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La valeur comptable de Google ne s’élève qu’à 61 774 millions de dollars alors que la capitalisation boursière du géant du numérique atteignait 1 148 milliards de dollars fin 2022. Mohamed Hassan/Pxhere, CC BY-SA

Économie numérique : le bilan comptable reflète mal la valeur économique des entreprises

Les processus de création de valeur ont connu d’importantes évolutions ces dernières années. Comparons par exemple Google (Alphabet), un étendard de la nouvelle économie et une entreprise relevant du secteur industriel traditionnel, comme le constructeur automobile General Motors. La réussite de Google apparaît au travers de sa capitalisation boursière, celle-ci atteignant 1 148 milliards de dollars pour environ 190 234 salariés fin 2022. General Motors affiche pour sa part une capitalisation boursière vingt fois plus faible, de 47,79 milliards de dollars, avec plus de 86 000 salariés.

Cet écart témoigne d’un bouleversement profond du processus de création de valeur. Par ailleurs, la valeur comptable – c’est-à-dire la valeur que l’entreprise peut communiquer à travers ses états financiers – ne s’élève qu’à 61 774 millions de dollars pour Google, sans comparaison avec le niveau atteint par sa capitalisation boursière. Pour General Motors, l’écart entre ces deux valeurs existe certes, mais dans une moindre mesure.

Problèmes d’évaluation

Il convient donc de bien distinguer la valeur comptable de la valeur de marché. La valeur comptable retrace l’historique de l’entreprise, traduit par des entrées ou des sorties de trésorerie, son résultat réalisé. La valeur boursière est quant à elle une valeur actualisée des anticipations de la création de valeur de l’entreprise (les prévisions de flux de trésorerie disponibles). Il est donc normal que la valeur de marché soit différente de la valeur comptable.

Cependant, lorsque ce différentiel devient considérable, cette déconnexion peut témoigner d’une défaillance de l’outil de suivi (en l’occurrence la comptabilité) à capter la valeur présente dans l’entreprise. Les outils de traçabilité de la valeur financière ne permettent alors plus de transmettre une valeur de l’entreprise qui soit proche de sa valeur de marché. La recherche a par exemple démontré que les investissements en recherche et développement (R&D) et en publicité entraînaient une hausse des résultats, et que par conséquent ils étaient positivement associés à la valeur des sociétés.

La reconnaissance des actifs incorporels identifiés reste cependant liée à des problèmes d’évaluation. Le modèle comptable actuel ne reconnaît pas de nombreux actifs incorporels fondés sur la connaissance. Cela peut soulever des inquiétudes quant à la capacité réelle des investisseurs à valoriser les sociétés à forte intensité de capital immatériel.

Des évolutions très lentes

Un travail de recherche publié en 1990 montrait déjà que les entreprises de haute technologie qui annonçaient une augmentation des dépenses de R&D connaissent des rendements anormaux positifs. Cette étude soulignait également qu’une intensité de R&D plus élevée que la moyenne de l’industrie ne conduisait à une augmentation des cours boursiers que pour les entreprises des secteurs de haute technologie.

Pourtant, l’évaluation comptable n’a que très peu évolué depuis. La dernière modification de la norme internationale IAS 38 – Immobilisations incorporelles – remonte à mars 2004. Cependant, l’International Accounting Standards Board (IASB), normalisateur comptable international, s’intéresse à nouveau à la question de la reconnaissance comptable des immatériels et à la diffusion d’informations financières les concernant. Le dernier programme de consultation de l’IASB publié en 2022 place les immatériels en haut de la liste.

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L’IASB souligne que « La plupart des personnes interrogées ont jugé hautement prioritaires les projets potentiels sur les risques liés au climat, les cryptomonnaies et les transactions associées, ainsi que les actifs incorporels ».

De même, l’édition 2023 de l’IASB Research Forum, qui a eu lieu à l’IÉSEG School of Management, les 2 et 3 novembre 2023, avait pour sujet les actifs immatériels, et en particulier la reconnaissance au bilan des immobilisations incorporelles développées en interne.

Le normalisateur français, l’autorité des normes comptables (ANC) avait déjà consacré son édition 2017 des États généraux de la recherche comptable au sujet de l’économie numérique. Dans ce cadre, nous avions publié un article intitulé « Quel impact de l’économie numérique sur la comptabilité ? ». L’enjeu de la reconnaissance des actifs immatériels ». Un groupe de travail sur les problématiques de comptabilisation de ces transactions a en parallèle été lancé.

Le 18 décembre 2020, le Collège de l’ANC a rendu son commentaire sur le document de réflexion DP/2020/1 de l’IASB relatif aux regroupements d’entreprises – notes annexes, goodwill et dépréciation (Business Combinations – Disclosures, Goodwill and Impairment). L’ANC y encourage la reconnaissance de plus d’actifs immatériels individuels au moment des regroupements d’entreprises, plutôt que leur reconnaissance dans le goodwill, c’est-à-dire l’écart entre le montant de l’achat et la valeur réelle de l’entreprise.

Autrement dit, la prise de conscience de l’importance de sujet s’étend, mais reste encore à savoir comment une meilleure comptabilité des actifs immatériels se traduira concrètement dans les faits.

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