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À quand une vraie politique d’asile pour le Maroc ?

Un policier marocain en uniforme discute avec des hommes noirs au milieu d'une foule
Un policier marocain s’entretient avec un groupe de migrants sub-sahariens à Casablanca le 15 janvier 2023 après des affrontements entre policiers et migrants visant à expulser ces derniers d’un camp illégal à Casablanca. AFP

Alors que le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) des Nations unies a annoncé en septembre dernier que plus de 10 200 réfugiés se trouvaient actuellement au Maroc, Rabat n’a toujours pas adopté la politique d’asile annoncée il y a dix ans.

En septembre 2013, le roi a lancé le chantier d’un droit d’asile qui devait passer par l’élaboration d’une loi et l’appropriation d’une procédure de reconnaissance des réfugiés jusqu’ici laissée au HCR. Cette initiative a été suivie d’avancées significatives et de projets de loi, avant de s’essouffler, tandis que le nombre de réfugiés dans le pays ne cessait de croître.

L’absence d’asile dans les pays « arabes »

Le Maroc est un pays africain et arabe. En matière d’asile, il entre davantage dans la deuxième catégorie. Tandis que la plupart des pays africains du sud du Sahara sont dotés de lois sur les réfugiés et ont élaboré leurs propres procédures, le Maroc demeure à ce jour, comme l’ensemble des pays de la région dite « MENA » (Middle East and North Africa), dépourvu de cadre ou de politique d’asile.

En dépit d’un décret adopté en 1957 « fixant les modalités d’application de la Convention relative au statut des réfugiés signée à Genève le 28 juillet 1951 » et créant le Bureau des réfugiés et apatrides, le Maroc ne s’est jamais doté d’une législation et d’une procédure d’asile proprement dites.

Depuis une soixantaine d’années, le HCR se charge de la détermination du statut de réfugié et de l’accès aux droits, en collaboration avec des associations locales, mais l’accord de siège avec le Maroc, officialisant ce rôle, n’a été conclu qu’en 2007.

La mise à l’agenda politique de l’asile

La question de l’asile s’invite au Maroc au début des années 2000, sous l’effet conjugué d’une augmentation de la présence étrangère, y compris en besoin de protection, et d’une politique du HCR et de l’Union européenne visant l’adoption de politiques d’asile dans l’ensemble du Maghreb. L’Europe cherche alors à « externaliser » le contrôle des frontières et à obtenir la contribution des pays maghrébins au maintien des réfugiés et demandeurs d’asile en amont de la Méditerranée.

Le nombre de réfugiés connaît une forte progression en 2005-2006. De manière générale, la présence étrangère augmente au cours de ces années, sous l’effet notamment des difficultés accrues pour se rendre légalement en Europe. On décompte environ 1 800 demandes d’asile entre début 2005 et mi-2006.

Ce n’est qu’en 2013 que le processus d’élaboration d’un droit d’asile est lancé. L’initiative du roi pour une « Nouvelle politique d’immigration et d’asile » (NPIA) suit les recommandations du Conseil national des droits de l’homme (CNDH). Elle s’inscrit dans une concordance d’intérêts « post- mouvement du 20 février 2011 ». Ce mouvement, qui s’inscrivait dans la vague de contestations et révolutions qualifiée de « printemps arabe », a été suivi de l’adoption d’une nouvelle Constitution, d’élections et de plusieurs projets de réformes. Parmi ceux-ci, le projet de « NPIA » nourrit une réaffirmation de la politique africaine du Maroc, répond aux demandes de la société civile ainsi qu’aux attentes de l’UE et des instances internationales, et est aussi un pied de nez au gouvernement Benkirane de l’époque, qui défendait le bilan de sa politique.

L’enthousiasme des premiers pas

Les Orientations royales du 6 novembre 2013 visent à « élaborer une nouvelle politique globale relative aux questions de l’immigration et de l’asile, suivant une approche humanitaire conforme aux engagements internationaux du Maroc et respectueuse des droits des immigrés ». Le ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger est réorganisé et élargi aux « Affaires de la migration » pour inclure l’immigration. Il est confié à Anis Birou, qui demeure à ce poste jusqu’au 5 avril 2017 et porte les projets de réforme avec conviction.

La conjugaison de dynamiques personnelles et collectives aboutit à un tournant remarquable sur le plan formel et celui des pratiques. Une amélioration des droits des étrangers est clairement observée. La NPIA est d’abord constituée d’un chantier législatif, avec l’ambition d’adopter une loi contre la traite des personnes, une loi sur l’immigration et une loi sur l’asile. Un avant-projet de loi sur l’asile est proposé dès le 13 mars 2014. Finalement, seule la loi contre la traite des êtres humains est adoptée, en 2016.

