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Économie durable : la location, cela peut aussi profiter aux entreprises

Pour l’outillage, la location se pratique dans les magasins de bricolage, malgré le coût assez élevé, car le client particulier en a peu l’usage. Shutterstock

La campagne de Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), qui commence en cette fin du mois de novembre 2023, a été interprétée dès sa sortie comme dirigée contre la vente de biens de consommation, avec le personnage emblématique d’un « dévendeur » et son badge étiqueté sur sa poitrine. Si la campagne peut se comprendre du point de vue environnemental, elle a braqué les commerçants à un moment de l’année où ils comptent bien réaliser un important chiffre d’affaires, entre opérations promotionnelles du Black Friday et fêtes de Noël en perspectives.

La campagne a divisé jusqu’au sein du gouvernement. Le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu a ainsi « assumé » cette communication (qui reste maintenue malgré les demandes visant son retrait) tandis que le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, l’a jugée « maladroite ».

En fait, la campagne peut être comprise comme visant à promouvoir d’abord une consommation plus raisonnée, avec en particulier la mise en avant du prêt (on peut toujours rêver…) mais surtout de la location des biens de consommation au détriment de la vente. Cela ne concerne évidemment que les biens durables car on ne peut bien entendu pas louer les biens non durables comme la nourriture.

« Le dévendeur et la ponceuse », campagne de l’Ademe (novembre 2023).

Les producteurs et les commerçants ne devraient pourtant pas s’alarmer car choisir de louer plutôt que de vendre est souvent dans leur intérêt : dans de nombreux cas, la location apparaît bel et bien dans l’intérêt des entreprises.

Plus de voitures louées que vendues

La théorie micro-économique enseigne que, lorsque le prix du bien durable est susceptible de chuter au cours du temps (par obsolescence ou parce que d’autres modèles plus performants arrivent sur le marché ou parce que le bien ne peut être facilement réparé), l’entreprise a intérêt à privilégier la location des biens qu’il produit plutôt que la vente. Il s’agit là d’un intérêt « égoïste » et non d’une volonté d’aller vers un comportement plus responsable.

En effet, si l’entreprise ne peut pas s’engager sur la valeur future du bien, le consommateur risque d’attendre avant d’acheter. Dans le cas d’une location, celui-ci ne craint alors plus rien puisqu’il n’est pas propriétaire du bien : il loue donc le bien dans la période présente et il pourra toujours décider de ne pas le louer dans la période future si les conditions sont devenues défavorables.

La location est par exemple particulièrement prisée pour les automobiles, désormais davantage louées sur de longues périodes que vendues. Pour les véhicules électriques, d’une part le prix futur pourrait baisser pour un même modèle du fait des économies d’échelle, mais aussi parce qu’il existe encore des incertitudes sur le vieillissement des batteries, la disponibilité des pièces détachées ou encore en termes deréglementation (si de nouvelles aides d’État sont débloquées par exemple).

Les véhicules, notamment électriques, sont désormais davantage loués qu’achetés. Hyundai/Pexels, CC BY-SA

Pour l’outillage, la location se pratique dans les magasins de bricolage, malgré le coût assez élevé, car le client particulier en a peu l’usage et a peu de place pour le stocker chez lui. En revanche, pour les ordinateurs portables, dont le marché est stabilisé, on ne pratique quasiment pas la location. Si elle était pratiquée, celle-ci ne le serait que pour des motifs écologiques.

Une révolution pour le commerce

Si la location est impossible pour une raison ou une autre, la firme peut contourner le problème en restant sur le système de la vente, mais à la condition de pouvoir proposer un engagement crédible. Plusieurs pistes sont possibles :

  • par un contrat qui prévoirait un nombre maximal d’objets produits (pour maintenir la rareté et empêcher le prix de chuter), la fourniture des pièces détachées, etc. Le contrat doit être intertemporel et couvrir les deux périodes présente et future.

  • en déposant un certain montant d’argent auprès d’un tiers de confiance, montant que la firme perdrait en cas de non-respect de son obligation. C’est possible en théorie mais sans doute moins en pratique.

En revanche, l’entreprise n’aura pas besoin de s’engager si sa marque est réputée – et de préférence dans le haut de gamme, donc chère. On peut citer comme exemples emblématiques de ce type de marques le géant du numérique Apple ou encore les constructeurs allemands BMW, Audi et Mercedes.

Pour les biens de luxe, la location est généralement exclue. En effet, pour le consommateur, louer un bien de luxe, fondamentalement ostentatoire, comme une montre Rolex, ruinerait l’effet d’ostentation : il lui faut donc nécessairement l’acheter. Toutefois, pour certaines autres catégories de biens de luxe comme les jets d’affaires (par exemple les Falcon 900EX ou les Gulfstream III), l’ostentation reste compatible avec la location.

Au bilan, comme on le voit, le débat vente ou location n’est pas si simple et va bien au-delà de la simple protection de l’environnement quand on regarde du côté des firmes. Pour les commerçants et revendeurs, le passage à la location signifie le passage d’une activité commerciale à une activité de service, une vraie révolution pour eux. C’est bien cela qui les inquiète.

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