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Le président ukrainien Volodymyr Zelensky prononce un discours au Parlement européen à Bruxelles, le 9 février 2023. Kenzo Tribouillard/AFP

Comment populisme et euroscepticisme façonnent le rapport des partis politiques à l’Ukraine

Cet article, co-écrit avec Ryan Bakker, Liesbet Hooghe, Seth Jolly, Gary Marks, Jonathan Polk, Marco Steenbergen et Milada Vachudova, a été traduit et adapté d’un post en anglais publié par le blog EUROPP – European Politics and Policy de la London School of Economics.


Après le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022, de nombreux acteurs politiques des pays de l’UE se sont prononcés en faveur d’un soutien ferme à l’Ukraine, créant un rare sentiment d’unité européenne. Pour autant, tout le monde n’est pas enthousiaste à l’idée d’envoyer des armes à l’Ukraine, d’accueillir des réfugiés fuyant la zone de conflit ou encore d’accepter une hausse du prix de l’énergie due aux sanctions imposées à la Russie à la suite de son agression.

Quels facteurs expliquent le soutien à l’Ukraine (ou son rejet) de la part des acteurs politiques européens ? Pour tenter de répondre à cette question, l’équipe de recherche de Chapel Hill Expert Survey, une équipe qui étudie les positionnements des partis politiques européens, a mené au printemps 2023 une enquête récemment publiée dans la revue European Union Politics, dont les principales conclusions sont présentées ici.

Un soutien à l’Ukraine majoritaire mais loin d’être unanime

Nous avons demandé à 217 politistes spécialisés en politique partisane, en politique européenne ou en études de sécurité d’évaluer la position des partis de leur pays d’expertise sur différentes mesures de soutien à l’Ukraine. Plus précisément, nous leur avons demandé d’évaluer ces partis selon leur volonté 1) d’accueillir des réfugiés en provenance d’Ukraine, 2) d’envoyer des armes lourdes en Ukraine, 3) d’accepter des coûts énergétiques plus élevés et 4) de soutenir l’adhésion de l’Ukraine à l’UE.

Premier constat : une majorité de partis à travers l’Europe soutiennent l’Ukraine, comme le montre la Figure 1.

Répartition du soutien des 269 partis politiques nationaux évalués à chacune des quatre politiques concernant l’Ukraine. Des valeurs plus élevées sur l’axe horizontal représentent un soutien accru à l’Ukraine : 0 implique une opposition absolue à la politique en question, et 10 une adhésion totale. Figure issue d’un article publié dans la revue European Union Politics

Pourtant, comme le montre également ce graphique, l’opposition à ces mesures n’est pas négligeable : sur les 269 partis évalués dans 30 pays, 97 rejettent une ou plusieurs des quatre mesures de soutien à l’Ukraine.

Quatre hypothèses

Pour mieux comprendre les raisons de ces rejets, nous avons testé quatre hypothèses.

Tout d’abord, en nous appuyant sur la littérature en relations internationales et en psychologie politique, nous postulons que les partis des pays se sentant menacés en raison de l’héritage historique ou de la proximité géographique avec la Russie sont sans doute plus susceptibles de soutenir l’Ukraine. Les pays qui ont été occupés et (partiellement) annexés par l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale et dont certains sont frontaliers de la Russie (ou de l’Ukraine) ont plus de raisons de craindre le revanchisme russe que d’autres. Si cette hypothèse est correcte, les partis de ces pays devraient refléter cette perception.

On peut toutefois également s’attendre à ce que l’idéologie d’un parti influe au moins autant sur ses prises de position que la perception de la menace russe propre à son pays. D’où la deuxième et la troisième hypothèses que nous souhaitions vérifier : les partis qualifiés de populistes (c’est-à-dire fondant une partie significative de leur discours sur l’opposition aux élites traditionnelles), d’une part, et les partis eurosceptiques (c’est-à-dire méfiants vis-à-vis de l’UE), d’autre part, sont-ils davantage enclins à se montrer compréhensifs à l’égard du régime russe et donc moins susceptibles de soutenir l’Ukraine ? D’après ces hypothèses, plus un parti est populiste et/ou eurosceptique, moins il serait susceptible de se ranger aux côtés de l’Ukraine face à l’invasion russe.

