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Décès de Salif Keïta : un pan de l'histoire du football africain s'en est allé

Trois hommes en tenue de sport derrière un ballon de football
Le célèbre footballeur malien de l'AS Saint-Etienne Salif Keita (G). Universal/Corbis/VCG via Getty Images

L'ancien footballeur malien Salif Këita alias Domingo, décédé le 2 septembre à Bamako, a incarné un moment de l’histoire du football africain et de son rapport au monde. Il a aussi contribué à éclairer par son jeu spectaculaire le football français dans une période difficile, tout en participant à la lutte des footballeurs pour leurs droits.

Né le 6 décembre 1946, l’année où est créée la Coupe de l’Afrique occidentale française (AOF), Salif Keita a aussi été un dirigeant qui compte du football malien.

Je suis enseignant-chercheur en histoire contemporaine. Mes thèmes de recherche portent, entre autres, sur l'histoire politique, culturelle et globale du football, le sport et politique.

C’est donc tout autant le joueur que l’homme qu’il faut rappeler après la disparition du grand attaquant au début de ce mois.

“Domingo”

Salif Keita naît en 1946 et grandit à Bamako, dans une famille de huit enfants. Il ne lui est pas aisé de faire comprendre à son père, transporteur de métier, qu’il préfère le ballon rond aux études, même s’il finit par obtenir un CAP (Certificat d'aptitude professionnelle) de rectificateur. Le football est d’abord une pratique informelle, avant d’être joué dans une équipe de quartiers, les Onze Diables de Ouolofobougouu, un quartier de Bamako.

À 14 ans, il rejoint le club des Pionniers, forme de scoutisme “progressiste” imitée des pays socialistes chers au président Modibo Keïta. Mais ses dribbles, son shoot, son jeu de tête le propulsent vite dans l’effectif du Real Bamako où il est connu sous le surnom de “Domingo”. Il joue et perd deux finales de Coupe d’Afrique des clubs champions, l’une avec le Real, l’autre avec le Stade Malien auquel il a été prêté pour l’occasion. Il fait également ses premiers pas dans la sélection nationale.

Partir en France

Salif Keïta vise plus haut encore. Par l’intermédiaire des réseaux post-coloniaux, il entre en contact avec les dirigeants de l’AS Saint-Etienne qui entretiennent de bonnes relations avec Charles Dagher, un commerçant libanais de Bamako. En septembre 1967, il gagne clandestinement le Libéria d’où il s’envole pour Orly, en France. Les dirigeants des “Verts” (surnom de l'AS Saint-Etienne) ne sont pas à l’aéroport et le jeune Salif doit héler un taxi qui le conduit directement au stade Geoffroy-Guichard.

Keïta n’est pas le premier joueur africain à être recruté par un club français. Toutefois, la porte largement ouverte dans les années 1950 aux footballeurs d’Afrique subsaharienne s'est en partie refermée. D’un côté, les fédérations africaines veulent garder leurs joueurs, de l’autre, le nombre d’étrangers alignés dans les équipes hexagonales est limité à deux. La Fédération malienne passe alors l’éponge sur sa “fuite” et adresse au mois de novembre suivant le certificat de transfert, sésame qui lui permet de jouer. Mais les clubs français préfèrent engager des footballeurs sud-américains ou yougoslaves.

Aux footballeurs africains, ils offrent des contrats léonins. Keita évolue d'abord sous le statut d’amateur, justifié par les dirigeants de l'époque par ses études de droit entamées en France. Il n’en touche pas moins de l’argent, avant de signer officiellement un contrat professionnel de quatre ans en 1969.

Les tribulations d’un footballeur africain en France

Même si l’hiver dans le Forez, région du Massif central en France est rude, Keita s’impose vite. Il peut d’abord compter sur les conseils de l’entraîneur Albert Batteux et les passes de Rachid Mekhloufi, le maître à jouer algérien des Verts. Au poste d’avant-centre ou de numéro 10, il marque 120 buts en 149 matches. En octobre 1969, c’est lui qui signe le but de la qualification contre le Bayern Munich en 16e de finale de la Coupe des champions.

Avec l’AS Saint-Etienne, il remporte trois titres de champion et une Coupe de France. En 1970, ses performances lui valent d’être le premier récipiendaire du Ballon d’or africain décerné par l’hebdomadaire France Football. Désireux de changer d’air, il cherche à résilier son contrat. Un contentieux juridique violent l’oppose alors à Roger Rocher, le président de l’AS Saint-Etienne.

Suspendu six mois mais soutenu par de nombreux supporters, il s’engage avec l’Olympique de Marseille en novembre 1972. Bien vite, il est à nouveau en butte aux exigences de dirigeants qui veulent le faire naturaliser pour pouvoir l’aligner aux côtés des deux vedettes étrangères mais européennes, Josip Skoblar et Roger Magnusson. Mais Salif Keïta refuse ce qu’il considère comme une atteinte à sa dignité d’homme et d’Africain, et fait dès lors l’objet d’une cabale de la presse locale aux forts relents racistes.

Du monde au pays

Il part ensuite pour Valence (1973-1975), où Alfredo Di Stefano l’a fait venir. L’Espagne n’est pas encore le parangon du beau jeu, mais Keïta retrouve le chemin des filets jusqu’à ce qu’il se blesse en mars 1975. Les dirigeants valenciens désirent alors le transférer pour recruter l’Argentin Mario Kempes. Fidèle à sa ligne de conduite, il défend ses intérêts sportifs et financiers, et n’accepte de partir qu’à condition que lui soit versée l’année de salaire qui lui est due et que le club paye ses impôts ! Salif Keïta gagne alors le championnat portugais, un football qui s’est aussi révélé au monde grâce à ses vedettes d'origine africaine africaines comme Eusebio ou Mario Coluna.

À 31 ans, au Sporting Club de Lisbonne, il finit par trouver un environnement sportif dans lequel il s’épanouit. Il remporte une coupe du Portugal, avant de disputer une dernière saison aux États-Unis en 1979-1980. Keïta se retire quand le football africain commence à se révéler au monde. Sa vie inspire le film du réalisateur Cheik Doukouré Le Ballon d’or (1994), dans lequel il interprète le rôle de l’entraîneur du jeune Bandian.

Après avoir été ministre délégué auprès du Premier ministre chargé de l'initiative privée en 1991, après la chute de Moussa Traoré, il ouvre un centre de formation à Bamako. Il est ensuite élu président de la Fédération malienne (2005-2009). Mais la France ne l’a pas oublié. Moins rancuniers que Roger Rocher, les dirigeants stéphanois l’érigent au rang d’ambassadeur de l’AS Saint-Etienne et deux stades portent son nom à Saint-Etienne et Cergy-Pontoise. Une autre manière d’honorer un très grand attaquant et un homme déterminé à faire valoir ses droits dans un milieu encore marqué par une certaine condescendance à l’égard de l’Afrique.

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