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Faut-il faire la guerre à celles et ceux qui rêvent au moment de travailler ? Shutterstock

Être dans la lune au travail : pour le meilleur ou pour le pire ?

« Qu’en penses-tu Tony ? – Excuse-moi, tu disais ? »

Qui parmi vous n’a jamais été ramené sur Terre au cours d’une réunion de travail ? Soyez rassurés, les neuroscientifiques ont montré que ce phénomène, dénommé en Anglais Mind-Wandering, est davantage la norme que l’exception. L’existence de nombreuses expressions du langage courant l’atteste d’ailleurs : rêvasser, être distrait, être dans la lune, dans les nuages, dans son monde, avoir la tête à autre chose, être perdu dans ses pensées… Bien peu d’études en sciences de gestion ont pourtant été consacrées à ce phénomène qui nous concerne tous. Ce silence des chercheurs de la discipline est d’autant plus étonnant que l’errance de la pensée semble avoir des conséquences négatives non négligeables… mais aussi positives fort heureusement.

Dans une première approche approximative, il est possible de définir le Mind-wandering comme le contraire du flow, c’est-à-dire de l’engagement extrême dans le travail. Ces deux états ont malgré tout pour point commun une perte passagère de conscience du temps et de l’environnement. L’originalité du Mind-Wandering tient surtout à un déplacement de notre attention vers des pensées autogénérées et/ou des sentiments sans rapport avec la tâche en cours. En ce sens, il n’est pas un défaut de concentration mais plutôt une dérive.

Pendant ces moments, notre pensée se disperse sans forcément poursuivre un but précis. Elle flotte et associe une idée à une autre sans forcément de logique précise. Elle est instable contrairement à nos moments de rumination. Cette dérive peut être spontanée (zoning out) comme quand vous lisez une phrase sans en comprendre le sens ou, au contraire, intentionnelle (tuning out) à l’image de ces instants où vous planifiez intellectuellement vos prochaines vacances alors que vous devriez travailler. Ne mentez pas, cela vous est déjà arrivé !

Combattre les rêveurs ?

Intuitivement, nous comprenons tous que ces pensées hors tâches peuvent avoir des conséquences fâcheuses sur certains postes nécessitant une forte vigilance. Chacun perçoit sans difficulté ce qu’il pourrait par exemple advenir à un conducteur de poids lourds dans la lune, au patient d’un chirurgien distrait, ou à vous, dont l’avion devrait être précisément guidé alors que le contrôleur aérien est absorbé par ses pensées. Que les chauffeurs routiers, les chirurgiens et les contrôleurs aériens qui nous lisent ne nous en veulent pas de les avoir pris en exemple. Bien d’autres métiers auraient pu l’être.

De nombreuses recherches ont confirmé ces intuitions de bon sens et les résultats sont éloquents : le Mind-Wandering pénalise d’au moins 25 % les performances de lecture, d’attention et de mémorisation. Il nuit à la résolution de problèmes raisonnée, objective et sans émotion. L’organisation n’est pas la seule à en souffrir apparemment puisque l’attention portée aux collègues est réduite. La sensibilité à leur peine et à leur inconfort décline dramatiquement.

Ces impacts négatifs s’expliquent par la concurrence que se livrent tâche et Mind-Wandering pour capter nos ressources intellectuelles. Ils sont également interprétés comme une faille dans notre contrôle exécutif, c’est-à-dire une incapacité à rester concentrés sur notre travail. N’en jetez plus, son sort est scellé : le Mind-Wandering au travail doit être surveillé de près, combattu, et réprimandé sévèrement. En êtes-vous si sûr ?

Newton sous le pommier et Archimède dans son bain

L’élargissement de l’analyse à l’objet vers lequel vos pensées se sont dirigées invite à formuler un avis plus nuancé. Le bénéfice d’incubation est certes débattu. Celui-ci se définit comme la contribution de la rêverie à la reconstitution des ressources intellectuelles. Pour les uns, elle est indispensable à périodicité régulière pour se régénérer alors que d’autres remarquent que la dérive de l’attention n’est pas toujours reposante pour l’esprit.

D’autres incidences positives sont en revanche moins contestées. Il en va ainsi de la planification autobiographique et de la pensée créative. La première permet de se préparer à ce qui adviendra en anticipant et en hiérarchisant les buts à atteindre. Elle autorise la conception et la simulation de plans à long terme de manière réfléchie plutôt que réactive et impulsive. Il s’agit là d’une fonction adaptative précieuse dans les environnements professionnels changeants et incertains.


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La pensée créative facilite quant à elle la mise au jour de solutions inédites pour surmonter des difficultés avant qu’elles n’adviennent dans le monde réel. Elle aussi est indispensable dans le contexte du travail contemporain qui invite davantage à questionner le statu quo de façon régulière plutôt qu’à simplement reconduire des routines. Les inspirations célèbres de Newton et sa pomme ou d’Archimède qui s’exclame « Eurêka ! », solutionnant un problème en prenant un bain, sont là pour nous rappeler le potentiel productif de ces moments d’absence.

D’autres effets bénéfiques du Mind-Wandering ont pu être observés à l’image de la consolidation en mémoire de nouveaux savoirs ou bien encore du découplage de la situation actuelle qui limite par exemple l’impact négatif des évènements stressants. Dans cette perspective, nous avons, pour notre part, montré statistiquement qu’un bien-être au travail faible est associé à une propension forte du salarié à laisser sa pensée errer. Autrement dit, les salariés qui se sentent les plus heureux au travail ont moins besoin de relâcher la pression en rêvant. L’errance de la pensée constitue ainsi une échappatoire salutaire aux situations de travail négatives.

Il ressort de toutes ces observations que le Mind-Wandering au travail ne peut pas être restreint à un simple état mental dysfonctionnel. Il semble aussi avoir des effets positifs. Le contenu même de la pensée dérivée les conditionnerait. Elle peut porter selon les cas sur les problèmes actuels, le passé, le futur, les solutions innovantes, les émotions positives ou négatives. Mais ça, aucun manager n’est en mesure de le contrôler à coup sûr. Cela laisse rêveur n’est-ce pas ?

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