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« Gilets jaunes » : une fracture nord-sud ?

Rassemblement à Montpellier le 9 novembre 2019. Les villes du sud de la France ont vu une mobilisation soutenue au mouvement « gilets jaunes ». Pascal Guyot/AFP

Le mouvement des « gilets jaunes » a fait l’objet d’une mobilisation exceptionnelle dans les grandes métropoles françaises. Alors que le mouvement va fêter son anniversaire le 16 novembre, peu d’enquêtes de chercheurs permettent de réellement caractériser le mouvement.

Qui sont les gilets jaunes et qui les soutient ? Le mouvement est-il de droite ou de gauche ? L’intensité des soutiens permet-elle d’expliquer la mobilisation au niveau local ?

Pour répondre à ces questions, nous avons interrogé un panel de 1 000 répondants représentatifs des dix plus grandes villes françaises (Bordeaux, Lille, Lyon, Nantes, Marseille, Montpellier, Nice, Paris, Strasbourg et Toulouse) sur leur soutien et leur participation au mouvement des gilets jaunes. L’étude qui en résulte est disponible en ligne.

Le questionnaire comprend la question suivante « Soutenez-vous les Gilets jaunes ? » avec quatre réponses possibles :

  • « Je suis gilet jaune »

  • « Je ne suis pas gilet jaune mais je les soutiens »

  • « Je ne soutiens pas les gilets jaunes »

  • « Ne se prononce pas ».

L’étude permet donc de distinguer la participation au mouvement des gilets jaunes, définie par le fait de répondre « Je suis gilet jaune », du soutien qui englobe à la fois les individus qui répondent « Je suis gilet jaune » et ceux qui répondent « Je ne suis pas gilet jaune mais je les soutiens ».

Les réponses nous permettent d’identifier qui sont les gilets jaunes, tout en les distinguant de leurs soutiens, et de mesurer les tendances au niveau local permettant de comparer le niveau de mobilisation entre villes.

Nos résultats permettent ainsi de séparer les déterminants de la participation au mouvement (professions, géographie, opinions politiques, etc.) des effets liés à la participation au mouvement (mobilisation physique ou en ligne).

Une fracture nord-sud ?

Les résultats montrent une véritable fracture nord-sud, plus qu’une « diagonale du vide », pour reprendre les termes d’Hervé Le Bras.

Les grandes villes du nord de la France (Lille, Lyon, Nantes, Paris et Strasbourg) montrent un soutien moins fort au mouvement des gilets jaunes que les grandes villes du sud de la France (Bordeaux, Marseille, Montpellier, Nice et Toulouse). Le graphique ci-dessous montre que 60 % de la population marseillaise soutient le mouvement des gilets jaunes mais également plus de 55 % de la population de Bordeaux, Montpellier et Nice. Les villes soutenant en majorité le mouvement sont toutes situées au sud de la France. En revanche, moins d’un quart des Parisiens soutient le mouvement. À Lyon, Nantes et Paris, la plus grande partie de la population ne soutient pas les gilets jaunes.

Qui sont les « gilets jaunes » ? S. Porcher, Author provided

Une forte différence entre soutien et participation

Le graphique ci-dessous montre le pourcentage de répondants se déclarant gilet jaune en jaune foncé, le pourcentage qui soutient le mouvement mais ne participe pas directement en jaune clair, le pourcentage qui ne soutient pas le mouvement en rouge et la part de la population qui ne se prononce pas en gris. Le graphique montre également que le soutien est relativement large mais que la participation directe au mouvement reste un phénomène marginal. La participation est néanmoins plus forte dans les grandes villes du Sud.

Soutien aux « gilets jaunes ». S. Porcher, Author provided

On peut distinguer trois types de villes : celles où le soutien est important et la participation modérée (Bordeaux, Lille, Montpellier, Toulouse) ; celles avec un soutien large et une participation forte au mouvement (Marseille et Nice) et celles avec un soutien et une participation faibles (Lyon, Paris).

Comment expliquer ces différences de soutien et de participation entre villes ?

Un premier élément de réponse est la composition des villes en termes de catégories socio-professionnelles.

