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Gestion des carrières : vers un nouveau modèle entre flexibilité et stabilité ?

Et si la gestion des carrières devenaient davantage une gestion des mobilités en interne. Shutterstock

Le marché du travail connait un ralentissement depuis le printemps 2023. Ralentissement relatif, car il suit une séquence d’embellie. La « grande démission », tant déplorée par les recruteurs, était aussi corrélée à un « grand recrutement » dans certains secteurs. Les mobilités et les embauches bloquées par l’époque Covid, déferlant ensuite, ont provoqué un jeu de départs en cascade. Ce processus semble désormais stabilisé. Mais que proposer à ces nouveaux collaborateurs ? Une nouvelle séquence s’ouvre : celle de la fidélisation et de la mobilité interne.

Or, côté entreprises, la gestion des carrières n’est guère en grande forme. Ces dernières décennies, les pratiques de gestion des ressources humaines ont pris une tout autre direction et des réinventions semblent nécessaires.

Une culture de la flexibilité

Gérer des carrières, pour une entreprise, repose sur une idée simple : l’organisation souhaite entretenir une relation durable avec ses salariés et c’est la notion de « carrière » qui permet d’articuler ces engagements réciproques. Dans les faits, pourtant, la démarche a été progressivement remise en cause. La crise économique y a contribué : comment promettre un emploi durable quand les marchés s’avèrent plus incertains ?

Promettre des carrières, c’est aussi faire le pari de privilégier le développement des compétences en interne plutôt que d’acquérir des talents sur le marché externe. Cette démarche a semblé perdre en pertinence dès que les cycles économiques et technologiques ont accéléré. Former ses équipes à des métiers nouveaux et les acculturer à de nouvelles méthodes a semblé bien lent, donc bien dangereux ; le recrutement externe a pris le visage du renouveau et de l’innovation tant souhaitée. La Silicon Valley, où les entreprises et les équipes se feraient et se déferaient au gré des projets, a servi d’exemple à suivre.

Toutes ces analyses globalement défavorables aux salariés ont été coiffées d’un argument en leur faveur : le collaborateur du XXIe siècle, « post-moderne », ne voudrait plus d’un seul employeur. Son implication et sa satisfaction ne pourraient passer que par la liberté de changer d’entreprise, de métier et de compétences.

La montée en puissance de ces idées, tout au long des années 1990, a créé une nouvelle séquence dédiée à la flexibilité externe. Comités carrière, revues de personnel, bilans de carrière, ces outils destinés à repérer les potentiels et à co-construire les parcours se font désormais plus rares. Ils ont été remplacés par une démarche unique : la bourse emploi, ou « job board » interne. Les entreprises y affichent les postes vacants et laissent aux salariés intéressés le soin de postuler.

Dit autrement, les marchés internes sont désormais gérés comme les marchés externes : l’entreprise ne s’engage qu’à faire connaitre ses besoins. Les individus sont responsabilisés : c’est à eux de connaitre et de faire connaître leurs compétences, leurs besoins et leurs potentiels. Sous-jacent, c’est là un moyen de suggérer que la relation entre employeur et salariés est éphémère. C’est acculturer à la flexibilité quand les horizons économiques sont incertains. La gestion des carrières est devenue une gestion des mobilités.

Besoin de stabilité également

Dans ce schéma, certains éléments semblent avoir été perdus de vue. Du côté des salariés, la mobilité externe et la liberté de gérer son parcours se confondent avec l’idéal d’une autonomie renouvelée. Les études longitudinales qui comparent parcours internes et externes montrent des accélérations plutôt que des transformations des trajectoires : changer d’employeur permet de gagner en salaire et en responsabilités plus rapidement, mais pas de transformer fondamentalement les types de postes atteints. Ceux qui conservent le même employeur finissent aussi par atteindre les mêmes revenus et les mêmes emplois, certes plus lentement.

Paradoxalement, la mobilité externe tend aussi à restreindre la diversité des trajectoires, alors même qu’elle suggère une augmentation des possibilités. Pour être compris par le marché externe, un parcours doit être lisible : le poste convoité doit pouvoir se déduire logiquement des étapes antérieures. Les recruteurs pourraient avoir du mal à discerner des compétences derrière un parcours trop éloigné des standards. L’anticipation de ces difficultés conduit alors les adeptes de la mobilité externe à restreindre leurs projets et leurs parcours à des modèles limités.

À cette difficulté s’en ajoute une autre. Quand bien même ils auraient le goût du challenge, les individus ont, aussi, un besoin de stabilité. L’identité personnelle, qui cadre la plupart des processus psychologiques, demande que soient stabilisées des appartenances à des groupes sociaux de référence. Pour certains, c’est le métier qui joue ce rôle ; mais pour beaucoup, c’est l’organisation qui reste fondamentale.


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Du côté des entreprises, la performance organisationnelle ne se limite pas à l’addition des compétences. L’agencement des ressources individuelles est un jeu plus délicat et plus nécessaire. Cette efficacité demande des conjugaisons d’individualités et de responsabilités qui se construisent lentement. Les cultures sont les sources de performance cachées des entreprises : dans les approches spécifiques des marchés et dans les regards distinctifs se trouvent des avantages concurrentiels.

Nos études, notamment, montrent que les organisations fonctionnent par des synergies entre des « mercenaires » qui viennent du marché externe et des « héros discrets » qui incarnent la stabilité et la culture nécessaires. Les individus ont besoin de stabilité, les organisations aussi.

La flexibilité interne, une nouvelle séquence pour les ressources humaines

La quête de sens, dont on parle tant, ne concerne pas que la possibilité de produire un travail conforme à son éthique. Elle implique aussi une appartenance à un collectif et une socialisation réussie dans un environnement professionnel. Les organisations, face à des enjeux aussi complexes que l’IA, la transition écologique et la réindustrialisation, ont besoin de cultures stables, de transformations et, plus pragmatiquement, de créer des emplois aux contours inédits.

Ici, une des priorités semble être la délinéarisation des parcours. Les trajectoires paraissent encore trop marquées par la norme de l’évolution hiérarchique, l’accès aux fonctions managériales étant la seule qui permette l’augmentation des revenus. Avec le besoin de lisibilité du marché externe, évoqué plus haut, pression au conformisme, seule la mobilité interne permet de casser cette corrélation.

La conjugaison de ces enjeux plaide ainsi pour l’ouverture d’une nouvelle séquence dans le mode de gestion de l’emploi. Dans ce nouveau contexte, le cadre global de collaboration ne serait plus le poste, mais un horizon de plus long terme : celui du parcours professionnel. Cette perspective organisationnelle responsabilise la direction des ressources humaines et le management dans l’élaboration des parcours : veille des métiers et de leurs transformations, accompagnement dynamique et concerté, telles seront leurs missions.

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