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Afrique subsaharienne : des matières premières, des hommes… mais pas d’électricité

Dans la banlieue de Soweto, en Afrique du Sud, des habitants regardent un match de la Coupe du Monde en se branchant illégalement à l'électricité. Yasuyishi Chiba/AFP

L’Afrique subsaharienne (ASS, qui se compose de 49 pays) possède le double avantage d’être extrêmement riche en ressources naturelles et en capital humain. Une bonne gestion de ces deux éléments pourrait garantir le développement économique du sous-continent dans les années à venir, alors qu’il ne représente aujourd’hui que 3 % du produit intérieur brut (PIB) mondial et 2 % de la valeur des échanges mondiaux. En 2017, l’ASS affichait une population de 1,061 milliard d’habitants.

Un territoire riche en matières premières

L’ASS possède 3 % des réserves mondiales de gaz, 4 % des réserves de pétrole et 23 % des réserves d’uranium, ainsi que d’importantes réserves minières dont 25 % de la bauxite (notamment en Guinée), 56 % du cobalt (République démocratique du Congo) ou 28 % du diamant. Certains pays, comme le Nigeria ou l’Angola, en concentrent la part la plus importante : ces deux pays possèdent respectivement 58 % et 18 % des réserves de pétrole du sous-continent. Globalement, les ressources naturelles demeurent toutefois assez dispersées sur le territoire.

On trouve ainsi 85 % des réserves de pétrole de l’ASS dans le golfe de Guinée – soit 55 milliards de barils – et de l’uranium dans le Sud, dont 29 % au Niger et 65 % dans la région sud du continent – Botswana, Namibie et Afrique du Sud en particulier.

Comme beaucoup de pays riches en ressources au niveau mondial, les producteurs africains souffrent néanmoins d’une faible diversification de leurs économies. Ils connaissent une forme de désindustrialisation depuis les années 1970, en raison notamment de leur dépendance marquée aux cycles des marchés de matières premières, dont les prix sont extrêmement volatils.

La faiblesse des infrastructures, les spécialisations historiques dans des productions à faible valeur ajoutée – extraction énergétique ou minière sans transformation – et les problèmes de gouvernance dans la gestion des ressources naturelles ont souvent compromis la dynamique de développement.

De nombreux paradoxes existent ainsi : au Nigeria, qui détient le premier PIB d’Afrique subsaharienne, 45 % de la population – soit 87 millions de personnes – vit actuellement sous le seuil international de pauvreté. La consommation d’énergie primaire de la région, à savoir 0,7 tonne d’équivalent pétrole (tep)/habitant), reste ainsi largement inférieure à la moyenne mondiale, qui s’élève à 1,9 tep/habitant en 2014.

Le mix énergétique primaire en ASS s’appuie à 61 % sur l’utilisation de la biomasse – énergie produite à partir de matière organique – et à 34 % sur celle des énergies fossiles, dont près de 17 % de charbon. Les émissions de CO2 sont parmi les plus faibles des régions habitées du globe ; elles ne représentent aujourd’hui que 4 % du total mondial, pour environ 17 % de la population globale.

Les projections démographiques à l’horizon 2050 et la dynamique de développement anticipée laissent toutefois craindre une augmentation marquée des émissions dans les années à venir.

Consommation d’énergie primaire en gigajoules par habitant en 2016. Emmanuel Hache/Banque mondiale, CC BY-NC-ND
Mix énergétique primaire en Afrique subsaharienne. Emmanuel Hache/Enerdata, CC BY-NC-ND

Une force démographique en devenir

Avec 1,26 milliard d’habitants, la population africaine représente aujourd’hui 17 % du total mondial et devrait plus que doubler d’ici à 2050 pour atteindre environ 40 % de la population globale en 2100, selon l’ONU. L’Afrique subsaharienne représente 84 % de la population du continent, avec un taux de croissance économique de 2,8 %, supérieur de 0,1 % à la moyenne de l’Afrique.

Évolution de la répartition de la population mondiale. Emmanuel Hache/Ades ONU, CC BY-NC-ND

Si la main-d’œuvre est jeune et abondante, 95 % de la population africaine ayant moins de 60 ans et 43 % moins de 15 ans, les taux de chômage avoisinent les valeurs observées en Occident – malgré de fortes disparités entre les pays. En 2017, l’Afrique connaissait un taux de chômage de 8 %, la Chine de 4 % et l’Union européenne de 8,2 %. Le dynamisme démographique place chaque année 12 millions de travailleurs supplémentaires sur le marché du travail.

