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Cibler les consommateurs sur leurs convictions politiques : une stratégie dangereuse

Une publicité Nike mettant en scène le quarterback de football américain Colin Kaepernick, militant contre la violence policière et la politique de Donald Trump, diffusée le 8 septembre 2018 à New York. Angela Weiss/AFP

Comme l’illustrent la procédure d’impeachment de Donald Trump, le Brexit ou le mouvement des « gilets jaunes », nombre de sociétés démocratiques connaissent une polarisation politique de plus en plus importante.

Les convictions politiques jouant un rôle croissant dans le quotidien et l’identité des individus, est-ce un jeu dangereux pour les entreprises de cibler les consommateurs en s’appuyant sur leurs convictions ?

Nos convictions politiques impactent nos comportements de consommation

La question du rôle des valeurs politiques sur la consommation a été essentiellement soulevée aux États-Unis, où des études ont identifié des comportements de consommation différents entre libéraux et conservateurs, dans des domaines parfois insoupçonnés. Par exemple, dans le domaine alimentaire, alors que les Républicains (conservateurs) préfèrent les mozzarella sticks et la cuisine chinoise, les Démocrates (libéraux) portent leur préférence vers les burgers végétariens et les salades d’avocat.

Évidemment, ces différences s’appliquent également aux préférences vis-à-vis des entreprises, perçues par les consommateurs comme étant d’un bord politique ou d’un autre. Nike et Facebook sont par exemple perçues comme étant davantage Démocrates, quand JPMorgan Chase et Wells Fargo seraient davantage Républicaines. Ces perceptions dépendent souvent des engagements politiques (par exemple via le financement d’un parti, d’un candidat, ou de programmes sociaux) ainsi que des déclarations des dirigeants des entreprises. Beaucoup de démocrates se sont ainsi détournés, au moins temporairement, de la chaîne de fast-food Chick-fil-A depuis que son directeur général a déclaré son opposition au mariage gay.

Campés devant un restaurant de la chaîne Chick-Fil-A, ce couple gay milite pour les droits des homosexuels.

Cet exemple illustre le fait que les consommateurs ont tendance à rejeter les entreprises dont les valeurs politiques sont opposées aux leurs. Une étude académique a d’ailleurs montré que le seul fait de mentionner qu’une entreprise soutient financièrement un parti politique impacte le goût d’un biscuit : si je sais que le biscuit est vendu par une entreprise qui soutient un parti opposé à mes convictions politiques, alors je trouverai ce biscuit moins bon.

De façon plus consciente, les appels à soutenir ou à boycotter une marque s’appuient largement sur les valeurs politiques des consommateurs et les positions prises par les entreprises. Des mouvements, comme #GrabYourWallet, listent les différentes entreprises à soutenir ou à rejeter en fonction de leurs prises de position ou des associations qu’elles financent.

Des signaux plus faibles pour mieux cibler les consommateurs

Face aux risques inhérents à ces stratégies, des recherches récentes ont testé les effets de signaux politiques plus faibles qu’une prise de position explicite sur des sujets de société comme l’avortement, ou le financement de partis politiques.

Afin d’éviter des mouvements de boycott ou d’opposition, comme Gilette en a fait les frais en se positionnant clairement contre la masculinité toxique dans une publicité, les entreprises peuvent faire référence aux valeurs sous-jacentes des idées politiques.

Autorité, altruisme, justice sociale ou encore sacré sont des valeurs dont l’importance pour chaque individu influe fortement sur ses convictions politiques.

Ainsi, pour reprendre l’exemple des États-Unis, les Républicains sont particulièrement soucieux du respect de l’autorité, de l’ordre social et de la tradition, quand les Démocrates s’intéressent davantage à la défense de la justice sociale, de la diversité et de l’égalité. Les entreprises jouent largement sur ces valeurs dans leurs communications, du « Venez comme vous êtes » de McDonald’s (qui met en avant la diversité) aux représentations traditionnelles de repas en famille par Herta.

Des chercheurs en marketing ont montré que l’utilisation de ces signaux faibles dans une campagne de communication pouvait affecter les comportements des consommateurs. Mais leur efficacité dépend de l’objet de la campagne. Pour les comportements qui ne sont pas à risque immédiat ou pour lesquels les consommateurs ne sont pas fortement engagés, l’adéquation entre valeurs utilisées par la campagne et convictions politiques des consommateurs a un effet positif. Ainsi, les Démocrates recyclent davantage lorsqu’ils sont exposés à des communications incitant au recyclage qui s’appuient sur des valeurs libérales, et l’effet est similaire pour les Républicains avec des valeurs conservatrices.

Ces effets semblent s’inverser pour toute consommation potentiellement à risque pour le consommateur, notamment l’alimentaire. Les consommateurs ont tendance à percevoir la nourriture comme étant plus dangereuse pour la santé lorsque l’entreprise utilise des valeurs politiques qui ne sont pas les leurs. Le risque perçu d’obésité, de diabète ou de problèmes cardiaques liés à la consommation de hot-dogs ou de pizzas augmente lorsque la publicité pour le produit s’appuie sur des valeurs politiques opposées aux nôtres. Le risque inhérent à ce type de consommation renforce l’attention des consommateurs et le rejet de tout ce qui ne correspond pas à ses propres valeurs.

Signaux forts (prise de position politique ou financement d’un candidat) comme signaux faibles (valeurs sous-jacentes), le ciblage des consommateurs sur des critères politiques reste une stratégie dangereuse. Dans un contexte de forte polarisation politique, les entreprises devraient en faire un usage prudent et parcimonieux.

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