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Débat : Que peut-on vraiment attendre du Pacte mondial sur les migrations ?

Près de Porte de la Chapelle, au nord de Paris le juillet 2017. Eric FEFERBERG / AFP

Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières a été validé lundi 10 décembre 2018 à Marrakech par les représentants de 165 pays, puis adopté par 152 pays (sur 193) lors de l’assemblée générale de l’ONU le 19 décembre 2018. Un plébiscite large qui n’a pas fait oublier l’absence d’une quarantaine de pays (dont, en Europe, la Hongrie, l’Autriche, l’Italie ou la Pologne), ni la polémique autour des discours mensongers tenus par certains de leurs représentants hostiles à ce texte.

Lors du discours d’ouverture de la conférence, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est attaché à démentir ces « mythes », « malhonnêtetés » et « mensonges » propagés par les opposants au texte.

Rappelant que « tous les êtres humains doivent voir leurs droits humains respectés » indépendamment de leur situation administrative, il a appelé à faire barrage à la « lame de fond actuelle du racisme et de la xénophobie » et à ne pas « succomber à la peur et aux faux-discours » qui mènent tout droit sur « la voie de la déshumanisation et de l’horreur ».

Le contenu de ce discours est à l’image de celui du pacte lui-même : louable et consensuel. Mais aussi, à bien des égards, faussement naïf, car il laisse croire – ou fait espérer – qu’une manière de « gérer » les migrations internationales de façon informée et neutre est possible, notamment via l’application de procédures techniques. Or, si les discours sur les migrations se doivent d’être informés, au plus près de la réalité des faits grâce aux recherches en sciences humaines et sociales, la « gestion » des migrations ne peut qu’être politique et idéologique.

Discours d’Antonio Gutteres, 2 janvier à l’ONU.

Un pacte mondial mais non contraignant

L’adoption de ce pacte aura-t-elle une incidence sur la situation des migrants dans le monde ? Peut-être, mais celle-ci sera sans doute limitée sachant qu’il s’agit d’un pacte non contraignant. Les États qui l’ont adopté ne sont donc pas tenus d’en suivre les recommandations, et il est peu probable qu’ils les suivent, sauf lorsque celles-ci vont dans le sens de leurs politiques migratoires nationales.

Or, même les « menteurs » dénoncés par le secrétaire général de l’ONU ne rechignent pas à poursuivre une partie des vingt-trois objectifs du pacte. Notamment ceux qui encouragent à « Munir tous les migrants d’une preuve d’identité légale et de papiers » (objectif 4) ; « Renforcer l’action transnationale face au trafic de migrants » (objectif 9) ; « Prévenir, combattre et éliminer la traite de personnes » (objectif 10) ; mieux « gérer les frontières » (objectif 11) ; ou encore « faciliter le retour et la réadmission des migrants » (objectif 21).

Ces objectifs sont en effet déjà ceux de la plupart des gouvernements du monde, socio-démocrates, nationalistes ou libéraux.

Ce qui est intéressant, c’est justement que certains gouvernements n’aient pas souhaité faire partie des signataires de ce pacte en raison d’autres objectifs appelant à « faire en sorte que les filières de migration régulière soient accessibles » (objectif 5), à « assurer [aux travailleurs migrants] les conditions d’un travail décent » (objectif 6), ou encore à « ne recourir au placement en rétention administrative des migrants qu’en dernier ressort » (objectif 13).

Des objectifs jugés inacceptables car trop « laxistes » ou « pro-migrations » selon les opposants au pacte, dont la désertion de la conférence de Marrakech fut jugée regrettable voire honteuse par le reste de la communauté internationale.

Pour autant, tout en étant malhonnêtes dans leurs évocations des risques supposés qu’il y aurait à prendre part à ce pacte, les gouvernements qui y sont opposés (ou qui viennent de s’en retirer, comme le Brésil) ne seraient-ils pas les plus honnêtes dans leur manière de refuser de signer un texte dont ils savent qu’ils ne respecteront pas tous les objectifs ?

Quand on sait que pour « gérer » certains mouvements migratoires, de nombreux gouvernements signataires du pacte mondial pour les migrations ne respectent déjà plus la Convention internationale des droits de l’homme ou le droit maritime, et contournent le principe du droit de l’asile ou le principe de présomption d’innocence, on peut légitimement douter de leur volonté de s’astreindre à suivre un texte non contraignant.