Toutefois, la faible productivité observée dans les secteurs agricole et industriel rend les travailleurs africains moins compétitifs que leurs homologues des pays émergents asiatiques. D’autant plus que l’accès à l’éducation de base n’est pas garanti partout et qu’une partie des élites fuit le continent pour de meilleures opportunités d’emploi en Europe ou aux États-Unis.

Les pays africains souffrent d’une importante « fuite des cerveaux ». Unesco/Campus France

Un retard considérable pour l’électrification

57,2 % de la population n’a pas accès à l’électricité en Afrique subsaharienne en 2016. Wikimedia, CC BY

407 millions de personnes, soit 40 % de la population de l’Afrique subsaharienne vit sous le seuil international de pauvreté, avec un accès limité à l’eau, à l’électricité, aux soins de santé de base et à une éducation rudimentaire. L’ASS concentrait, en 2015, plus de la moitié des pauvres de la planète, contre un quart en 2002.

De manière générale, le déficit en infrastructures est considérable en Afrique subsaharienne. Entre 130 et 170 milliards de dollars seraient nécessaires chaque année au développement des infrastructures, selon la Banque africaine de développement.

L’électricité fait partie des secteurs prioritaires : en 2016, 57,2 % de la population – soit 591 millions de personnes – n’a pas accès à l’électricité en ASS. La majorité des Africains connectés au réseau souffre de coupures régulières, empêchant toute activité économique d’ampleur. La consommation est très faible, 20 fois moins que celle de la France et 15 fois moins que celle de l’Union européenne).

On observe par ailleurs des disparités géographiques remarquables : des territoires comme les Seychelles présentent un taux d’électrification proche de 100 % tandis que le Tchad ou le Burundi sont en dessous de 9 %. La disparité entre les zones rurales et les zones urbaines reste aussi très importante, avec une électrification moyenne de 22 % pour la première, contre 71 % pour la seconde en 2016.

Au niveau du continent, cette électrification augmente lentement, grâce aux politiques et actions mises en place. En 2018 et pour la première fois, l’électrification du territoire a augmenté plus rapidement que la croissance démographique.

Les disparités régionales demeurent fortes et certains États, comme le Mali, perdent même en capacité électrique, la guerre ou le terrorisme causant des destructions d’infrastructures.

Des conséquences tangibles sur la population

Cette situation n’est pas sans impact pour la population et l’économie. En zone non électrifiée, les jeunes ne peuvent pas étudier à la nuit tombée, les agriculteurs ne peuvent pas suivre l’évolution des prix de leurs produits sur les marchés locaux, et les femmes, qui passent en moyenne 1 à 5h par jour à récolter du bois, peuvent difficilement accéder à un emploi et s’émanciper.

D’un point de vue économique, les pertes liées à la transmission et la distribution – 23 % en moyenne, jusqu’à 48 % au Rwanda – et la faible production – 1,8 % de la production mondiale d’électricité pour 17 % de la population – entraînent des coupures fréquentes. Entre 2010 et 2017, il a été constaté en moyenne 8,9 coupures par mois en ASS qui peuvent durer en moyenne 5,8 heures.

Les entreprises doivent utiliser des générateurs diesel de secours pour pallier les faiblesses du réseau, ce qui pèse sur les finances et n’améliore pas le climat des affaires : le Liberia et le Tchad produisent plus de 50 % de leur électricité grâce à des générateurs diesels individuels.

Certains pays d’Afrique subsaharienne produisent plus de 50 % de leur électricité avec des générateurs diesel individuels. Guinée Solidarité Provence, CC BY-NC-ND

Entre 60 et 90 milliards de dollars par an seraient nécessaires pour atteindre 100 % d’électrification en zone urbaine et 95 % en zone rurale d’ici 2025, selon la Banque africaine de développement.

Il est donc urgent d’établir un plan structuré, réaliste, déployable rapidement et aux répercussions durables pour l’ensemble de la société, afin de développer le secteur électrique en ASS. La clé du développement africain dans les années à venir implique, peut-être, un déploiement massif et structuré des énergies renouvelables.


Rebecca Martin, étudiante à l’École Centrale de Lyon, a participé à la rédaction de cet article.

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