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Spécimen historique de Citrus aurantifolia (citron vert) récolté en 1911 en Indonésie montrant des symptômes typiques de chancre citrique. Adrien Rieux, Fourni par l'auteur

Épidémies des cultures : quand les herbiers permettent de retracer l’évolution des microbes pathogènes

Les microbes pathogènes des cultures sont nos ennemis pour plusieurs raisons : ils menacent la sécurité alimentaire, entraînent de lourdes pertes économiques et nuisent à la santé publique et environnementale principalement en raison de la quantité de pesticides nécessaire à leur contrôle.

Le chancre citrique causé par la bactérie Xanthomonas citri (Xci) est une maladie des agrumes tels que les oranges, les citrons, les mandarines et les pamplemousses, ainsi que d’autres plantes de la famille des Rutacées. Elle cause d’importantes pertes de rendement pour les agriculteurs dans l’ensemble des zones de production.

Plant d’agrumes atteint de chancre critique. Adrien Rieux, Fourni par l'auteur

Afin de mieux gérer les maladies actuelles des cultures et prévenir les épidémies futures, il est nécessaire d’acquérir une compréhension approfondie des facteurs sous-jacents à l’émergence, l’adaptation et la propagation des microbes pathogènes.

La paléogénomique comme outil de lutte

Dans cette optique, la paléogénomique, discipline scientifique qui consiste à étudier les génomes d’individus anciens, morts depuis des dizaines ou milliers d’années, a permis des avancées majeures et originales dans l’étude des maladies infectieuses. Un exemple, probablement le plus connu, concerne l’étude des différentes épidémies de Peste à partir d’ossements archéologiques dans le but de comprendre les différentes phases de son expansion.

Grâce à des échantillons anciens provenant d’une dizaine d’herbiers de muséums d’histoire naturelle ainsi que d’isolats récoltés plus récemment sur le terrain, notre équipe de scientifiques du CIRAD et du MNHN a réussi à reconstruire l’histoire évolutive de la bactérie Xci, illustrant le lien majeur existant entre le développement de l’agriculture et l’émergence des agents pathogènes des cultures.

Les collections d’herbiers, cités dès 1998 comme référentiels de données historiques pour des maladies de plantes, ont dû attendre quelques années encore, avant que leur contenu (en termes de séquences d’ADN) puisse être déchiffré par les nouvelles technologies de séquençage.

Notre projet, visant à explorer les collections d’herbiers pour étudier les maladies bactériennes de plantes telles que le chancre citrique, écrit en 2015, a tout d’abord suscité quelques haussements de sourcils de la part de nos collègues : allions-nous trouver suffisamment de plantes infectées, symptomatiques ? L’ADN des bactéries mortes allait-il être suffisamment bien conservé ?

Des échantillons vieux de plus de cent ans

L’histoire débute véritablement en 2016 à l’herbier du MNHN à Paris, lorsque nous découvrons un premier spécimen historique de Citrus aurantifolia (citron vert) récolté en 1911 en Indonésie montrant des symptômes typiques de chancre citrique (voir photo de tête).

De tels vestiges historiques d’une maladie sont précieux car indicateurs de la présence d’un pathogène sur une plante hôte, à une date et à une localité donnée. Cependant, constituant un premier indice, la présence de symptômes caractéristiques d’une maladie sur un échantillon historique nécessite une validation par une méthode moléculaire, par exemple à l’aide d’un test diagnostique PCR (polymerase chain reaction).

Dans le but de compléter ce premier précieux spécimen historique, nous nous sommes mis en quête, pendant quatre ans, de nouveaux échantillons potentiellement infectés par la bactérie en visitant des dizaines de collections botaniques et d’herbiers de muséums d’histoire naturelle où des milliers de planches d’herbier, parfois vieilles de plus de deux siècles ont été inspectées visuellement à la recherche de symptômes typiques. Lorsque ceux-ci étaient visibles et après avoir obtenu l’autorisation des curateurs des différentes collections, un petit fragment de feuille contenant des traces de maladie a été prélevé. De retour à notre laboratoire de biologie moléculaire, les acides nucléiques ont été soigneusement extraits avant d’être préparés pour séquençage.

Lionel Gagnevin, l’un des auteurs de l’étude, en train d’observer un herbier. Lionel Gagnevin, Fourni par l'auteur

Au total, nous sommes parvenus à séquencer les génomes de 13 échantillons historiques d’agrumes infectés par Xci, provenant de 5 herbiers et collectés entre 1845 et 1974 dans différentes localités. L’analyse bioinformatique de ces différentes séquences a tout d’abord permis de confirmer leur origine ancienne. En effet, lorsqu’isolés à partir de matériel mort depuis plusieurs dizaines ou centaines d’années, les acides nucléiques présentent des caractéristiques spécifiques de dégradation qu’il est possible de mesurer.

Ensuite, pour chacun des 13 échantillons historiques, les génomes des souches bactériennes de Xci ont été reconstitués, et comparés avec ceux d’une large collection de 171 souches d’agrumes, isolés ces dernières années autour du globe.