En septembre 2013, le Bureau des réfugiés et apatrides (BRA) est rouvert et une commission en charge de la régularisation des réfugiés reconnus par le HCR est créée. Le HCR continue à effectuer la détermination du statut de réfugiés, qui doit ensuite être confirmée par le BRA. Le BRA doit donc auditionner les réfugiés reconnus comme tels par le HCR et, lorsque leur statut est confirmé, délivre la carte de réfugié, qui permet d’accéder à la carte de séjour et aux droits afférents. Il est prévu qu’une fois la loi sur l’asile adoptée, l’ensemble de ces responsabilités seront transférées aux autorités marocaines. Lors des premières phases de régularisation, en 2013 et 2014, toutes les personnes auditionnées par le BRA sont régularisées. Ce sont principalement des Ivoiriens, des Congolais et des Irakiens. Le 24 décembre 2013, les premières cartes de réfugié et de séjour sont délivrées.

En 2014 est aussi menée une campagne de régularisation administrative des étrangers en situation irrégulière. Une suite favorable est donnée à 83,53 % des 27 649 demandes déposées. Certains demandeurs d’asile, notamment syriens, en bénéficient du fait des réticences du BRA à leur reconnaître le statut de réfugié. La même année, la Stratégie nationale d’immigration et d’asile (SNIA) est lancée, qui vise l’accès aux droits, notamment à la santé, à l’éducation et au logement, pour les personnes régularisées, y compris les réfugiés. Une seconde campagne de régularisation des étrangers se déroule de 2016 à 2017.

L’essoufflement

Le 9 décembre 2015, le projet de loi sur l’asile est programmé pour passer en conseil de gouvernement. Il en est retiré le jour même. On se situe alors en pleine « crise migratoire » en Europe. Rabat, à l’instar de son voisin algérien et de l’UE, impose un visa d’entrée aux Syriens – comme aux ressortissants de la plupart des pays sources de réfugiés (Libye, Yémen, Soudan, Érythrée, Éthiopie, Cameroun, Centrafrique…), ce qui est un moyen d’empêcher leurs arrivées régulières.

Dans son discours du 20 août 2015, le roi avait en quelque sorte distingué asile et hospitalité :

« Le Maroc restera comme toujours une terre d’accueil pour ses hôtes qui s’y rendent dans la légalité. Le Maroc ne sera jamais une terre d’asile. »

Un second projet de loi est néanmoins soumis au conseil de gouvernement en septembre 2018. Avec l’organisation les 10-11 décembre de cette même année du sommet de Marrakech de l’ONU qui aboutit à la signature du « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières », dit Pacte de Marrakech, dans un contexte où le Maroc se voit de nouveau critiqué pour le non-respect des droits des migrants, plusieurs voix pronostiquent l’adoption prochaine du projet de loi sur l’asile, qui viendrait rappeler, comme en 2014, que le Maroc peut être un modèle dans la région. L’année 2017 avait d’ailleurs été marquée par le retour du royaume dans l’Union africaine (UA), laquelle l’avait nommé « leader sur la question des migrations ».

Cependant, le Pacte de Marrakech n’est pas accompagné de l’adoption de la loi sur l’asile. Une version actualisée, présentée en 2019 au conseil de gouvernement, se perd dans les couloirs ministériels où un projet serait de nouveau discuté de manière discrète depuis 2022. En parallèle, le BRA, qui avait suspendu ses travaux à plusieurs reprises – en mars 2015 pour six mois, entre mars 2017 et décembre 2018, de nouveau en 2020 avec la crise sanitaire – les a repris en 2022, mais à un rythme très faible. En conséquence, moins de la moitié des réfugiés auraient des documents de résidence valide.

Ces dysfonctionnements s’inscrivent dans un essoufflement de la SNIA et des reculs en matière de respect des droits des étrangers, visibles dès 2017. Le ministère des Marocains résidant à l’étranger perd d’ailleurs de nouveau toute référence à l’immigration et redevient délégué (auprès du ministre des Affaires étrangères). Fin 2018, malgré les régularisations, seuls environ 1 000 étrangers bénéficiaient de la SNIA du fait des problèmes d’obtention ou de renouvellement des titres de séjour des régularisés et des fermetures du BRA. Les relations entre le HCR et le gouvernement marocain sont par ailleurs compliquées, parfois tendues, depuis lors.

