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Comment les Républicains cherchent à profiter de la pandémie pour accroître les chances de réélection de Trump

Un bureau de vote à Kenosha, dans le Wisconsin, le 7 avril 2020. Derek R. Henkle/AFP

Les États-Unis, on le sait, sont le pays du monde le plus violemment touché par la pandémie de Covid-19. Celle-ci ne sera sans doute pas endiguée au moment de l’élection présidentielle du 3 novembre prochain, ce qui peut faire hésiter de nombreux électeurs à se rendre dans les bureaux de vote.

Les Républicains comptent justement sur une faible participation qui, selon eux, avantagerait le président sortant ; pour cela, ils multiplient des manœuvres à la limite de la légalité, s’opposant notamment au souhait des Démocrates de généraliser le vote par correspondance.

2010-2020 : dix ans de manœuvres républicaines dans les États fédérés

Pour des raisons qui tiennent à l’Histoire, la mise en œuvre du droit de vote aux États-Unis est largement déléguée aux États fédérés. Depuis le raz-de-marée électoral qu’ils ont réussi en 2010, les Républicains ont profité de la majorité dont ils disposent dans la quasi-totalité des États pour prendre des dizaines de mesures qui portent atteinte à l’exercice effectif du droit de vote et visent, de façon parfois à peine dissimulée, à éloigner des urnes des électeurs qui ont tendance à voter démocrate.

Dans certains États, le parti au pouvoir a durci les modalités d’inscription sur les listes électorales, ce qui porte préjudice aux nouveaux électeurs et en particulier aux jeunes. Dans d’autres, les électeurs ont désormais l’obligation de posséder une carte d’identité. Or les minorités et, en particulier, les Afro-Américains, ont statistiquement plus de chances de ne pas disposer de carte d’identité. Rappelons qu’aux États-Unis il n’y a pas de carte d’identité fédérale. Si un État accepte la présentation du permis de conduire, c’est neutre ; mais si c’est le permis de chasse, cela favorise le parti républicain. S’il exige une carte d’identité difficile à obtenir, certains électeurs peuvent se montrer méfiants et hésiter à se la procurer.

Ailleurs ont été restreintes les plages de vote anticipé, pourtant indispensables quand on sait que les Américains votent le mardi, un jour ouvré. Or les minorités sont particulièrement affectées en cas de réduction des plages de vote anticipé car leurs bureaux de vote ont toutes les chances d’être très éloignés de leur lieu de travail. Des études ont montré que les électeurs les plus affectés par le durcissement des conditions de vote sont les minorités qui ont tendance à voter démocrate.

En outre, le découpage électoral qui est effectué tous les dix ans après le recensement décennal permet au parti majoritaire au sein de chaque État de dessiner une carte électorale lui permettant d’ancrer et d’accroître sa domination politique. Cette pratique, qui a toujours existé, a été rendue particulièrement efficace par l’expansion des outils numériques et du big data (mégadonnées), et a permis le double raz-de-marée des Républicains le 8 novembre 2016 (ils ont alors remporté la présidence et le Congrès).

Au plan national, bien que minoritaires en nombre de voix (1,4 million de voix de moins que les Démocrates), ils ont obtenu une majorité de 33 sièges à la Chambre des Représentants. Deux ans plus tard, en 2018, il a fallu un large écart pour que la victoire démocrate en voix puisse se traduire en nombre de sièges à la Chambre.

Au niveau des États, ils se sont en novembre 2016 retrouvés à la tête de 69 des 99 assemblées législatives étatiques (chacun des 50 États, à l’exception du Nebraska qui est monocaméral, dispose d’une Chambre basse et d’une Chambre haute), et ont remporté 33 sièges de gouverneur sur 50 ; et dans 25 États, ils tenaient les trois leviers du pouvoir, c’est-à-dire le poste de gouverneur et les deux Chambres (trifecta).

Le Covid-19 bouleverse la campagne

En novembre 2020, la pandémie de Covid-19 pose la question de la sécurité physique des électeurs qui risquent d’être confrontés à un dilemme : voter ou protéger leur santé. Déjà, le calendrier des élections primaires démocrates en mars et avril a été entièrement bouleversé, plusieurs États (Ohio, Indiana puis dix États où des élections primaires devaient se tenir le 7 avril) ayant repoussé le scrutin au mois de juin en espérant qu’il pourrait avoir lieu à ce moment-là (les primaires continuent malgré l’abandon de tous les candidats à l’exception de Joe Biden, car ces consultations sont de bons moyens pour galvaniser les électeurs et collecter de fonds. Sans oublier qu’elles désignent les délégués qui iront à la convention nationale…).

Dans un bureau de vote de Dayton, Ohio, le 17 mars 2020, après le report de la primaire démocrate. Megan Jelinger/AFP

Quant aux conventions nationales – celle des Démocrates en juillet (repoussée à août) et celle des Républicains en août –, il n’est pas certain qu’elles puissent se tenir si les mesures d’éloignement physique sont prolongées. Or la Constitution et la loi prévoient des dates précises tant pour les élections (le mardi suivant le premier lundi de novembre) que pour l’entrée en fonctions des membres du Congrès (le 3 janvier) et du président élu (20 janvier). Les élections n’ont jamais été reportées depuis l’entrée en vigueur de la Constitution, que ce soit durant la Guerre de Sécession, les deux Guerres mondiales ou la crise de 1929. Parce que les élections doivent se tenir, il incombe au Congrès et aux États de mettre en place les conditions d’un exercice du droit de vote sans danger.