Dans un premier temps, nous avons montré que l’ensemble des gènes connus pour être impliqués dans la pathogénie de la bactérie Xci existaient dans les souches historiques issues d’herbiers, suggérant que l’intensité du pouvoir pathogène des souches n’a vraisemblablement pas drastiquement évolué ces 180 dernières années.

Ensuite, nous avons utilisé les séquences génétiques pour construire un arbre phylogénétique dans le but de représenter leurs affiliations généalogiques, et de retracer ainsi l’histoire évolutive de cette espèce bactérienne.

Une origine himalayenne

L’analyse phylogéographique, visant à estimer la distribution géographique des ancêtres grâce à celle des échantillons analysés, nous a permis d’identifier la zone du contrefort de l’Himalaya (Inde, Bangladesh et Népal) comme étant celle d’origine de la bactérie, où un ancêtre lointain de Xci, précédemment adapté à une autre plante, serait pour la première fois devenu pathogène pour les agrumes. Cette zone serait d’ailleurs également le berceau des agrumes dont l’ancêtre commun a été daté à 6-8 Millions d’années.

Finalement, grâce à l’ancienneté des génomes historiques nous avons pu dater l’arbre phylogénétique, c’est-à-dire convertir la divergence génétique (mesurée en nombre de substitutions, par an et par site le long de la séquence de l’ADN bactérien) en temps, grâce à la méthodologie de l’horloge moléculaire. Ainsi, nous avons estimé que l’origine de Xci remontait à environ 11 500 années, quelques millions d’années après l’origine de ses plantes hôtes.

Cette période coïncide avec la fin de la dernière glaciation, qui voit l’expansion des végétaux dans des zones devenues climatiquement plus favorables (cette diversification est un moteur qui en général précède la domestication) et les premiers développements des sociétés agricoles en Inde du Nord et en Chine. Pendant cette période la culture des agrumes et les mouvements de plantes auraient pu créer des conditions favorables à un saut d’hôte de la bactérie Xci vers les agrumes. La nature de l’hôte original est à ce jour inconnue et fera preuve de futures investigations.

Depuis son émergence jusqu’à aujourd’hui, la bactérie n’a ensuite jamais cessé d’évoluer au contact de son hôte durant cette période dite de diversification qui semble s’être intensifiée au XIIIe siècle, toujours dans la même zone géographique avec l’apparition des trois grandes lignées bactériennes connues aujourd’hui (A, A* et Aw). Cette période coïncide avec l’intensification du commerce via la route de la soie reliant l’Occident à l’Extrême-Orient. Ainsi, le commerce des agrumes hors de leur zone d’origine et l’apparition de nouvelles pratiques agricoles (hybridation des variétés et greffage) ont vraisemblablement participé à la diffusion et à la diversification de cette bactérie hors de sa zone d’origine, avec une forte accélération de cette diffusion lors du développement de l’agriculture coloniale dès le XVIIIe siècle.

Une expansion mondiale récente

Parmi ces nouveaux territoires, notre analyse de datation indique que la bactérie serait arrivée dans les îles du sud-ouest de l’océan indien (Maurice, Réunion, Comores, Madagascar) en 1843, près de 70 ans avant la première description de la maladie à l’île Maurice. Cette date est intéressante car elle coïncide également avec un autre évènement historique : l’arrivée de dizaines de milliers de travailleurs en provenance d’Inde engagés dans les plantations agricoles après l’abolition de l’esclavage en 1835 et 1848, respectivement à Maurice et à la Réunion. Un tel flux de personnes, accompagné de leurs biens incluant des graines, des plantes et des fruits, pourrait expliquer l’introduction de Xci dans cette nouvelle région.

Les différentes datations obtenues par nos analyses, grâce aux échantillons historiques, sont plus précises que celles obtenues par de précédentes études, qui n’utilisaient que des génomes modernes. Nous avons ainsi pu établir plus facilement des parallèles avec des événements historiques, soulignant ainsi le rôle des transports et des pratiques agricoles, médiés par l’homme. Nos analyses phylogénétiques ont également permis de dater des émergences plus locales de Xci (Nouvelle-Zélande, Amérique du Sud, Martinique), antérieures (de quelques années) à la première description de leurs symptômes. Ces données soulignent l’importance de mettre en place un diagnostic de surveillance, qui permettrait de mieux anticiper les épidémies, avant même la détection de leurs premiers symptômes.

Également, les taux de substitutions bactériens estimés dans le cadre de ce travail permettront de paramétrer des modèles épidémiologiques visant à identifier des stratégies de lutte plus durables et respectueuses de l’environnement.

De nouvelles études, sur d’autres maladies et d’autres cultures, sont actuellement en cours et permettront d’améliorer les connaissances sur l’histoire et l’évolution des micro-organismes phytopathogènes, prérequis indispensable à une meilleure surveillance et gestion de ces derniers. En amont, le maintien et le développement des collections botaniques, comprenant la collecte, la conservation, la numérisation et la mise à disposition des échantillons, sont fondamentaux. Bien au-delà, ce travail illustre l’immense potentiel des collections naturalistes et leur usage, pour mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons.


Le projet MUSEOBACT a été soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

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