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Une femme en train de respirer de la lavande.
La perception des odeurs est un phénomène chimique complexe. Elly Johnson/Unsplash, CC BY

Détecter les odeurs est plus complexe qu’il n’y paraît

Les nombreuses molécules odorantes qui pénètrent dans notre nez au quotidien à la faveur d’un repas, du croisement de l’effluve d’un parfum ou lors de situations plus désagréables, interagissent avec des « interrupteurs olfactifs », des récepteurs situés sur les neurones des tissus de notre cavité nasale.

Le récepteur en biologie est l’équivalent d’un interrupteur. Diverses molécules « allument ou éteignent » ces récepteurs de façon coordonnée ou non, interrompant ou déclenchant des actions et participant ainsi au fonctionnement des cellules, des organes et de l’organisme.

L’activation de ces récepteurs par une molécule odorante génère un signal électrique transmis au cerveau. L’identification et la fonction de ces récepteurs par les équipes de Richard Axel et Linda Buck a été récompensée par le prix Nobel de médecine en 2004. Comme une odeur est constituée le plus souvent d’un mélange de molécules odorantes, qu’une molécule peut se fixer à plusieurs récepteurs différents et qu’un neurone ne porte qu’un seul type de récepteur, le message olfactif délivré à notre cerveau résulte d’une combinaison de récepteurs et donc de neurones activés.

Cette détection combinatoire ainsi que l’intégration des signaux qui en résultent par le cerveau nous permettent d’identifier par exemple l’odeur de banane, de fraise, de pain ou de parfums complexes. Ce mécanisme fait encore aujourd’hui l’objet de recherches mais il est bien accepté et motive de nombreux chercheurs publics et privés qui tentent notamment d’associer chaque molécule à ses récepteurs parmi les plus de 400 récepteurs potentiels chez l’humain. Cela représente un champ de recherche important pour mieux comprendre l’olfaction et les troubles olfactifs associés mais aussi pour développer des arômes ou des parfums.

Les récepteurs ne suffisent pas à bien percevoir les odeurs

La détection olfactive par les récepteurs est essentielle mais le contrôle de la disponibilité des molécules odorantes pour ces récepteurs l’est tout autant. C’est le rôle de certaines enzymes présentes dans l’environnement des récepteurs sur lequel mon équipe travaille. Les enzymes sont des protéines qui accélèrent les réactions chimiques nécessaires au fonctionnement des cellules. L’enzyme qui nous intéresse se trouve dans les cellules des tissus de la cavité nasale et, comme un récepteur olfactif, elle est capable de fixer des molécules odorantes mais sa fonction est de les modifier. Elle n’est pas seule, de nombreuses enzymes prennent en charge la grande variété de molécules odorantes.

Nous avons participé à déterminer la localisation de ces enzymes qui sont exprimées dans tous les types cellulaires des tissus olfactifs, dont les neurones qui portent les récepteurs. La fonction de ces enzymes du métabolisme des molécules odorantes est aujourd’hui sérieusement explorée car en modifiant celles-ci à proximité des récepteurs elles pourraient participer à leur élimination afin d’arrêter le signal qu’elles portent (hypothèse 1), ou à l’inverse elles pourraient laisser s’accumuler les molécules et donc augmenter l’intensité du signal correspondant (hypothèse 2) ou encore changer la qualité du signal en modifiant les molécules odorantes (hypothèse 3).

Ces 3 hypothèses qui se placent dans un étroit partenariat entre les enzymes et les récepteurs ne naissent pas de nulle part, elles s’appuient sur ce qui se passe dans le reste de l’organisme. En effet, ces familles d’enzymes du métabolisme existent dans de nombreux organes dont majoritairement le foie et sont impliquées dans l’élimination des molécules toxiques mais aussi de molécules qui portent un signal comme certaines hormones, lesquelles se fixent sur des récepteurs. Elles contrôlent donc la disponibilité de ces signaux et peuvent également les modifier pour les rendre plus ou moins actifs.

Schéma de la modulation de la détection des odeurs via les enzymes
Schéma de la modulation de la détection des odeurs via les enzymes. Fourni par l'auteur

Élimination – disponibilité – modification des signaux, ces mécanismes enzymatiques bien établis dans l’organisme n’ont pas été pris en compte immédiatement concernant leur rôle dans l’olfaction. Ce mécanisme « péri-récepteur » a d’abord été mis de côté par la communauté scientifique car il ajoutait de la complexité au mécanisme de détection olfactive, lui-même en cours de caractérisation chez les mammifères. Par ailleurs, le doute résidait dans la capacité des enzymes à prendre en charge la variété de molécules odorantes et dans leur capacité à le faire dans le temps extrêmement court qu’impose la détection olfactive.

Les enzymes, des partenaires essentiels des récepteurs olfactifs

Certains groupes de chercheurs, dont le mien, ont orienté leurs travaux sur ces mécanismes péri-récepteurs.

Un premier verrou a été levé lorsque nous avons montré que le métabolisme enzymatique de certaines molécules odorantes conduisait in fine à des métabolites non odorants (pas d’interaction avec les récepteurs) et donc participait effectivement à l’arrêt du signal (hypothèse 1). Les enzymes éteignent le signal en limitant la possibilité d’actionner les « interrupteurs olfactifs » : arrêt du signal.

À l’inverse, il a été montré que des métabolites intermédiaires pouvaient être odorant et influencer la perception. Ainsi dans certains cas, nous sentons à la fois la molécule odorante initiale et son ou ses métabolites. Cette découverte a été renforcée par la démonstration que la vitesse d’action métabolique des enzymes sur les molécules odorantes était équivalente à celle de leur détection par les récepteurs soit de l’ordre de quelques dizaines de millisecondes (un claquement de doigts). Les enzymes participent à allumer plusieurs « interrupteurs olfactifs » différents, simultanément : changement de la qualité du signal (hypothèse 3).

Enfin, des études ont montré que si le fonctionnement de ces enzymes était perturbé par exemple à l’aide d’un inhibiteur enzymatique (qui peut être une molécule odorante), le signal n’était plus arrêté et les molécules odorantes au contraire stimulaient un plus grand nombre de récepteurs ce qui entraînait une réponse olfactive de plus grande intensité (hypothèse 2). L’inhibition des enzymes peut conduire à allumer un plus grand nombre « d’interrupteurs olfactifs » : augmentation de l’intensité du signal.

Ainsi, grâce à la détermination de quelques groupes de chercheurs sur la planète, ces mécanismes récepteurs et péri-récepteurs commencent à être considérés comme des partenaires dans l’olfaction périphérique (mécanisme se déroulant dans la cavité nasale). En contrôlant la disponibilité des molécules odorantes pour les récepteurs et leur qualité, les enzymes jouent un rôle majeur qui ouvre des perspectives vers la compréhension de la physiologie et la physiopathologie de l’olfaction et vers des applications dans la conception d’arômes ou de parfums par exemple en augmentant l’intensité de certaines molécules odorantes sans jouer sur leur concentration. Il est intéressant de noter qu’une étude a montré récemment que parmi des milliers de gènes, celui qui présente un polymorphisme (modification ponctuelle de la séquence d’ADN) significatif chez les patients infectés par le virus SARS-CoV-2 et souffrants de troubles olfactifs et celui d’une enzyme du métabolisme des molécules odorantes.

Cette petite histoire de l’olfaction nous montre que la science a cette capacité à finalement mettre en lumière les mécanismes d’abord sous-estimés.

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