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Les étudiants marchent et parlent à l'aide d'appareils mobiles à l'université
Le lieu nommé « université » peut se définir comme un établissement d’enseignement supérieur formellement autorisé à émettre des diplômes. (Shutterstock)

Comment créer une nouvelle université, au XXIᵉ siècle ?

Si on créait une université aujourd’hui, comment s’y prendrait-on ?

Il arrive fréquemment que des gestionnaires ou des professeurs d’université peinent à mettre en place un projet au sein de leur institution. Ils expliquent alors cette difficulté par les contraintes imposées par l’administration, les conventions collectives, les règles en place, les traditions ou les usages.

Tel projet serait-il plus facile à réaliser si on repartait de zéro en créant une toute nouvelle université ? Peut-être, mais comment crée-t-on une université au XXIe siècle ?

Voici la grande question qui a hanté mes jours (et mes nuits) des quatre dernières années. J’ai récemment complété une thèse sur les enjeux de communication et de gestion entourant la création d’une université à partir de zéro – un phénomène rare. Nous avons eu la chance d’assister à un tel événement avec la fondation en 2017 de l’Université de l’Ontario français (UOF).


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J’ai ainsi pu décomposer les étapes de création de cette nouvelle institution, et réfléchir à la fois à la mise en place de composantes de l’université idéale, à l’influence des facteurs externes ainsi qu’à la façon dont les différentes communautés discutent d’un tel projet.

Dans un premier temps, j’ai analysé l’expérience vécue par les fondateurs de l’UOF et les publications médiatiques sur l’histoire de cette création. Dans un deuxième temps, j’ai rencontré des experts de l’enseignement supérieur (chercheurs et dirigeants d’universités) pour discuter de la question de la naissance d’une université. J’ai ainsi vite constaté que de me pencher sur ce moment important m’en apprenait beaucoup sur les tensions vécues par l’université au XXIe siècle.

Qu’est-ce qu’une université ?

Le lieu nommé « université » peut se définir comme un établissement d’enseignement supérieur formellement autorisé à émettre des diplômes.

La notion d’université, quant à elle, peut être définie de plusieurs façons. En 1895, le philosophe Hastings Rashdall l’associe à la racine latine « universitas », qui sous-tend l’idée d’une organisation corporative, d’une communauté.

Cet espace d’entraide, de défense d’intérêt commun, réunit, dès son origine, l’ensemble des étudiants et des professeurs ayant la mission commune d’explorer, de partager, de questionner les connaissances humaines. J’ai trouvé instructif d’observer comment l’UOF, université nouvelle, a tenté d’actualiser une telle notion. Pour développer la signature pédagogique de cette institution, ses fondateurs ont pris en compte les compétences requises par le marché du travail et la société à notre époque, ainsi que les pratiques innovatrices en enseignement supérieur. Cette signature pédagogique s’appuie ainsi sur quatre approches : la transdisciplinarité, l’apprentissage inductif, l’apprentissage expérientiel et les compétences.

La création de l’UOF constitue également l’aboutissement d’une revendication de longue date émanant d’une partie de la communauté franco-ontarienne. Une année après sa fondation en 2017, le gouvernement progressiste-conservateur stoppe le financement de l’UOF. Aussitôt, la communauté franco-ontarienne se mobilise pour contester cette décision. Ce mouvement populaire contribue à la volte-face du gouvernement ontarien. En 2020, ce dernier conclut une entente avec le gouvernement fédéral afin de financer les huit premières années d’existence de l’UOF.

Des Franco-Ontariens manifestent contre les compressions annoncées par le gouvernement Ford, le 1ᵉʳ décembre à Toronto. L’université de l’Ontario français s’est vu couper son financement. La Presse canadienne/Patrick Doyle

Une page avec peu d’espace de création

Un constat a rapidement émergé de mes recherches : la création d’une nouvelle université ne se déroule pas sur une page complètement blanche. L’UOF a été créée selon des échéanciers serrés, en négociant avec les différents gouvernements en place et en luttant pour sa survie au sein d’un système d’enseignement supérieur parfois hostile, ainsi que dans un contexte social et historique mouvementé. À toutes les étapes de la création de l’institution, l’équipe fondatrice a dû composer avec la dynamique politique et avec les rapports de force entre les parties prenantes : représentants des collectivités francophones, des établissements d’enseignement supérieur, des ministères, des élus.

