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« Ghost in the Shell », fabrique à avatars

Une image tirée du générique de l'anime d'Oshii Author provided

Sorti le 29 mars 2017 en France, Ghost in the Shell est une nouvelle adaptation du manga de Masamune Shirow par le réalisateur britannique Rupert Sanders. Première dans l’histoire transmédiatique de l’œuvre : il s’agit ici d’un film en prises de vue réelles et non d’une nouvelle mouture animée à l’instar du film éponyme de Mamoru Oshii en 1995 et de sa suite, Innocence, en 2004.

Le long métrage de Rupert Sanders a depuis fait couler beaucoup d’encre et de salive, notamment en servant, à tort, d’exemple de whitewashing hollywoodien, mais aussi, et surtout, en mécontentant les aficionados de l’animé.

Dans son article « Ghost in the Shell : en quoi l’adaptation hollywoodienne trahit-elle le manga culte ? », Bruno Deruisseau écrit dans les colonnes des Inrockuptibles :

« Le “Ghost in the Shell” de Mamoru Oshii est l’histoire d’une fusion ultime entre la robotique et l’humanité, de l’inquiétante création d’une conscience artificielle, d’une post-humanité à la fois matérielle et immatérielle capable d’infiltrer chaque réseau. Son récit est d’une poésie, d’une profondeur et d’une ampleur folles. Le remake hollywoodien sorti 22 ans plus tard en a complètement trahi le propos et évacué la complexité. »

Les podcasteurs Durendal et Le Fossoyeur de Films désignent également le film d’Oshii comme « œuvre originelle » dans leurs critiques acerbes de cette nouvelle adaptation.

Un artwork de Masamune Shirow qui a servi de couverture au premier tome du manga. Author provided

Pourtant, cette dernière n’est pas un remake de l’animé de 1995, lequel n’est pas non plus « l’œuvre originelle ». Prépublié dès 1989 dans les pages du Young Magazine, Ghost in the Shell est un seinen, un manga pour jeunes adultes, écrit et dessiné par Masamune Shirow, auteur spécialisé dans le post-apocalyptique et le cyberpunk comme peuvent en témoigner ses précédentes productions, Black Magic, Appleseed ou encore Dominion.

Si la presse spécialisée et les dilettantes de YouTube s’évertuent à se référer au film de Mamoru Oshii plutôt qu’au véritable auteur de l’œuvre, c’est d’une part parce qu’ils sont mal renseignés – les informations étant pourtant accessibles –, mais également parce que le manga et ses différentes adaptations sont sujets à une double paternité.

Le fantôme et le coquillage

Le Ghost in the Shell de Mamoru Oshii retrace les grandes lignes du premier manga éponyme de Masamune Shirow, auquel firent suite Man Machine Interface et Human Error Processor en 1991. Cette adaptation est un condensé des centaines de pages dessinées par l’auteur, au même titre que le film animé Akira de Katsuhiro Otomo, en 1988, résumait avec une certaine exhaustivité l’étendue de son propre manga.

Une image tirée de l’anime d’Oshii : quand la Section 9 découvre le piratage d’un cerveau cybernétique par le Puppet Master. Author provided

La particularité du film d’Oshii est de se focaliser sur les questionnements philosophiques et métaphysiques de son personnage principal, le Major Motoko Kusanagi, un cyborg remettant en cause la définition même d’humanité.

En évitant de s’étendre sur les nombreuses scènes d’action de la bande dessinée originelle, le réalisateur en a extrait la substantifique moelle, créant une œuvre calme, réfléchie et plus facilement lisible que son aînée d’encre et de papier. Car le Ghost in the Shell de Masamune Shirow est avant tout un thriller politique mâtiné d’action ultra-violente, un déluge de fusillades, d’explosions et de filatures en tout genre au gré desquelles éclatent parfois des scènes de pur comique, notamment grâce aux fushikomas, des robots arachnoïdes plein d’humour que l’on ne retrouvera ni dans les films d’Oshii ni dans celui de Sanders (ils réapparaissent néanmoins en 2015 dans Ghost in the Shell : The New Movie de Kazuya Nomura).