Les employés soutiennent en grande majorité le mouvement (60 %). Les artisans, commerçants et chefs d’entreprise (45 %), les ouvriers (44 %) et les inactifs (43 %) sont également des soutiens importants. Les catégories les plus mobilisées sont les ouvriers (22 % sont gilets jaunes), les artisans, commerçants et chefs d’entreprise (10 %) et les employés (8 %). Les villes comptant la plus grande partie d’employés sont celles où le soutien est le plus fort ; celles comptant le plus d’ouvriers sont celles où la participation est la plus forte. Alors que les ouvriers ont largement déserté les centres-ville, les employés continuent à constituer une part importante de la population des grandes villes, notamment dans les villes du sud de la France.

Le rôle du profil politique des villes

Un deuxième critère important est le profil politique des différentes villes, particulièrement vis-à-vis des partis extrêmes et de la participation aux élections.

Pour cela, nous comparons le soutien et la participation au mouvement en fonction des résultats de l’élection présidentielle de 2017.

Les villes où l’abstention au sens large, c’est-à-dire la somme de l’abstention, des votes blancs et des votes nuls, est élevée montrent un soutien plus fort aux gilets jaunes. C’est le cas par exemple de Marseille qui a un taux d’abstention au sens large de 24 % et 64 % de la population qui soutient les gilets jaunes. Plus la population locale se sent en inadéquation avec les candidats aux élections présidentielles, et plus elle soutient le mouvement.

La part de la population qui vote pour les partis extrêmes, aussi bien de droite ou de gauche, est également positivement reliée au soutien au mouvement au niveau local.

On retrouve une fracture nord-sud : Lyon et Marseille sont comparables en termes de vote pour l’extrême gauche mais la mobilisation est beaucoup plus forte à Marseille qu’à Lyon ; Bordeaux et Nantes ont également des scores comparables de l’extrême gauche et pourtant la mobilisation à Bordeaux est beaucoup plus importante qu’à Nantes. Ces villes diffèrent néanmoins en termes de vote en faveur de l’extrême droite, qui sont plus élevés dans les villes du Sud.

Vandalisme sur un MacDo en marge d’une manifestation « gilets jaunes » à Nantes, le 14 septembre 2019. Sebastien Salom-Gomis/AFP

Quelle mobilisation locale ?

La participation au mouvement se traduit-elle par une plus forte mobilisation au niveau local ? La mobilisation peut se mesurer en termes de blocages au niveau des péages ou des ronds-points reportés par les gilets jaunes ou par une mobilisation en ligne, particulièrement le nombre d’adhérents au niveau des groupes Facebook.

La fracture nord-sud est moins évidente en termes de mobilisation.

Les villes de l’échantillon ayant connu le plus de blocages sont Nantes et Bordeaux ; Lille et Marseille sont les deux villes qui ont connu le plus de mobilisations lors du 17 novembre 2018.

Il est donc difficile de prédire les blocages à venir ou la mobilisation lors du 16 novembre 2019 mais on observe une relation positive entre le soutien et la mobilisation physique passée.

Outre les cas exceptionnels, on peut s’attendre à une plus forte mobilisation physique dans les villes du Sud de la France.

En ligne, des pages FB disparates

Au regard de la mobilisation en ligne, on observe encore des limites à la fracture nord-sud. Bordeaux, Montpellier et Toulouse ont une forte mobilisation en ligne mais Marseille et Nice ont relativement peu d’adhérents aux groupes de gilets jaunes locaux ; à l’inverse Lille est fortement mobilisée sur les groupes Facebook mais pas Lyon, Nantes, Paris ou Strasbourg.

Toulouse compte par exemple plus de 54 000 abonnés sur l’ensemble des pages Facebook de gilets jaunes toulousains et Strasbourg à peine 3 000.

Rapportés aux populations des villes, les pages Facebook peuvent regrouper un nombre d’abonnés qui représente 11 % de la population comme à Toulouse ou moins de 1 % comme à Lyon et à Paris.

Il semble donc possible d’identifier, voire de cartographier précisément, les soutiens aux gilets jaunes. En revanche, les conséquences du soutien, en termes de mobilisations physique et en ligne semblent plus difficiles à caractériser. La base du soutien au cours de l’année passée va-t-elle entraîner une plus forte mobilisation dans les semaines à venir ?

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