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De la crise sanitaire à la réforme 3Ds : une opportunité pour la décentralisation ?

Le maire de Bayonne Jean-René Etchegaray reçoit le premier ministre Jean Castex devant le centre de vaccination d'Anglet, le 17 juillet 2021. Iroz Gaizka/AFP

« La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire, elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. »

Cette tirade de François Mitterrand date de 1981. Quarante ans plus tard, la crise sanitaire du Covid-19 a réveillé des tensions anciennes entre l’État et ses territoires, sera-t-elle in fine l’opportunité d’un nouvel acte de décentralisation ?

François Mitterrand, Gaston Defferre et Pierre Mauroy en 1971, les futurs artisans de la décentralisation. Fondation Jean-Jaurès

La tragédie de la crise sanitaire aurait dû être un moment d’union nationale, or elle a vu multiplier les incidents mettant aux prises pouvoir central et élus locaux. L’utilisation de la réquisition par la puissance publique en est une parfaite illustration. La réquisition est un outil utile en temps de crise. Elle permet à l’État et aux collectivités de s’approprier (temporairement) autant de biens que nécessaire pouvant permettre de mettre fin à une crise. À titre d’exemple, en avril 2019, la préfecture du Grand Est n’hésite pas à réquisitionner des masques destinés au département des Bouches-du-Rhône

Ce cas fut l’un des rares à être médiatisé, mais dans ce contexte de crise sanitaire, il y a eu « une vague de réquisitions massives » dont la plupart est passée inaperçue.

Frictions entre État et collectivités territoriales

Les réquisitions de l’État envers des collectivités locales s’expliquent par l’intérêt national, qui dans un État unitaire, l’emporte sur les intérêts locaux ; cependant la décentralisation suppose aussi la prise en compte des territoires dans l’adaptation de la politique centrale.

À la fin du premier confinement, les élus locaux sont priés de rouvrir les écoles en mettant en place des protocoles sanitaires pas toujours adaptés à la structure des bâtiments. Il en résulte une profonde inquiétude des maires concernant leur responsabilité juridique. En mars 2021, cette problématique refait surface. Les élus locaux seraient responsables pénalement, alors qu’une grande partie de la décision leur échappe ? Le risque d’une rupture entre l’État et ses collectivités territoriales est alors réel.

Inflexion réelle du gouvernement ou atavisme centralisateur ?

Le discours gouvernemental évolue toutefois au début de l’été pour prendre en compte ce malaise des maires. En juin, à l’occasion du remaniement gouvernemental, le nouveau premier ministre Jean Castex promet de placer les territoires au cœur de sa politique gouvernementale et illustre son propos en mettant en avant le « couple maire/préfet » :

« Cette confiance dans les territoires suppose que le droit à la différenciation soit consacré dans une loi organique. Elle passe également, comme l’a indiqué le président de la République, par une nouvelle étape de la décentralisation. Elle repose tout autant sur une évolution profonde de l’organisation interne de l’État. Je m’étais fait le défenseur, à l’occasion de la mission qui m’avait été confiée par le précédent gouvernement sur le déconfinement du couple “maire–préfet de département”. Notre intention est de rendre rapidement plus cohérente et efficace l’organisation territoriale de l’État, en particulier au niveau du département. »

Le premier ministre mélange astucieusement les notions de décentralisation et déconcentration. Il évoque la première mais n’applique que la seconde. En effet la décentralisation permet aux élus locaux de s’administrer librement, alors que la déconcentration se fonde sur un système de délégation de l’autorité de l’État vers des échelons inférieurs. Pour résumer, la décentralisation offre davantage de marge de manœuvre aux élus locaux qui prennent leurs décisions au nom de leurs administrés et non au nom de l’État. Le maire est à ce titre un personnage ambigu car il est à la fois à la tête d’une collectivité territoriale décentralisée, mais est aussi une autorité déconcentrée. À chaque fois qu’un maire prend un arrêté municipal par exemple sur le port obligatoire d’un masque, il agit en tant qu’agent déconcentré de l’État.

Une véritable décentralisation en matière de santé signifierait par exemple que les Agences Régionales de Santé soient placées sous l’autorité non plus du ministre de la Santé comme actuellement, mais des conseils régionaux.