Il n’en demeure pas moins que des questionnements philosophiques, métaphysiques, mais également éthiques et politiques surgissent dans les pages de Shirow, que ce soit au détour de certains dialogues, ou de certaines situations après relecture, ou simplement dans les multiples notes de bas de page qui font toute la particularité de son récit. En un sens, Mamoru Oshii a mis en avant, dans son film, ce qui était sous-entendu dans le manga, rendant ainsi Ghost in the Shell beaucoup plus évident sur ces points précis. Le réalisateur s’est fait l’interprète du mangaka, là où la vision de Sanders est davantage restée dans le sous-texte.

Une nouvelle adaptation sous influence

Si le matériau de base de Masamune Shirow semble aujourd’hui faire bien moins autorité que ses adaptations par Mamoru Oshii, c’est aussi et surtout parce que le film de Rupert Sanders, bien qu’adaptant avec plus de détails le premier arc du manga que ne l’a fait son homologue animé, reprend parfois plan pour plan certaines scènes iconiques des longs métrages de 1995 et 2004.

Que ce soit le Major se déshabillant sur le toit d’un gratte-ciel avant de plonger dans le vide, un androïde-geisha rappelant les gynoïdes d’Innocence ou encore un gros plan sur un verre dans lequel le Docteur Dahlin éteint une cigarette, Rupert Sanders assume pleinement ses influences visuelles… à tel point qu’il finit par brouiller les pistes.

Le corps du Major (Scarlett Johansson) est réparé suite à sa destruction partielle.

En caricaturant, c’est comme si Tim Burton avait copié en prises de vues réelles certains plans du dessin animé Alice in Wonderland de 1951 pour sa nouvelle adaptation en 2010, et que la critique avait présenté Alice comme une invention des productions Walt Disney plutôt que de mentionner le roman de Lewis Carroll.

Certains contes populaires ont traversé les siècles grâce aux adaptations, mais il n’en demeure pas moins que leurs origines ne sont pas cinématographiques. L’erreur est strictement la même dans le cas de Ghost in the Shell.

Cependant, la multiplicité des supports demeure, dans ce cas précis, un élément essentiel des travaux initiés par Masamune Shirow et ses différents héritiers. Car au-delà de toute hiérarchisation entre manga, film animé et film live action, l’œuvre doit ici s’appréhender dans son ensemble et ne doit pas être vue comme une succession d’adaptations, de portages, de traductions ou même de merchandising éhonté. Ce qui n’est pas le cas au Japon, la carrière du mangaka s’étant notamment poursuivie dans le domaine du jeu vidéo.

Tout ce qui compose Ghost in the Shell fait partie intégrante de son ADN. Pour comprendre l’œuvre initiée par Shirow, pour l’assimiler et, finalement, pour l’apprécier, il faut en étudier chaque forme.

En 2006, dans son ouvrage Convergence Culture : Where Old and New Media Collide, Henry Jenkins écrivait à propos de l’œuvre des sœurs Wachowski éminemment inspirée par le manga et ses différentes adaptations :

« “Matrix” est un divertissement adapté à la culture contemporaine de la convergence, qui intègre différentes narrations pour créer une histoire si ramifiée qu’il faut plusieurs supports, plusieurs formes pour lui rendre justice. »

Il en va de même pour Ghost in the Shell : le film de Rupert Sanders apporte certains éléments à l’histoire de ses protagonistes, notamment le passé du Major et la cybernétisation de Batou, qui étaient jusqu’alors largement passés sous silence.

Débutée sous forme de manga, cette œuvre de science-fiction s’est déclinée sur de multiples supports (longs métrages de cinéma, téléfilms, séries animées, jeux vidéo et même romans) afin de développer au maximum toutes les strates de sa narration.

Espionnage, action, réflexion, humour et parfois même érotisme sont autant de dimensions qui font l’essence de Ghost in the Shell, la transformant finalement en un objet culturel impossible à contenir sur un seul medium, à l’instar de l’un de ses principaux personnages, le Puppet Master, un esprit surdéveloppé passant de corps en corps pour survivre jusqu’à l’éternité.

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