La situation actuelle de l’asile

Après une augmentation du nombre de réfugiés à partir de 2015, du fait des guerres en Syrie et au Yémen, une progression est encore observée en 2018. Au 1er octobre, le HCR dénombre 5 353 réfugiés et 1 985 demandeurs d’asile, principalement de Syrie mais aussi du Yémen, du Cameroun, de Côte d’Ivoire et de Guinée. Du fait des suspensions d’activité du BRA, beaucoup de réfugiés n’ont plus accès à l’emploi et décident de quitter le pays pour se rendre en Europe – le taux de départ est évalué par le HCR à environ 30 % des personnes sous son mandat. Des personnes dotées d’un document HCR se font arrêter lors de tentatives de passage vers l’Europe, ce qui réactive, chez les policiers, la suspicion de fraude aux documents : tandis que les refoulements de personnes disposant d’une attestation du HCR – devant donc être protégées du refoulement – avaient cessé ces dernières années, ils reprennent.

En septembre 2020, le HCR dénombre 7 561 réfugiés reconnus de son côté, dont la majorité est syrienne. Le nombre de personnes en recherche de protection poursuit ensuite sa progression. Au 30 juin 2022, 19 278 personnes sont recensées, partagées de manière quasiment égale entre réfugiés et demandeurs d’asile. Elles proviennent principalement de Syrie (5 251), de Guinée, de Côte d’Ivoire, du Yémen, du Cameroun, de Centrafrique mais aussi désormais du Soudan.

L’augmentation de la présence des Soudanais est flagrante dès 2021, liée sans doute à la situation dramatique en Libye où se rendaient la plupart d’entre eux, et d’où certains partaient pour l’Europe. Les Sud-Soudanais font partie des nationalités bénéficiant d’une reconnaissance « prima facie » de leur statut de réfugié par le HCR (s’ils bénéficient de papiers d’identité, ce qui est rarement le cas), aux côtés des Syriens, des Yéménites, des Centrafricains et des Palestiniens, pour faciliter leur accès à la protection dès l’enregistrement. Les autres nationalités suivent la procédure normale. En juin 2022, la Côte d’Ivoire est retirée de la liste des pays à risque ; la part de ses ressortissants au Maric diminue donc depuis, les Ivoiriens sachant qu’ils sont moins susceptibles qu’auparavant d’obtenir le statut de réfugié.

Aujourd’hui, le Maroc continue à jouer la carte migratoire dans le cadre de sa diplomatie africaine en promouvant un « Agenda africain sur la migration », mais plus personne ne porte la politique d’asile et d’immigration sur le plan national. Il semble que le projet royal de 2013 ait répondu à une coïncidence d’intérêts et d’ambitions à une période donnée, ce qui expliquerait l’essoufflement constaté dès 2018.

Sur le plan interne, une approche plus pragmatique pourrait être adoptée concernant les moyens de la politique d’asile. Le HCR offre beaucoup aux réfugiés (aide au logement, frais médicaux, allocation éducation notamment). C’est davantage que ce que l’État marocain procure aux étrangers, en dépit de certains progrès, par exemple dans l’accès à l’éducation et à la santé. Avec l’adoption de la loi viendra le temps des décrets d’application, de la mise en œuvre, du budget, de la question des coûts et des calculs ; la peur éventuelle, aussi, que la nouvelle loi provoque un appel d’air.

Plus qu’un aboutissement, la loi à venir constituerait le nouveau point de départ d’un processus encore long de débats, de discussions et de tâtonnements sur la voie de la fabrique de l’asile. La question de l’asile et de la migration reste un dossier sensible, partagé entre plusieurs compétences ministérielles, ce qui fait ressortir les tensions. La variation des contenus des projets de loi et le silence autour de leur (non) adoption reflètent le caractère hautement complexe de ce sujet.

Pourtant, le nombre de réfugiés et demandeurs d’asile demeure relativement faible et l’adoption d’une politique d’asile nationale permettrait au Maroc de maîtriser son évolution plutôt que de la subir. Elle ajouterait aussi à la sincérité de l’action du « leader de l’UA sur la question des migrations ».

À l’heure où des voix appellent à l’adoption d’une nouvelle loi sur l’immigration, on peut s’interroger sur le maintien de l’engagement marocain au regard du processus lancé il y a dix ans. Le Maroc peut-il encore s’afficher en modèle au sein de l’Afrique et mobiliser la même rhétorique alors que les droits sont clairement en recul depuis ?

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