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Al-Qaida en a rêvé, Daech l’a fait 

Des membres de l'Etat islamique paradent dans les rues de Raqqa, en juin 2014. Reuters

Les terroristes, comme la plupart de leurs contemporains, ont des rêves, plus ou moins formulés mais structurants, et qui justifient (ou plutôt, dans leur esprit, qui légitiment) l’usage de la violence politique. On peut envisager le terrorisme à partir des pratiques, des discours, des revendications. Sans doute est-il aussi révélateur de se pencher sur les fantasmes politiques des terroristes, à la manière dont Charlotte Beradt scrutait les cauchemars des Allemands sous le nazisme, comme un aveu inconscient, un témoignage d’aliénation.

En tant qu’idéologie politique, l’islamisme postule à la renaissance d’un pouvoir politico-religieux dans l’islam : après la chute de l’Empire ottoman, l’abolition du sultanat (1922) et celle du califat (1924), on assiste, au sein de la communauté musulmane, à l’émergence d’un discours revendiquant une renaissance de ce pouvoir. Il ne s’agit pas ici de faire l’histoire de l’islamisme, mais de comprendre la généalogie de la violence : comme toute idéologie politique, l’islamisme propose un but sans indiquer un chemin.

Or les chemins sont multiples – depuis la conquête politique et religieuse de l’électorat (dans un cadre démocratique donc) jusqu’à la violence considérée comme la « voie rapide ». Cette histoire est connue, c’est celle des Frères musulmans et du développement de l’islamisme jihadiste, à la marge de la confrérie et du fait d’un théoricien extrémiste, Sayid Qotb (1906-1966).

Djihad universel

Des premiers attentats en Égypte jusqu’à ceux du 13 novembre 2015 à Paris, l’islamisme djihadiste a muté, évolué, s’adaptant au contexte international (la Guerre froide, puis sa conclusion) comme au progrès technologique. Les premiers groupes terroristes, tel le Djihad islamique, fonctionnent sous la forme de réseaux terroristes classiques et sur un modèle qui date du XIXe siècle, celui de la société secrète.

À sa naissance, à la fin des années 80, Al-Qaida bénéficie d’un contexte favorable avec le conflit en Afghanistan dans le cadre de la Guerre froide, mais aussi du développement des médias avec, notamment, la chaîne qatarie Al-Jazira dont les bureaux à Kaboul furent le canal par lequel les revendications du groupe transitèrent. Son apparition marque un changement majeur. Que l’on parle de « nébuleuse » ou de « franchise », Al-Qaida est bien un modèle nouveau : celui d’un réseau globalisé et dématérialisé, organisé en succursales – la métaphore commerciale s’impose – et qui prône un djihad universel visant les ci-devant « ennemis de l’islam ». Mais Al-Qaida milite aussi pour la renaissance d’un pouvoir politico-religieux dans la lignée de l’islamisme.

Communication 2.0

En proclamant la renaissance du califat à Mossoul, le 29 juin 2014, Abou Bakr al-Baghdadi fonde l’État islamique et prétend ainsi réaliser le rêve islamiste. Dans sa proclamation, il mentionne le califat comme « une obligation abandonnée durant cette période ». Une critique à peine voilée, et qui incite à dresser un parallèle entre Daech et Al-Qaida. La comparaison n’est pas anodine : entre la structure née en 1989 dans le chaudron afghan et l’État autoproclamé, fondé en 2014 dans le chaos irakien, il existe une rivalité dont l’Europe est peut être devenue l’un des champs clos. À ce propos, il faut s’interroger sur la concomitance des attentats de Paris et de Bamako.

Point commun évident, l’idéologie islamiste – passée au crible du logiciel djihadiste – et la méthode terroriste. De même, l’usage des médias et réseaux sociaux, plus ou moins professionnalisé : quel écart, toutefois, entre les vidéos de revendication d’Al-Qaida et la revue de propagande de l’État islamique, Dabiq, œuvre d’une cellule communication, al-Furqan, de niveau professionnel ! Entre-temps, le rôle des médias 2.0 s’est imposé et Daech fait montre de son efficacité en « ciblant » les publics et en adaptant sa propagande à des fins de radicalisation.

État-nation islamiste

Mais entre les deux structures, un gouffre s’est creusé : celui du califat. Si le terrorisme a un horizon d’attente, alors pour l’islamisme djihadiste, cet horizon est le califat. C’est tout le sens de la critique formulée par A. B. Al-Baghdadi dans sa proclamation : Al-Qaida s’est détourné de ce projet pour livrer un combat mondialisé contre « l’ennemi ». Daech a repris et réalisé le rêve d’Al-Qaida – la proclamation d’un califat – et a ainsi donné à quelques individus en quête de repères une « patrie ». Un peu comme Moscou fut, un temps, la patrie du communisme…

Cet « État islamique » – qui revendique un droit, des tribunaux et bat la monnaie – ne reconnaît ni les valeurs, ni les principes, ni les règles de l’État moderne. Il se revendique d’une conception ancienne (l’État islamique dans sa version médiévale) et d’un idéal à la fois révolutionnaire et réactionnaire : la recréation du califat. De la sorte, Daech se considère comme plus « islamiste » qu’Al-Qaida.

Si le nationalisme a, dans une certaine mesure, affaibli Al-Qaida – en désorganisant par exemple Al-Qaida au Maghreb islamique, confronté aux tensions entre les activistes algériens, maliens (qui vont faire sécession pour former le MUJAO) et touaregs (qui firent de même avec Ansar-dine) – il trouve avec Daech une expression classique, celle d’une sorte d’État-nation islamiste, à la fois mirage, foyer et modèle. Et cette rivalité, qui se joue à coup d’attentats, entre les deux structures, l’une en perte de vitesse et l’autre ascendante, constitue une cause supplémentaire de menace, un nuage sombre dans un ciel déjà gris.

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