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Affaire Nahel : les Républicains ont-ils été pris au piège de la récupération politique ?

Eric Ciotti, chef de file des LR lors de l'assemblée générale du parti au Cirque d'Hiver àParis le 17 juin 2023. Photo d'illustration. Ludovic Marin/AFP

L’affaire Nahel et les violences urbaines qui ont suivi son décès dans le cadre d’un contrôle policier ont donné lieu à une multiplication de prises de position et d’initiatives de responsables politiques de tous bords. Beaucoup sont apparues comme des réactions manichéennes et ont semblé destinées à en tirer un avantage politique.

Les stratégies opportunistes et de récupération ne sont pas des phénomènes nouveaux en politique et concernent toutes les tendances. Leur analyse éclaire néanmoins les défis auxquels font face Les Républicains (LR), suite aux turbulences traversées par le parti lors de la réforme des retraites et à la destitution d’Aurélien Pradié de son poste de vice-président.

Opportunisme et récupération politiques

En 2002, l’agression d’un retraité au visage tuméfié à Orléans quelques jours avant le 1re tour de l’élection présidentielle avait choqué nombre de personnes et avait été largement commentée. Les responsables de droite et d’extrême droite l’avaient présentée comme le symbole du laxisme en matière de sécurité du gouvernement de Lionel Jospin, justement candidat à l’élection présidentielle. Battu quelques jours plus tard par Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen lors du 1re tour, certains observateurs avaient estimé que la récupération de ce fait divers avait effectivement contribué à la défaite du candidat socialiste.

Parfois les situations peuvent permettre aux politiciens de se mettre eux-mêmes en scène. Le 13 mai 1993, la prise d’otages de jeunes enfants d’une école maternelle à Neuilly avait donné lieu à l’intervention dans la négociation avec le preneur d’otages de Nicolas Sarkozy, alors maire de la ville et peu connu du grand public. Sa sortie de l’école, tenant dans les bras l’un des écoliers, avait fait la une des journaux. Malgré les polémiques provoquées par le rôle joué par l’élu gaulliste, elle avait contribué à le faire connaître et cet épisode avait façonné l’image d’un homme habile et courageux… qui allait devenir président de la République quelques années plus tard.

1993 : Nicolas Sarkozy, maire de la ville, s’exprime lors de la prise d’otages à la maternelle du Commandant Charcot à Neuilly (Archive INA).

Mais la récupération et l’opportunisme en politique ont parfois un effet inverse à celui escompté. En 1988, Jacques Chirac était donné largement perdant avant le second tour de l’élection présidentielle face à François Mitterrand. La libération des derniers otages français détenus au Liban orchestrée par Charles Pasqua, son ministre de l’intérieur, juste avant le second tour, semblait venir à point nommé pour inverser la tendance. Jacques Chirac ne manquait d’ailleurs pas de les accueillir à l’aéroport, lors de leur arrivée en France.

Mais pour beaucoup, le moment de cette libération, quelques jours avant le second tour, n’était peut-être pas le fruit du hasard. Et le candidat de la droite fut finalement largement battu par François Mitterrand qui obtint 54 % des voix.

Le cas des Républicains

Les violences urbaines liées au décès du jeune Nahel ont donné lieu à de nombreuses tentatives de récupération à droite et à gauche. Dans le cas de Républicains, elles ont permis aux défenseurs d’une ligne ferme et autoritaire centrée sur les sujets régaliens de mettre en avant les questions d’immigration et de sécurité. Laxisme du gouvernement, dérives identitaires et communautaristes, absence de volonté d’intégration ont été pointés du doigt. La séquence a aussi permis à Laurent Wauquiez d’accorder un entretien au Figaro laissant peu de place aux doutes concernant la future stratégie présidentielle du parti et l’identité de la personnalité vouée à l’incarner.

Les propos de Bruno Retailleau stigmatisant la « régression vers les origines ethniques » de jeunes simplement « Français par leur identité » ont concentré les critiques de la gauche dénonçant une surenchère destinée aux électeurs du RN.

Aurélien Pradié, le trublion de a droite ? Évincé de son poste de numéro 2 des LR après la séquence des retraites, le jeune député du Lot veut incarner une droite « sociale ». Illustration, février 2023 à l’Assemblée nationale. Ludovic Marin/AFP

Mais ils ont aussi ravivé les tensions déjà mises à jour par la réforme des retraites entre les tenants d’une ligne ferme et autoritaire incarnée par Eric Ciotti et les défenseurs d’une droite plus sociale défendue par Xavier Bertrand ou Aurélien Pradié. Ce dernier a notamment estimé que ces propos n’étaient pas acceptables et remettaient en cause les valeurs fondamentales de la droite gaulliste en évoquant une guerre des races.

Un triple défi de positionnement idéologique, de personnes et de management

Les prises de position de l’aile droitière des Républicains et les tensions qui en découlent soulèvent plusieurs questions. La première est idéologique et concerne le positionnement du parti, notamment vis-à-vis du Rassemblement national (RN).

Crise après crise, le RN semble tirer avantage d’une stratégie visant à assoir sa respectabilité. La ligne portée par Eric Ciotti, qui distingue peu ou plus LR du parti d’extrême droite d’un point de vue idéologique, comme les polémiques à répétition et le manque d’unité semblent favoriser, au regard des récents sondages, la formation de Marine Le Pen.

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La seconde est un problème de personnes et de courants et concerne notamment l’avenir d’Aurélien Pradié au sein du parti. L’animosité qu’il provoque chez certains responsables des Républicains comme Bruno Retailleau et ses critiques de la ligne officielle posent à nouveau les questions de son appartenance à la formation de droite et de la coexistence du courant « identitaire » et du courant « social » au sein d’une même entité.

La troisième question concerne le management d’Eric Ciotti. Les recherches ont montré qu’un leadership efficace se nourrissait à la fois de fermeté et de capacité à trancher, mais aussi de sens du compromis, de la négociation et de l’écoute. Jusqu’à quand pourra-t-il dès lors laisser s’exprimer une voix dissonante remettant en question son leadership sans décider de l’exclure ? Une telle décision renforcerait son autorité… mais pourrait aussi réduire le spectre idéologique d’une formation aujourd’hui minoritaire et considérablement réduire ses espoirs d’un retour au premier plan.

Finalement, au-delà de la situation particulière de LR et de l’impact de ces événements sur son (re) positionnement idéologique, cette séquence montre une nouvelle fois qu’utiliser les faits divers et l’émotion qu’ils provoquent pour essayer de faire passer de nouvelles règles et en tirer un avantage politique est un exercice dangereux.

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