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Démocratie : pourquoi il faut envisager l’engagement de l’usager

Allégorie de l'engagement (Les tracks, Mile End / Petite Patrie, Summer 2010/Christine Prefontaine). Christine Prefontaine/artefatica/Flickr

Quelques semaines après la diffusion, en juin 2017, du documentaire Meeting Snowden, il est possible d’apercevoir une convergence de discours entre des praticiens aux horizons divers tels qu’Edward Snowden, Birgitta Jonsdottir, Lawrence Lessig, et des chercheurs en sciences sociales comme Serge Proulx, Dominique Cardon, Edmund Husserl, entre autres.

Leurs propos partent du postulat selon lequel le bénéficiaire des activités économiques (solution informatique, médecine, éducation, etc.) doit être un acteur de sa consommation pour prétendre à une liberté d’usage. C’est dire à quel point ce courant de pensée fait sens pour de nombreux acteurs ; et si les praticiens en parlent aujourd’hui, les chercheurs s’y intéressent depuis longtemps.

Le point de vue des praticiens

Dans le documentaire Meeting Snowden, Snowden, Jonsdottir et Lessig, prennent la parole sur la question de la place de l’usager d’Internet dans son écosystème. Leur discours interpelle donc toutes les sociétés, et c’est d’ailleurs pour cette raison que le documentaire est axé sur la notion de démocratie. Chaque intervenant donne son avis sur le sujet en fonction de ses différentes expériences, et partage une vision prospective des interactions de la société.

Brigitta Jonsdottir évoque une vision du monde de ses rêves, dans lequel elle participe à la construction. Pour faire référence à la démocratie, qui consiste à donner le pouvoir au peuple, son imagination offre au citoyen une marge de manœuvre sur la participation à la conception de la société. Certains diront qu’il s’agit non seulement d’une vision individualiste du monde, mais aussi d’une utopie, vu qu’elle parle de ses rêves. Pourtant, on entrevoit aussi une proposition de cocréation du système, bien que cela fasse plus sens sans assimilation à une rêverie.

Dans le prolongement de Jonsdottir, Lawrence Lessig pense que les fondations de la démocratie doivent être solides pour qu’elle puisse effectuer des réformes liées à ses véritables problématiques. En d’autres termes, le peuple ne peut exprimer ses désirs s’il n’est pas conditionné pour. Ces améliorations de la démocratie peuvent passer par une cocréation, comme l’a proposé Jonsdottir, mais également par d’autres moyens que seul l’usager est à même de définir.

C’est également ce que Edward Snowden semble affirmer. En présentant son point de vue sous forme d’interrogations, il ouvre des perspectives vers des modes de fonctionnement différents. Pour le lanceur d’alerte, ce sont les petites actions qui aboutissent au changement. Ce changement suscite chez de nombreux individus un sentiment de peur, qu’ils doivent apprendre à surmonter. Snowden est convaincu que les gens ordinaires peuvent faire de grandes choses. Il suffirait, selon lui, qu’ils voient au-delà de leur confort.

Lorsqu’il est pris dans un certain contexte, l’avis de ces figures emblématiques peut être contesté. C’est pour cette raison qu’il est intéressant d’évoquer le point de vue théorique de chercheurs confirmés, qui travaillent sur la question de l’usager depuis des années et dans des domaines distincts.

De gauche à droite, Lawrence Lessig, Birgitta Jonsdottir, et Edward Snowden, lors du tournage du documentaire Meeting Snowden. Documentaire d’Arte.

Le point de vue des chercheurs

Ainsi, certains sociologues sont convaincus que « les gens ordinaires sont capables de créativité ». Depuis les années 80, on parle même de méthodes participatives en sociologie de l’innovation ; celles-ci intègrent les usagers dans les processus décisionnels.

Mais leur engagement s’étudie sur la durée. Bien évidemment, des émotions dites fortes comme la peur, peuvent concourir à influencer cet engagement. La recherche approfondit les observations et s’intéresse aux nouveaux moyens d’engagement et de participation des citoyens.

En Gestion, les chercheurs vont même jusqu’à proposer des formes de participation aux usagers qui adoptent les dimensions formelles, fonctionnelles, structurelles et symboliques de l’activité. Ils sont nombreux à penser que la participation peut être initiée par le consommateur dans le respect de l’éthique. Les psychologues Breyer et Husserl justifient cette participation à travers la perception, la volonté et l’intelligence des agents.

Dans le domaine de l’Information et de la Communication, cet engagement est même considéré comme une notion qui prend plus de poids dans la communauté. En éducation, les chercheurs appellent à la responsabilisation des apprenants comme un levier de leur engagement. Ainsi, un apprenant qui devient acteur principal de son apprentissage, est plus efficace.

Les chercheurs en sciences sociales expérimentent le phénomène d’engagement sur la durée. Ils considèrent que l’initiative est individuelle, mais que sa portée est collective. Et c’est dans la communauté que se créent de nouvelles formes de participation.

L’engagement, un acte qui requiert de l’humilité

Nous voyons bien que le discours des chercheurs ne rentre pas en contradiction avec celui des praticiens mentionnés. Au contraire, il le conforte. L’idée de Jonsdottir ne s’apparente plus à une utopie. Et celle de Snowden, qui consiste à collecter les contributions individuelles pour de grandes causes, semblent correspondre à plusieurs avis scientifiques.

Sur la question de démocratisation ou d’engagement des populations, les praticiens et les chercheurs s’accordent parfaitement. Peu importe le contexte, la liberté d’usage ne s’obtient que de celui qui en prend l’initiative. Autrement dit, si chacun décide d’embellir sa clôture, au final le quartier sera beau. Cela peut paraître évident à mettre en place. Mais, certains chercheurs en Gestion comme en Éducation ont été confrontés à des limites de cette participation.

L’implication des apprenants dans la construction des scénarios pédagogiques, par exemple, a généré quelques conflits avec les concepteurs des dits scénarios. Car ces derniers ne supportaient pas des réflexions de non-experts. D’un autre côté, les salariés des organisations voyaient leurs compétences remises en question. Ce qui a constitué jusque-là, un frein à l’implication de l’usager. Il ne s’agit donc pas d’une mission impossible mais plutôt difficile à mettre en œuvre.

Nous constatons que dans ce projet d’engagement qui touche plusieurs couches de la société, il est plus judicieux de faire preuve d’humilité et d’établir un dialogue dans la transparence, afin de trouver le juste milieu entre les initiatives citoyennes et les mesures des systèmes en place.

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