Les élus locaux critiques mais force de propositions

Si les élus locaux ne peuvent mettre en place eux-mêmes des politiques locales différentes que celle voulue par l’État, ils peuvent néanmoins lui proposer publiquement des politiques alternatives.

En décembre 2020, le retard de la France dans la mise en place de la vaccination expose une nouvelle fois au grand public les divergences entre l’État et les collectivités : contrairement aux pays voisins, le gouvernement avait dans un premier temps refusé la mise en place de « vaccinodromes ». Toutefois, face aux initiatives nombreuses de maires qui mettent à disposition des salles et commandent le matériel médical nécessaire et interpellent les ARS pour disposer de doses de vaccins, le gouvernement est obligé de revoir sa politique vaccinale.

Un autre épisode démontre cet antagonisme entre État et collectivités lorsque, fin décembre 2020, les élus du Grand Est appellent à un nouveau confinement alors qu’à l’ouest, les élus demandent de rouvrir les commerces « non essentiels ».

En Île-de-France, Anne Hidalgo, la maire de Paris préconise à la fois un confinement de trois semaines pour éradiquer le virus et ensuite une réouverture des commerces non essentiels.

Ces suggestions sont jugées sévèrement par le gouvernement qui considère que la remise en cause de ses décisions n’incitent pas à respecter les mesures sanitaires prises. Seulement, la prise de décision s’effectue bien en amont, sans consultation des chefs de partis ou des élus locaux, et dans l’opacité du « conseil de défense »“.

En mars 2021, un sondage affirme que les Français sont critiques envers l’action du gouvernement, ils plébiscitent celle des entreprises et des élus locaux.

Le président siffle la fin du match

A la fin du mois d’avril, Emmanuel Macron annonce un calendrier du déconfinement. Cette communication verticale tranche après des mois de tergiversations au sommet de l’État sur les mesures à prendre, et de nombreux accrochages avec les collectivités, le tout répercuté par les médias.

« Louis XIV en Jupiter vainqueur de la Fronde », huile sur toile attribuée à Charles Poerson, château de Versailles, vers 1654. Wikipédia

Dans l’esprit monarchique des institutions de la Vᵉ République, le président a décidé chaque détail de la reprise. Un calendrier simple, accessible et qui répond à presque toutes les questions que chaque citoyen est en droit de se poser. Pour autant, c’est aussi une décision nationale qui s’applique à tout le territoire métropolitain sans possibilité d’être aménagé sur tel ou tel territoire.

Ce calendrier est plutôt bien accueilli par la population et même par les élus locaux qui acceptent ce contrôle paternaliste de l’État. Cette recherche de cadre témoigne de la persistance du jacobinisme français dans les mentalités. Les mêmes élus qui avaient critiqué l’État incapable d’acheminer masques, tests et vaccins se réjouissent à présent de cette progressive sortie de crise, la fronde des territoires a été vaincue.

Le 12 juillet, c’est encore une allocution présidentielle qui donne le la : passe sanitaire étendu, tests PCR payants, obligation vaccinale pour les soignants… Emmanuel Macron durcit la ligne du gouvernement et est rapidement récompensé par des sondages très favorables : en septembre 67 % des Français acceptent le passe sanitaire. Malgré cela, les manifestations chaque samedi dénotent une incompréhension d’une partie de la population envers ces restrictions sanitaires.

Rapprocher la santé publique du citoyen

Au plus fort de la crise sanitaire, la gouvernance des agences régionales de santé, avait fortement été remise en cause. La loi 3Ds, votée au sénat le 21 juillet propose de maigres progrès pour rapprocher les décideurs des citoyens : par exemple un conseil d’administration paritaire coprésidé par le préfet et le président de région sera chargé de contrôler l’action des ARS.

Autre mesure symbolique, les sénateurs souhaitent que la médecine scolaire soit transférée au département après la fin de la crise sanitaire.

Il faudra en tout cas attendre décembre pour savoir si les députés partageront la vision des sénateurs sur la loi 3Ds, car la ministre Jacqueline Gourault vient d’annoncer le report de l’examen de la loi à l’Assemblée nationale.

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