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Géographie de la mortalité due au Covid-19 en France et en Allemagne

Malgré un confinement nettement plus strict (ici la rue de Rivoli à Paris le 18 avril dernier), la France affiche un nombre de morts significativement supérieur à celui de l'Allemagne. François Guillot/AFP

Dans un article précédent, la géographie de la pandémie de Covid-19 en France et en Allemagne a été décrite. La cartographie fait apparaître à l’intérieur des deux pays de grands contrastes en matière de densité de cas, révélateurs des structures géographiques propres à chaque État.

La pandémie a ainsi fortement frappé les régions de l’est de la France et l’Île-de-France, alors que les régions de la façade atlantique et du sud-ouest ont été peu touchées. En Allemagne, la pandémie, qui s’est propagée depuis l’Italie, s’est concentrée dans les deux Länder du sud (Bavière et Bade-Wurtemberg) et dans une moindre mesure dans certaines parties de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, tandis que le nord du pays et les nouveaux Länder ont été relativement épargnés.

Une mortalité beaucoup plus forte en France, révélatrice de la mauvaise gestion de la crise

Pourtant, si la France et l’Allemagne ont eu à peu près le même nombre de cas attestés (environ 190 000), la mortalité a été beaucoup plus élevée en France. Tandis que l’Allemagne ne déplorait, au 19 juin 2020, que 8 883 décès, soit un taux de 107 par million d’habitants, la France en comptait 29 617, soit un taux de 454 par million d’habitants.

Ce contraste ne peut s’expliquer par la différence d’intensité de la pandémie, puisque les deux pays ont été touchés presque simultanément et ont des densités moyennes de cas assez proches ; il est révélateur de l’inégal état de préparation des systèmes de santé et des différences entre les politiques de gestion de la crise.

Alors qu’en Allemagne, tests et masques permettant de repérer les cas et de limiter la propagation du virus ont été dès le début disponibles massivement, la France a été confrontée à une pénurie que le gouvernement a bien maladroitement tenté de masquer par une communication désastreuse. La situation a été aggravée par l’état du système hospitalier, affaibli depuis de nombreuses années, et disposant par exemple de trois fois moins de lits de réanimation que celui de l’Allemagne. Ce désastre sanitaire côté français est d’autant plus frappant que la politique de confinement imposée du 17 mars au 11 mai y a été bien plus stricte qu’en Allemagne, où elle variait beaucoup suivant les Länder.

La carte (figure 1) montre qu’en France les départements à fort taux de mortalité (supérieur à 400 par million) sont beaucoup plus nombreux qu’en Allemagne. Alors que chez nos voisins d’outre-Rhin seules les deux régions les plus touchées par la pandémie (Berchtesgaden et le Haut-Palatinat, le long de la frontière tchèque) sont dans cette catégorie, en France c’est le cas de l’ensemble des départements du Grand Est, ainsi que de la plupart des départements d’Île-de-France et de Picardie. On note également de forts taux de mortalité en Bourgogne, en Franche-Comté, le long du couloir rhodanien, ainsi que dans le Berry.

Les considérables écarts de mortalité entre les deux pays sont illustrés par la situation dans les régions frontalières. En Alsace, le nombre de décès s’élevait le 19 juin à 1 450 pour une population de 1,9 million d’habitants (soit 763 décès par million), alors que dans le pays de Bade voisin, on déplorait 414 décès pour une population de 1,6 million d’habitants (soit 259 décès par million).

Figure 1 : géographie de la mortalité due au Covid-19 en France et en Allemagne, situation au 19 juin 2020

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De fortes inégalités spatiales à l’intérieur de chaque pays

L’étude de la répartition de la mortalité fait apparaître de grandes inégalités régionales à l’intérieur de chaque pays, en grande partie en raison de la distribution spatiale très inégale du virus, mais aussi parce que le taux de décès rapporté au nombre de cas varie fortement. Avec un nombre d’habitants équivalent, le département des Vosges a ainsi eu six fois plus de malades hospitalisés et dix fois plus de morts que celui de la Haute-Vienne. Comme le montre la figure 2, il existe bien une corrélation entre densité de cas par département et taux de mortalité.

