pour le peu de viande qu’ils mangent, ils s’assurent du respect du bien-être de l’animal.

Pour le plat principal, une traditionnelle dinde, mais Jade raconte comment elle est allée la choisir elle-même auprès d’un éleveur à proximité : le circuit-court est devenu, en effet, la seule source d’approvisionnement pour les produits frais. Surtout, elle a pu ainsi s’assurer par elle-même des conditions d’élevage de l’animal.

Mieux encore, nous dit-elle, avec la dinde qu’elle mangera à noël, elle a pu pratiquer la « communication animale ». En approchant sa main de la tête de l’animal, elle est parvenue à communiquer avec elle et à l’informer de ce qui allait se passer. « Comme ça, explique-t-elle, l’animal comprend son destin et donne son consentement à son accomplissement ».

Outre un élevage et un abattage éthiques, Jade estime que la communication animale est le meilleur moyen de savoir si l’animal a réellement vécu une vie heureuse et s’il accepte de faire don de lui pour perpétuer le cosmos.

Gabriel s’empresse alors de préciser que le soir du réveillon, lorsque la dinde sera servie, et avant d’y goûter, il s’assurera que l’âme de la dinde aura trouvé son chemin dans l’après-vie. Réunie autour de la table, se tenant les mains, la famille assistera au voyage chamanique de Gabriel qui, une fois passé dans l’autre monde, dialoguera avec l’esprit de la dinde afin de s’assurer que son âme a bien quitté son corps.

Et cette vérification n’est pas superflue, nous raconte Gabriel : deux ans plus tôt, l’âme de la dinde avait refusé de quitter son corps. Il l’avait alors accompagnée, en lui montrant la « voie des étoiles ».

« Vous vous rendez compte, s’inquiète-t-il, on est passé à côté d’une catastrophe énergétique ! Mes parents nous assuraient qu’après la cuisson, il ne pouvait plus rester d’âme qui vive dans la dinde. Cette anecdote m’a permis de comprendre définitivement qu’ils n’étaient ni éveillés ni prêts pour l’éveil. »

Quant au dessert, la traditionnelle bûche, pour des bienheureux, ne saurait être remplacée. Quoi de mieux pour symboliser la nouvelle alliance entre les hommes et les arbres ? Jade s’empresse alors de nous rappeler l’origine païenne de cette tradition, dénaturée par les chrétiens :

« À l’époque païenne, ils n’avaient pas encore véritablement compris tout ce qui se jouait, mais ils avaient déjà senti que le lien qui nous unissait à l’Univers passait par les arbres ».

La fin du Père Noël

Au réveil, au pied du Sapin holographique, il n’y aura pas cadeaux. Jade et Gabriel déplore cette tradition. Pour eux, c’est elle qui a détruit l’esprit de noël. « De la célébration du partage, on est passé à celle de la consommation », s’insurge Gabriel. « Et je ne vous parle même pas de la question écologique », renchérit Jade. Mais ce qui les désespère le plus, l’un et l’autre, ce sont « toutes ces histoires de Père Noël ».

« C’est l’exemple même de la mauvaise idée, le Père Noël, explique Jade, agacée, et en plus, ça perpétue des schémas patriarcaux malsains ». Pour elle, il vaut mieux « dire la vérité » aux enfants : c’est le meilleur moyen de les rendre conscients de la beauté des liens qui les unissent à nous et au cosmos.

« Nous voulons élever nos enfants dans la confiance et la positivité. Rien de pire que de leur faire commencer leur vie par un mensonge et une trahison », témoigne Gabriel.

« Le jour de la béatitude, nous partageons le bonheur d’être réunis tous ensemble et reconnaissants de ce que chacun apporte à l’équilibre de notre famille, nous explique Jade, et le Sapin est là pour nous rappeler ce que nous devons aussi à la Nature. Tout ça, poursuit-elle, ça crée de bonnes énergies ».

Bien sûr, Jade et Gabriel reconnaissent qu’il vaudrait mieux se comporter ainsi tous les jours, mais les aléas de la vie rendent difficile de rester positif à longueur de temps. Alors, l’ancien jour de Noël, devenu nouveau jour de la béatitude, est l’occasion de partager un peu plus de vibrations positives que d’habitude, de compenser les écarts de l’année et de rééquilibrer les énergies du cosmos.

Célébrer le bonheur d’être ensemble, dans la paix et le partage, n’est-ce pas là l’esprit originel de Noël ? Pour les Martin, c’est un peu plus compliqué, et Gabriel nous explique la différence :

« On entend souvent la formule “Paix sur la Terre aux hommes de bonne volonté”, mais nous, on va beaucoup plus loin, on souhaite la paix à toutes formes de conscience, quelle qu’elle soit : homme, animal ou arbre ».

La communion de toutes les formes de conscience dans le respect des particularités de chacun ne serait-elle pas finalement le secret du bonheur ? « À n’en pas douter », nous disent Jade et Gabriel, tout en ajoutant : « À la condition de tenir aussi à distance tous ceux qui nous nuisent par leurs énergies négatives ».

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