C’est la raison pour laquelle les Démocrates et certains Républicains au niveau des États proposent l’extension au pays entier de la possibilité de voter par correspondance, qui n’est pour l’instant autorisée que dans quelques États. Dans certains d’entre eux, c’est le mail voting qui est en vigueur : c’est la procédure par défaut et l’État, par exemple l’Oregon ou l’État de Washington, envoie des bulletins papier à tous les électeurs qui votent par courrier. Dans d’autres existe l’absentee voting : c’est une procédure dérogatoire, l’électeur pouvant demander à bénéficier du vote par correspondance.

Les obstacles à la généralisation du vote par correspondance

Certains observateurs sont conscients de l’hostilité au vote par correspondance des Afro-Américains qui se battent depuis 150 ans pour obtenir un exercice effectif de leur droit de vote et ne veulent pas renoncer à aller voter « en personne ». Un autre grand obstacle est d’ordre financier : il faudrait que les États puissent disposer des moyens d’acheter les tonnes de papier nécessaires pour imprimer bulletins et enveloppes, ainsi que des machines à scanner des bulletins de plusieurs pages, et qu’ils puissent former les dizaines de milliers d’assesseurs des bureaux de vote et « éduquer » les citoyens sur les nouvelles modalités de vote. Les financements nécessaires doivent leur être accordés par le Congrès au niveau fédéral.

C’est pourquoi les Démocrates ont fait pression sur les Républicains pour que l’extension du vote par correspondance, et les fonds qui vont avec, fassent partie du package de 2 200 milliards de dollars de soutien à l’économie adopté fin mars. Ils n’ont obtenu que 400 millions de dollars, un début, mais notoirement insuffisant (il faudrait entre 2 et 4 milliards de dollars). Et la proposition de loi déposée par la sénatrice Amy Klobuchar, prévoyant le vote par correspondance, des modalités allégées d’inscription sur les listes électorales et des plages de vote anticipé plus larges, a peu de chances d’être approuvée en raison de l’opposition frontale des Républicains.

Mais le principal obstacle est l’opposition du président Trump qui dénonce « la porte ouverte à la fraude » et celle des Républicains au Congrès, alors que plusieurs Républicains dans les États sont favorables à l’extension du vote par correspondance.

Pourtant, des élections justes et libres en 2020 sont un impératif et c’est d’autant plus un enjeu de démocratie que le président Trump a admis publiquement, le 30 mars dernier, que si le Congrès adoptait les mesures proposées par les Démocrates, « les Républicains ne pourraient plus jamais l’emporter ».

L’élection dans le Wisconsin, un moment clé ?

Le fiasco de l’élection maintenue le 7 avril dans le Wisconsin illustre les difficulté du Grand Old Party. Les électeurs, appelés aux urnes à la fois pour les primaires démocrates et pour élire un juge à la Cour suprême de l’État, ont été contraints de faire la queue pendant des heures en ne respectant pas toujours les mesures de distanciation car, à titre d’exemple, seuls cinq des 180 bureaux de vote de Milwaukee étaient ouverts – en raison du manque de personnel, à juste titre inquiet pour sa santé.

Les habitants font la queue pour voter devant le lycée Riverside de Milwaukee, dans le Wisconsin, le 7 avril 2020. Kamil Krzaczynski/AFP

Or la situation ne relève pas de l’incurie mais d’un cynique calcul politique qui oblige les électeurs à risquer leur vie ou à renoncer à voter. Ce sont les Républicains à tous les niveaux – la législature de l’État, la Cour suprême de l’État et la Cour suprême des États-Unis – qui sont intervenus pour empêcher le report de l’élection malgré les risques posés par le coronavirus (et alors que les élections prévues le même jour dans dix autres États ont été reportées) et pour s’opposer au report de la date du décompte des bulletins de vote par correspondance qui n’étaient pas parvenus à plusieurs dizaines de milliers d’électeurs le 7 avril, jour de l’élection.

Les Républicains comptaient sur un taux de participation bas (il fut de 30 % en l’occurrence, grâce aux bulletins qui étaient parvenus aux électeurs à temps) pour permettre au très conservateur juge David Kelly, en poste depuis sa nomination en 2016 par l’ancien gouverneur républicain Scott Walker, d’être reconduit dans ses fonctions. La question était d’importance : c’est la Cour suprême du Wisconsin qui va se prononcer sur la décision, prise par les Républicains majoritaires dans l’État, de radier des listes électorales 240 000 électeurs, essentiellement des Démocrates, simplement parce qu’ils n’ont pas répondu à un courrier. Or le Wisconsin est un État pivot et son basculement dans l’escarcelle de Trump en 2016 s’est fait avec seulement 22 748 voix.

Il faut donc voir ce qui s’est passé le 7 avril dans le Wisconsin pas simplement comme un nouveau stratagème républicain à la limite de la légalité mais comme un élément de la mise en place systématique des conditions destinées à favoriser la réélection de Donald Trump en novembre 2020. Mais ces manœuvres se sont retournées contre les Républicains : les électeurs ont réagi et c’est la progressiste Jill Karofsky qui a été élue.

Cette issue a donné de l’espoir aux Démocrates mais ils sont conscients qu’une mobilisation de tous les instants et à tous les niveaux est indispensable. L’initiative en faveur d’une extension du droit de vote par correspondance lancée le 13 avril par la très populaire Michelle Obama et son groupe When We All Vote (quand nous voterons tous) est le premier jalon de la longue bataille à venir. Son époux et prédécesseur de Donald Trump à la Maison Blanche a eu ces mots pour mobiliser ses compatriotes : « Ne laissons pas une épidémie mettre en danger le droit de vote. » C’est tout l’enjeu des prochains mois.

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