L’université rêvée est rapidement rattrapée par la réalité.

Pour les nombreux experts de l’enseignement supérieur rencontrés, la création d’une université passe nécessairement par la mise en place de composantes liées à sa mission soit : l’enseignement, la recherche et les services aux collectivités.

La nouvelle université, comme les universités établies, est soumise à un cadre normatif assez contraignant. L’institution s’inscrit également au sein d’une communauté qui lui soumet de nombreuses attentes (formation, développement économique). Elle évolue, de plus, dans un système d’enseignement supérieur qui lui impose une concurrence féroce.

Les rapports entre les différents groupes d’intérêt, à l’intérieur et à l’extérieur de l’université, façonnent alors ce qu’elle peut devenir. Quelle part de création demeure donc pour l’université ?

Fortes pressions, faible cohésion

Pour l’UOF, les attentes des différents acteurs concernés par le projet (communautés francophones de la province, associations franco-ontariennes, gouvernements, organisations issues des milieux politiques et économiques, administrateurs de l’UOF) étaient nombreuses et parfois contradictoires, tant au niveau du lieu de fondation (Toronto ou ailleurs en Ontario) que de l’offre de formation (programmation traditionnelle ou innovante). De plus, ces acteurs n’ont eu que très peu de temps pour discuter ensemble de ce projet.

Un deuxième constat émerge ainsi de l’analyse du discours des experts sur la question : la communauté universitaire à notre époque peine à se rassembler autour d’un projet commun. Ce projet tend à se réduire à un compromis, fragile et insatisfaisant pour la plupart des acteurs.

Dès sa création, et tout au long de son existence, il apparaît donc que la communauté universitaire est fragilisée par les tensions qui l’assaillent. L’institution doit composer avec des tensions inhérentes à la réalité universitaire multiséculaire (son mode de gouvernance par les pairs, l’équilibre à trouver entre recherche et enseignement ou entre recherche fondamentale et appliquée, notamment). Ces tensions s’additionnent à celles, plus nombreuses, que subit l’université à notre époque (mentionnons seulement les attentes du gouvernement en place et celles des milieux socio-économiques sur les types de formation ou de développement de la recherche, notamment).

Ces tensions sont intégrées dans les structures internes et sont alimentées par les universitaires eux-mêmes. Le gouvernement, les partenaires de la communauté externe, les différents types d’étudiants, de professeurs, de cadres et d’employés, les syndicats et les associations : tous ont et expriment des attentes multiples, complexes et souvent contradictoires. Les lieux de rencontre pour discuter d’éventuelles voies de passage ou d’un projet commun, autant aux niveaux institutionnel, communautaire ou public, ne semblent pas toujours efficaces.

façade de l’UOF
La création de l’Université de l’Ontario français constitue l’aboutissement d’une revendication de longue date émanant d’une partie de la communauté franco-ontarienne. (https://uontario.ca)

L’utopie de la corporation universitaire

J’ai pu observer, en rencontrant les fondateurs de l’UOF ainsi que les experts de l’enseignement supérieur, que la corporation universitaire est encore aujourd’hui considérée comme une utopie. Corporari, en latin, signifie « se former en corps ». Cela évoque l’idée d’une organisation idéale constituée de plusieurs acteurs partageant un but commun.

L’université est donc représentée comme un corps, où professeurs, étudiants et artisans, issus de la communauté interne et externe à l’université, partagent une même compréhension de la raison d’être de l’institution. Les turbulences rapides vécues par les universités dans les dernières décennies, couplées aux tensions qu’elles vivent déjà, ont toutefois réduit la capacité de la communauté universitaire à « faire corps ».

À l’évidence, l’université ne se crée ni ne se développe en vase clos. Comme nous l’avons vu dans le cas de l’UOF, l’université est à la fois influencée par la société qui l’accueille (actuellement marquée par la montée de l’individualisme, par la fragmentation des communautés et par la fragilisation du lien social) et contributive au développement de cette dernière.

Elle reste une de ces institutions qui peuvent, selon moi, être précurseures d’une façon nouvelle de concevoir le vivre-ensemble.

Mais cela passe nécessairement par l’apaisement de certaines tensions. Et par une communauté universitaire qui prend le temps nécessaire pour se rassembler en une corporation.

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