Toute l’Allemagne du Nord et les nouveaux Länder (correspondant à l’ancienne RDA absorbée lors de la réunification de 1990) affichent des taux de mortalité faibles. Mais un certain nombre de territoires ressortent par des taux de mortalité nettement plus bas par rapport à la densité de cas. Au sein des régions allemandes comptant le plus de cas, l’agglomération de Munich a un taux de décès rapporté au nombre de cas attestés parmi les plus faibles de tout le sud du pays. C’est pourquoi les taux de mortalité rapportés à la population totale varient du simple au triple entre Munich (153 décès par million d’habitants) et la région de Rosenheim-Berchtesgaden (487 décès par million d’habitants).

En France, on retrouve des écarts considérables dans les taux de décès rapportés au nombre de cas traités à l’hôpital. Ils varient d’un maximum de 28 % dans l’Indre à des minima de 8 à 14 % dans plusieurs départements du sud de la France. Dans tout le sud-ouest de la France, où la densité de cas est faible, les taux de mortalité sont largement inférieurs à 100 par million d’habitants, avec des minima inférieurs à 30 dans les départements les moins touchés. Contrairement à l’Allemagne, tous les départements comportant une forte densité de cas ont des taux de décès élevés, presque toujours supérieurs à 18 % des cas hospitalisés. Néanmoins, il existe des contrastes importants, y compris en Île-de-France. À densités de cas équivalentes, les Hauts-de-Seine ont un taux de décès nettement inférieur à celui de Paris. Il en va de même pour les Bouches-du-Rhône qui, avec une densité de cas comparable, a un taux de mortalité qui atteint 77 % de celui du département du Rhône et 55 % de celui de la Meurthe-et-Moselle.

Figure 2 : densité de cas (pour 100 000) et taux de mortalité (par million) par département en France, situation au 19 juin 2020 :

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02, Aisne ; 06, Alpes-Maritimes ; 10, Aube ; 13, Bouches-du-Rhône ; 18, Cher ; 36, Indre ; 44, Loire-Atlantique ; 51, Marne ; 52, Haute-Marne ; 54, Meurthe-et-Moselle ; 55, Meuse ; 57, Moselle ; 59, Nord ; 67, Bas-Rhin ; 68, Haut-Rhin ; 69, Rhône ; 74, Haute-Savoie ; 75, Paris ; 77, Seine-et-Marne ; 78, Yvelines ; 80, Somme ; 88, Vosges ; 90, Territoire de Belfort ; 92, Hauts-de-Seine ; 93, Seine-Saint-Denis ; 94, Val-de-Marne ; 95, Val-d’Oise ; 976, Mayotte.

Les départements situés au-dessus de la courbe de tendance ont des taux de mortalité à l’hôpital supérieurs à la moyenne française (18,56 %) ; ceux situés en dessous ont des taux inférieurs à cette moyenne.

Comment interpréter ces différences de mortalité ?

Les différences de taux de mortalité peuvent s’expliquer par trois types de causes.

La mortalité est d’abord corrélée à l’intensité de la pandémie et donc, en partie, à la tenue de rassemblements (de loisir ou religieux), ou à des configurations géographiques ayant favorisé la propagation du virus au sein de la population. Celle-ci a pu être différemment affectée en fonction de sa structure par âge qui peut varier notamment entre les régions urbaines et les régions rurales. Étant donné que la plupart des décès liés à la pandémie ont frappé des personnes âgées, la proportion d’habitants de plus de 65 ans peut expliquer une partie des différences. C’est le cas, semble-t-il, en Bavière ; mais ce n’est pas généralisable.

En France, il est difficile de se prononcer car on ne dispose pas des données des Ehpad par département. De plus, il existe aussi un biais dans les données de mortalité car dans les départements très ruraux les malades gravement atteints ont été transférés dans les hôpitaux des capitales régionales. L’autre explication possible aux différences de mortalité a trait à la qualité du système hospitalier et des traitements qui y ont été prodigués. Lorsque l’on pourra faire un bilan définitif, il sera donc intéressant d’analyser ce qui relève des caractéristiques de la population et ce qui découle des qualités et défauts du système de santé et de l’efficacité des traitements utilisés. Espérons que l’on pourra en tirer des enseignements afin de mieux gérer une prochaine crise sanitaire.

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