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Des planches de dessin à l’écran : que sont nos superhéros devenus ?

Le personnage de The Deep a complètement changé d'apparence entre le comic-book et son adaptation sérielle dans The Boys.

Des pages de bandes dessinées aux plates-formes numériques de vidéo à la demande (VOD), nombreux sont les superhéros à avoir transposé leur récit haut en couleur dans un format sériel plus réaliste et contemporain depuis les années 2010 : de Batman (avec la série Gotham diffusée sur la Fox en 2014 puis sur Netflix) à Daredevil (Netflix, 2015), en passant par The Watchmen (HBO, 2019 et Canal VOD) ou The Boys et Gen V (Prime Video, 2019 et 2023).

Dernièrement, c’est le manga One Piece qui a fait l’objet d’une adaptation en « live action » sur Netflix, en cassant tous les codes de son média originel pour transposer son récit de façon plus conforme au format des séries, en battant de nombreux records.

Longtemps cantonnés aux superpouvoirs et à une représentation fantaisiste dans les comics, les superhéros doivent dépasser leur statut de surhommes. Les scénaristes de séries redoublent d’ingéniosité pour les reconnecter à notre réalité en introduisant dans le récit des problématiques plus contemporaines, en exploitant davantage des personnages secondaires ou bien encore en redessinant les contours du genre pour donner un nouveau souffle au superhéros. Que reste-t-il du genre super-héroïque né dans les pages de comics ? Les superhéros ont-ils vraiment changé au cours de leur passage du médium bédéique à la série ?

De héros en superhéros : un modèle générique

Depuis l’Antiquité, nous sommes confrontés à toute une palette de héros, qu’ils soient fictifs ou réels, dont on garde un souvenir immortel et qui entretiennent encore aujourd’hui l’imaginaire collectif. Des plus célèbres héros grecs aux héros médiatiques contemporains, nous pouvons discerner un modèle générique du mythe héroïque avec l’alternance « naissance-mort-renaissance ». Du statut de héros à celui de superhéros, il n’y a alors qu’un pas, puisque les superhéros suivent également cette dialectique de l’ombre à la lumière.

DC, The Death of Superman, n°75, Janvier 1993.

L’immortalité est ainsi une composante intrinsèque aux deux modèles. Des comics ont déjà mis en récit la mort d’illustres superhéros comme Superman en 1993 ou encore Captain America en 2007 : ces derniers ont toujours été ressuscités. L’immortalité est d’autant plus caractéristique du modèle super-héroïque que nous la retrouvons dans différentes adaptations (séries télévisées, films, etc.).

Le dernier exemple majeur en date est la mort de Superman dans le film Batman v Superman : l’Aube de la Justice (2016), ressuscité dans la suite de la franchise cinématographique Superman adaptée par Zack Snyder Justice League (2017, 2021).

Les funérailles de Superman dans le film Batman v Superman : l’Aube de la Justice (2016).

Du comic-book à la série : raconter autrement

Cependant, si le modèle super-héroïque suit en partie celui du héros, il n’en possède pas moins ses propres codes (drame familial, transformation, etc.) qu’il peut décliner d’un média à l’autre.

Les développements narratifs de Batman dans les différents médias démontrent à ce titre le potentiel « médiagénique » du personnage bédéique créé par Bob Kane et Bill Finger. Selon le chercheur Philippe Marion, la « médiagénie » d’un projet narratif définit sa capacité à se réaliser de manière optimale en choisissant le partenaire médiatique qui lui convient le mieux.

En effet, les aventures de l’homme chauve-souris ne cessent de s’inventer et de se réinventer au fil des adaptations médiatiques comme nous l’avions démontré dans une recherche. Et chaque média a la possibilité de piocher des éléments dans l’univers fictionnel de Batman pour développer un récit spécifique, suivant ses propres caractéristiques.


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C’est le cas de la série télévisée tirée du récit de Batman, Gotham, qui narre les aventures de l’inspecteur James Gordon dans la ville au sein de laquelle pullulent de nombreux criminels. Dans l’épisode pilote de la série, nous assistons à la mort des parents de Bruce Wayne, l’homme au masque de chauve-souris, qui est un élément déjà présent dans le comic book d’origine.

Detective Comics, n°33, Novembre 1939.

La série puise son originalité en proposant tout un pan inexploré de l’histoire de Batman dans des épisodes centrés sur les origines de ses plus illustres vilains. La pègre de Gotham y est décrite de façon détaillée dans la première saison à travers l’affrontement des gangs Falcone et Maroni, alors que la deuxième saison, sous-titrée Rise of the Villains, peint le portrait des figures antagonistes de Batman, du Pingouin au Joker, en passant par Catwoman ou The Riddler.