Enfin, nous nous attendons à ce que lorsque des partis jugés populistes ou eurosceptiques participent au gouvernement de leur pays, ils se montrent plus susceptibles de soutenir Kiev que lorsqu’ils se trouvent dans l’opposition. Les travaux de science politique sur la politique de coalition et les compromis entre l’accession au pouvoir et le maintien de la pureté idéologique suggèrent que les partis en position de responsabilité sont incités à modérer celles de leurs positions politiques qui pourraient compromettre leur possibilité d’être inclus au sein d’une coalition. Nous nous attendons donc à ce que la participation au gouvernement augmente le degré de soutien à l’Ukraine parmi les partis populistes et eurosceptiques.

Nous testons ces hypothèses grâce à une analyse quantitative de nos données d’enquête, en contrôlant l’effet d’autres caractéristiques des pays et des partis, telles que les liens d’alliance avec les États-Unis, le niveau de démocratie, la dépendance au gaz russe, et les idéologies économiques et culturelles des partis. Les effets que nous présentons sont donc indépendants de ses caractéristiques.

L’analyse confirme nos hypothèses. La Figure 2 montre ainsi que la participation au gouvernement modère les effets du populisme et de l’euroscepticisme sur le soutien à l’Ukraine.

Figure 2 : Comment la participation au gouvernement modère les effets du populisme et de l’euroscepticisme sur le soutien à l’Ukraine.

La Figure 2 affiche le soutien prédit à l’Ukraine (axe vertical) pour les partis au gouvernement (ligne gris clair) et les partis dans l’opposition (ligne gris foncé) selon qu’ils sont ou non populistes (panneau de gauche) ou opposés à l’UE (panneau de droite). Les pentes sont beaucoup plus raides pour les partis d’opposition que pour les partis au gouvernement. Cela révèle que le populisme et l’opposition à l’UE réduisent significativement le degré de soutien à l’Ukraine, mais que cela vaut principalement pour les partis d’opposition.

Le populisme et l’euroscepticisme, variables déterminantes

D’après nos analyses, les facteurs explicatifs les plus importants du niveau de soutien à l’Ukraine sont les degrés de populisme et d’euroscepticisme des partis : ils réduisent significativement le soutien à l’Ukraine, surtout quand ces partis sont dans l’opposition. Percevoir la Russie comme une menace augmente au contraire le niveau de soutien à Kiev, mais ce paramètre est moins influent que les facteurs idéologiques mentionnés plus haut.

Ces résultats sont frappants et même contre-intuitifs par rapport à de précédentes recherches, qui attribuent une grande partie de l’effet de l’euroscepticisme et du populisme à leur association avec les clivages économiques gauche/droite ou de valeurs libérales/conservatrices. Les effets de l’euroscepticisme et du populisme sont majeurs, même quand on prend en compte l’idéologie économique et socioculturelle des partis – les perspectives qui constituent l’échafaudage des marques des partis et qui, par rapport à d’autres crises telles que la pandémie de Covid-19 ou la crise migratoire, ont façonné les réponses de ces partis sur la question ukrainienne.

Notre étude a été achevée au printemps 2023, après les mois les plus froids en Europe mais avant la contre-offensive estivale de l’Ukraine. Le soutien des partis politiques à l’Ukraine a probablement quelque peu diminué depuis notre enquête. Il est donc d’autant plus important de comprendre ce qui motive le soutien à l’Ukraine (ou son absence) au sein des partis politiques européens. Le récent revirement de Robert Fico, qui a tempéré son opposition à l’armement de l’Ukraine après son accession au poste de premier ministre de Slovaquie, vient appuyer l’une de nos conclusions.


Cet article a été traduit et adapté d’un post en anglais publié par le blog EUROPP, European Politics and Policy de la LSE, sous licence Creative Commons.

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