L’Aquarius, vaisseau de sauvretage affreré par SOS-Mediterranee et MSF à quai à Marseille, après que plusieurs pays aient retiré leur soutien et autorisation au navire de mouiller dans leurs eaux. Boris Horvat/AFP

Ni vérité, ni nécessité

Si certains objectifs de ce pacte ne seront probablement pas poursuivis par ses signataires, que penser du premier objectif, qui doit en principe orienter tous les suivants :

« collecter et utiliser des données précises […] qui serviront à l’élaboration de politiques fondées sur la connaissance des faits » (objectif 1).

Une évidence ? Rien n’est moins sûr. Car qui peut aujourd’hui affirmer que les politiques migratoires sont « fondées sur la connaissance des faits » ? Probablement pas les chercheurs en sciences humaines et sociales qui étudient depuis des décennies les migrations internationales et les incidences des politiques migratoires mises en œuvre de par le monde.

Si on prend l’exemple des migrations irrégulières de l’Afrique vers l’Europe : il a été montré à de nombreuses reprises que ces migrations sont marginales à l’échelle des deux continents et de l’ensemble des mobilités qui les animent ; qu’il n’y avait ni exode ni invasion il y a dix ans, pas plus qu’aujourd’hui, et que ce ne sera certainement pas non plus le cas dans les décennies à venir.

Et cela malgré la croissance démographique du continent africain et l’augmentation prévisible du nombre de migrants qui en partiront temporairement ou définitivement. Pour autant, les discours mensongers, tels ceux dénoncés par le secrétaire général de l’ONU, continuent de fleurir. Et l’industrie du contrôle des frontières et des migrations continue de se développer, entre Afrique et Europe notamment, animée par des acteurs privés et publics, européens ou internationaux.

Des décennies de recherche en Méditerranée et en Afrique montrent qu’il n’y a pas de lien direct et immédiat entre la connaissance scientifique que nous avons des phénomènes migratoires et de leurs incidences diverses, et les politiques migratoires mises en œuvre par les gouvernements nationaux ou au niveau de l’Union européenne.

À niveau égal de « connaissance des faits », les « appréciations » des personnes comme des gouvernements varient, ainsi que ce qu’ils en déduisent. Il n’y a rien à redire à cela : il n’y a ni vérité ni nécessité en matière de politique migratoire, seulement des choix. Et ces choix sont avant tout idéologiques.

Connaissances et idéologies

Là se trouve l’évidence dans toute sa banalité : les politiques migratoires sont fondées sur des idéologies. Alors pourquoi est-il si courant, de l’ONU aux gouvernements, de voir des experts et des décideurs politiques plaider la « connaissance des faits » pour justifier leurs choix ?

Sans doute parce que tout le monde n’assume pas avec l’aisance de Donald Trump – qui fut l’un des premiers à retirer son pays des pourparlers de préparation du pacte – l’idée selon laquelle « la seule solution de long terme à la crise des migrations » est de faire en sorte que les gens restent « dans leurs pays d’origine » (discours à l’assemblée générale des Nations unies, New York, 25 septembre 2018). Une idée qui sous-tend pourtant une large part des politiques migratoires mises en œuvre de par le monde, ainsi qu’une partie des politiques sécuritaires et de développement.

Cette idée est généralement accompagnée de considérations économiques, sociales ou démographiques qui peuvent être plus ou moins honnêtes ou malhonnêtes selon les cas, les pays, les gouvernements, sans que cela n’ait de grande incidence. Car in fine, il n’y a pas lieu de chercher des raisons objectives, rationnelles ou scientifiques d’être pour ou contre l’ouverture, l’abolition ou la fermeture des frontières. Ou pour l’accueil d’un, de mille ou d’un million d’étrangers dans son pays. Ou pour leur expulsion. Ces positionnements sont avant tout d’ordre idéologique, philosophique, moral.

Pour le dire autrement : la question de l’hospitalité ne se résout pas par un calcul coût/bénéfice, inévitablement arbitraire. Ni par la mise en place de quotas.

Si les sciences sociales ne peuvent interférer de manière directe et immédiate avec la dimension idéologique des politiques migratoires, elles peuvent proposer des discours rigoureux sur les faits migratoires eux-mêmes, afin de s’opposer à toute tentative de légitimation de politiques sur la base de descriptions mensongères de la réalité. Et dans la durée, faire « évoluer la manière dont les migrations sont perçues » (objectif n°17).

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