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Des vers pour traquer la pollution aux microplastiques dans l’estuaire de la Seine

Au laboratoire, dépuration des vers prélevés dans l’estuaire de la Seine. Messika Revel/UCO, CC BY-NC-ND

Cet article est publié à l’occasion de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


L’utilisation de plastique n’a cessé d’augmenter depuis les années 1950 avec notamment la production massive d’emballages à usage unique comme les bouteilles, les sachets ou encore les sacs plastiques.

Ces plastiques se retrouvent dans l’environnement et les scientifiques s’interrogent sur les effets nocifs pour la faune et l’être humain. D’après une étude parue en 2014, plus de 5 000 milliards de microplastiques flotteraient dans les océans, ce qui représente près de 269 000 tonnes de plastique. Même si ce chiffre est impressionnant il est très loin des 322 millions de tonnes produits et les scientifiques se demandent toujours où se trouve le reste du plastique (sous forme de nanoplastiques ou dans les fonds marins ?).

De nombreuses études ont mis en évidence la présence de ces particules dans les océans et divers organismes (des phoques, des poissons, des moules, des huîtres, etc.) mais encore très peu se sont intéressées au milieu d’eau douce. C’est pour cette raison que l’impact des microplastiques à long terme et leur accumulation le long de la chaîne alimentaire jusqu’aux humains doivent être éclaircis.

Dans l’estuaire de la Seine

C’est dans les années 1970 que les premiers débris de plastiques ont été identifiés dans le milieu marin mais le terme microplastique n’apparaît lui qu’au début des années 2000 pour désigner ces particules dont la taille est inférieure à 5 mm. Les microplastiques proviennent essentiellement de la fragmentation des macrodéchets de plastiques et peuvent prendre la forme de fragments, films ou fibres.

Contrairement aux macrodéchets de plastiques, visibles à l’œil nu – notamment au niveau des gyres océaniques, aussi appelées « soupes de plastiques » –, les microplastiques, également très présents dans ces zones, doivent être collectés à l’aide de filets pour pouvoir être identifiés. Ceci a bien été mis en évidence lors de l’expédition Tara, réalisée entre 2009 et 2013, où des microplastiques ont été observés jusqu’en Antarctique !

Tara Océans : en direct du continent plastique. (Fondation Tara Expéditions/Youtube, 2011).

Notre laboratoire étudie actuellement la présence des microplastiques dans l’estuaire de la Seine, en collaboration avec de nombreux partenaires nationaux, et plus particulièrement chez un animal clé de l’écosystème estuarien (cette zone entre le milieu marin et l’eau douce) : le ver Hediste diversicolor, aussi appelé gravette.

Pourquoi avoir choisi la Seine ? Parce que cette rivière et son estuaire sont susceptibles d’être très contaminés par les microplastiques, en raison des pressions urbaines et des activités industrielles et portuaires au niveau de l’estuaire. D’ailleurs, plusieurs zones d’accumulation de déchets plastiques y ont déjà été observées.

Comment bien récolter les gravettes ?

Ces animaux sont très présents sur les littoraux et vivent dans des galeries qu’ils creusent dans les sédiments vaseux ou sableux. Ces vers jouent un rôle majeur car ils représentent une source de nourriture importante pour des oiseaux et des poissons. La gravette constitue également un excellent indicateur biologique pour évaluer l’état de santé des écosystèmes estuariens au regard de la pollution chimique. Espèce abondante et peu mobile, elle subit une double exposition aux polluants, via le sédiment et l’eau qui s’y infiltre lorsqu’elle creuse des galeries.

Pour les récolter il faut nous équiper de combinaisons de plongée, aller sur les vasières Nord au niveau de l’estuaire de la Seine, au Havre, et éviter de rester debout pour ne pas s’enfoncer jusqu’au genou ! Selon la composition du sédiment, il nous faut creuser plus ou moins profondément pour trouver des vers. Une fois repérés, il faut manuellement et (surtout) délicatement les prélever et les déposer dans des seaux contenant du sédiment et un peu d’eau du terrain.

De retour au laboratoire, les vers sont récupérés manuellement et (toujours) délicatement des seaux du terrain. Chaque gravette est ensuite déposée dans un petit récipient en verre contenant de l’eau de mer reconstituée (sans microplastiques) pendant plusieurs heures, ce qui permettra aux vers de vider le contenu de leur tube digestif. Cette étape est appelée dépuration ; le lendemain, chaque ver sera récupéré, de même que le contenu de son tube digestif pour évaluer la présence de particules de plastique dans leur corps et le contenu de leur tube digestif. Le lendemain, les vers et les contenus des tubes digestifs sont récupérés et conservés au congélateur.

L’une des vasières du Havre où les scientifiques prélèvent les gravelles. Messika Revel, CC BY-NC-ND
« Hediste diversicolor ». Messika Revel/UCO

Identification des microplastiques dans les vers

Pour identifier les particules de plastique dans les vers, il faut « digérer » leur corps puis le contenu de leur tube digestif. Pour cela, nous utilisons de l’hydroxyde de potassium qui permet de dissoudre la matière organique sans altérer les particules plastiques.

Après agitation à 60° pendant plusieurs heures, la solution obtenue est filtrée et le filtre conservé dans une boîte en verre pour éviter la contamination extérieure aux fibres synthétiques présentes dans l’air. Les filtres sont ensuite observés à la loupe binoculaire pour évaluer la présence de particules et décrire leur forme, leur couleur ou encore leur aspect. Pour valider et identifier le type de plastique auquel correspondent les particules (polyéthylène, polypropylène, polystyrène, etc.), il faut avoir recours à des outils plus performants, tels que la spectroscopie infrarouge ou Raman.

Nos premiers résultats indiquent qu’il y aurait des microplastiques dans les vers récoltés, au niveau du corps et du contenu du tube digestif. Il s’agit ensuite de savoir si ces particules peuvent avoir un impact sur la santé des vers (survie, reproduction, énergie, etc.) et si ces particules peuvent se retrouver à d’autres niveaux de la chaîne alimentaire, comme celui de leurs prédateurs pour potentiellement s’accumuler dans les animaux et avoir également des effets sur leur santé.

Impact des micro et nanoplastiques

La préoccupation des scientifiques sur l’impact des microplastiques pour la santé environnementale et humaine grandit. Selon une étude européenne publiée en 2018 par le magazine Que Choisir plus de deux tiers des 102 échantillons d’aliments analysés tels que du sel, des mollusques et des crustacés, contenaient des microplastiques. Bien que discuté, il existe actuellement trop peu d’études pour nous permettre de répondre à la question du risque de la consommation humaine d’aliments contaminés en microplastiques

Les recherches se poursuivent et de nombreuses autres questions restent en suspens, notamment sur l’impact des nanoplastiques qui proviendraient de la fragmentation des macroplastiques. De par leur taille très réduite (<0,001mm), ces particules pourraient pénétrer les tissus, altérer plus de mécanismes et se diffuser davantage dans la chaîne alimentaire.

D’autres équipes travaillent également sur le développement de nouvelles alternatives au plastique afin de limiter sa diffusion à la source.

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