En ce sens, il ne s’agit plus seulement de tirer des ficelles narratives déjà exploitées par les bandes dessinées, mais aussi de construire de nouveaux possibles dans l’histoire de Batman à partir de la genèse de ses ennemis.

Ce qui n’est pas dit dans les comics devient ainsi le terrain d’exploitation du récit dans la série, comme l’explique Kevin Reilly (2014), patron de la Fox : « la série suivra Bruce de ses jeunes années jusqu’au moment où il enfile la cape, dans le dernier épisode » – avant de continuer sur les super-méchants – « on verra comment ils deviennent ce qu’ils sont, alors que Gotham est au bord du gouffre ».

Le format sériel semble alors le plus adapté à ce déploiement narratif dans la mesure où le temps du récit est davantage étalé dans la durée avec des épisodes de 50 minutes et des saisons de 22 épisodes.

Gotham Season 2 Promo « Villains Rising ».

Redessiner les contours du genre

Nous retrouvons la même volonté de s’écarter du récit d’origine du comic-book avec la série The Watchmen, produite par HBO en 2019. Contrairement à l’adaptation cinématographique du même nom sortie 10 ans plus tôt, la série prend le parti de jouer avec la temporalité du récit en prenant place dans notre présent. Il ne s’agit donc pas d’une adaptation de l’œuvre originale, mais d’une suite se déroulant de nos jours.

Dans cette série, le spectateur suit le personnage de Angela Abar (Sister Night), une ancienne policière qui prend une identité super-héroïque pour combattre le crime dans la ville de Tulsa (située en Oklahoma). Les premiers épisodes élaborent une intrigue autour d’une mystérieuse organisation de suprématistes blancs appelée « La 7e cavalerie ».

Le sixième épisode de la première saison intitulé Cet être extraordinaire marque un tournant dans la construction de la série en réinvestissant le passé du comic book. En effet, il offre une « origin story » à l’un des personnages les plus discutés de l’œuvre originale : Hooded Justice. Dans cet épisode, Angela va non seulement comprendre que son grand-père est le premier superhéros de l’histoire nord-américaine, mais surtout que sa transformation est le résultat d’une injustice sociale et raciale fondamentale.

Watchmen : Épisode 6 Promo (HBO).

Lindelof, le « showrunner » (directeur de la série), consacre à Watchmen une mythologie alternative où le premier superhéros naît d’un traumatisme du racisme, de la ségrégation et du Ku Klux Klan. Symboliquement, la cagoule de Reeves ressemble à celle des membres du KKK, sauf que celle-ci est noire, comme une réponse métaphorique. En effet, Lindelof offre une réécriture des origines d’un genre :

« Le premier superhéros des États-Unis était un Noir, portant un masque pour dissimuler sa couleur de peau, qui protégeait les minorités des injustices d’un système profondément vicié. Ses successeurs deviendront les marionnettes de ce même système, et le visage triomphant d’une Amérique sclérosée, rongée par ses propres morsures. Cet être extraordinaire n’est ni plus ni moins que l’histoire oubliée d’une appropriation culturelle masquée. »


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Dans cette relecture contemporaine de la genèse du premier superhéros, plutôt bien accueillie par la critique, nous retrouvons bien le costume distinctif (la cagoule et la corde notamment), la double vie (policier/superhéros) et les pouvoirs surhumains (Will est physiquement plus fort que les autres personnages). Néanmoins, Lindelof offre une lecture acerbe et violente de cette idée d’origine en réinvestissant les figures tutélaires du genre.

Que sont nos superhéros devenus ?

Transposé au récit sériel et à une nouvelle temporalité, le modèle super-héroïque évolue. Dans la série Gotham, nous avons affaire à une pluralité de destinateurs et de transformations associée à une catégorie principale : les vilains. Dans cette reconfiguration narrative, le superhéros n’est plus le détenteur de l’origin story ni son sujet principal – la sérialité rebattant les cartes de la morphologie du récit super-héroïque.

Là où le comic-book se construit autour du combat entre le superhéros et l’opposant, la série désaxe le récit en explorant davantage les causes de cet affrontement, questionnant ainsi les fondements mêmes du récit super-héroïque. En redéfinissant le premier superhéros dans Watchmen, c’est le genre super-héroïque en lui-même qui est transformé. Cette idée traverse aussi bien des séries telles que Smallville (The WB 2001), Arrow (The CW 2012), The Flash (The CW 2014), Titans (Netflix 2018), etc., qui explorent toutes à leur manière la question du superhéros et du super-vilain. La transmédialité permet donc une nouvelle manière de penser le récit et de réactualiser la question suivante de manière constante : que sont nos superhéros devenus ?

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