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Marche Blanche en hommage à Thomas, 16 ans, tué par des jeunes dans une salle des fêtes de Crépol, dans la Drôme, le 2 décembre. Olivier Chassignole/AFP

Insécurité dans les campagnes : l’affrontement de deux mondes ?

Dans la nuit du 18 au 19 novembre 2023 le meurtre de Thomas a laissé la France sous le choc. Le jeune homme de 16 ans a été poignardé lors d’une fête de village à Crépol, un petit village d’un peu plus de 500 habitants dans la Drôme.

Pour beaucoup, les campagnes semblaient exemptes de ces formes de violence. Or ce meurtre relance de nombreuses questions à la fois sur l’insécurité en milieu rural, sur l’opposition entre jeunes ruraux et jeunes urbains et semble – en définitive – cristalliser des tensions politiques et sociales. Derrière la question des violences dans ces territoires refont surface des tensions vis-à-vis de la polémique du racisme anti-blanc et des tiraillements « civilisationnels ».


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Des violences avant tout intrafamiliales

La question de l’insécurité au sein des espaces ruraux est centrale et difficile à éclaircir avec les chiffres mis à disposition par le gouvernement. Les rapports annuels sur l’insécurité et la délinquance ne permettent pas bien de distinguer rural et urbain.

Les zones de gendarmerie (en opposition avec les « zones de police ») représentent la moitié de la population française dont les deux tiers sont urbains ou périurbains. D’autre part, il faut noter que ces chiffres doivent être considérés à l’aune de l’évolution de notre rapport au délit comme c’est notamment le cas avec le phénomène des violences sexistes et sexuelles avec l’ouverture de la parole et le travail de sensibilisation qui font que les victimes expriment plus facilement qu’avant ces violences.

Nous pouvons toutefois tirer de ces rapports l’augmentation de plusieurs types de délits dans les communes à faible densité de population. Les villes – c’est-à-dire les zones à forte ou très forte densité de population – bien qu’hétérogènes se distinguent vis-à-vis de la criminalité et notamment de la violence en campagne. Entre 2016 et 2022, les homicides ont stagné en France avec 0,08 ‱ contre 0,19 ‱ pour les zones urbaines. Ils ont même diminué à Paris sur cette période.


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Les vols avec et sans armes ont stagné (avec bien évidemment un taux très faible en 2020 du fait des confinements). Ce qui a pu augmenter sont les coups et violences volontaires ainsi que les violences sexuelles. Pour les violences volontaires, nous sommes passés dans les campagnes de 1,5 ‰ à 2,6 ‰ (4,5 à 6,5 dans les grandes villes) ; pour la très grande majorité des violences dans le cadre familial. Enfin, les violences sexuelles observées ont triplé, mais sont aussi le résultat de la libération de la parole notamment à la suite du mouvement #MeToo.

Distinguer délinquance et sentiment d’insécurité

Quoi qu’il en soit, il faut se rappeler que l’évolution de la délinquance ne correspond pas nécessairement au sentiment d’insécurité.

Puisque de nombreux délits et crimes ne créent pas toujours des victimes, et ne participent pas à l’évolution du sentiment d’insécurité sur un territoire là où des comportements d’incivilité risquent d’y contribuer sans qu’ils soient pour autant répréhensibles pénalement. L’impolitesse, la mobilisation de l’espace public ou encore le « zonage » des jeunes peuvent, par exemple, renforcer le sentiment d'insécurité.

Ce que l’on peut observer de manière générale c’est que les espaces ruraux connaissent moins de violences et de criminalité que le reste du territoire. Le Service Statistique du Ministère de la Sécurité Intérieure (SSMSI) rappelle ainsi que la majorité des actes délinquants reposent sur 1 % des communes sur le territoire national. Sans qu’il s’agisse d’une règle stricte, le rapport du SSMSI montre que la Creuse, département rural, connaît un taux de crime avec violence trois fois inférieur à celui de la Seine-Saint-Denis, et que les communes sans criminalités sont toujours dans des espaces ruraux. Est-ce à dire que l’on rencontre l’opposition de deux mondes ?


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L’affrontement de deux mondes ?

L’opposition entre les campagnes et les villes est un phénomène bien souvent exagéré, par des visions folkloristes comme les Bodin’s, qui tend à effacer la nuance et l’hétérogénéité des territoires en France. Les différences économiques, en matière d’accès aux services sont à relativiser lorsque l’on observe, par exemple, une pauvreté présente principalement dans les zones urbaines « Quartiers Politiques de la Ville » (QPV) et au sein des espaces ruraux.

Dans les espaces ruraux, le discours récurrent est celui de l’injustice de la centralisation et de l’urbanocentrisme des politiques. Alors que pour les quartiers politiques de la ville le discours fréquemment employé est celui de la marge que représentent les banlieues et de la stigmatisation de population dominées.

Le rural et l’urbain ne sont pas deux réalités opposées, le premier n’est pas le négatif de l’autre.

Marche blanche en mémoire de Thomas, tué par des jeunes hommes lors d’une fête de village à Crépol, près de Romans sur Isère le 2 décembre 2023. Sylvain Thomas/AFP

Puisque ce qui caractérise l’urbanité ou la ruralité est la densité de population, nous pouvons alors facilement considérer que nous faisons face à un spectre de la ruralité et de la ville. Ce ne sont pas deux « mondes » ou deux « pôles » qui s’opposent, mais plutôt de nombreux espaces plus ou moins denses, plus ou moins éloignés des métropoles.

Des espaces urbanisés ou périurbains viennent se positionner – s’intercaler – entre ces territoires et nous permettent de considérer que nous ne sommes pas dans une opposition, mais dans un dégradé. De plus il faut garder à l’esprit que la ruralité comme l’urbanité ne sont pas des réalités homogènes.

Si cette considération est facile à avoir en tête lorsqu’on parle des villes, elle est plus difficile à prendre en considération lorsque l’on parle des campagnes. Si l’on accepte aisément que Neuilly-sur-Seine ne soit pas la même réalité que La Courneuve, on a souvent plus de mal à accepter que vivre sur l’île d’Oléron n’est pas la même chose que vivre dans un hameau dans les Alpes et que ce n’est pas non plus vivre au bord du bassin d’Arcachon ou au centre de la Creuse.

Ce qui persiste dans les imaginaires ce sont avant tout des prénotions que l’on peut avoir d’une part et d’autres de cette hypothétique barrière. Pour ce qui concerne les stéréotypes sur les ruraux : des idées préconçues sur le retard culturel, un entre-soi passéiste et xénophobe. Et pour les urbains, l’« ensauvagement », la violence et l’assistanat. Ainsi, bien avant toute autre chose, ce sont nos représentations qui viennent jouer sur la construction d’un sentiment d’opposition entre ces deux « mondes ».

La cristallisation de multiples tensions

Les contextes géographiques distincts cachent des réalités communes de domination. Pauvreté élevée, marginalisation, faible taux de service, difficultés liées à l’emploi et à la formation, les ressemblances sont sociologiquement bien plus structurantes des vécus que les ancrages géographiques et ce qui est vécu comme une diversité culturelle.

La ruralité et l’urbanité restent des marqueurs symboliques d’identités pour beaucoup de jeunes et derrière le drame qui a frappé les habitants de Crépol vient la peur de « l’ensauvagement » et de l’envahissement d’espaces qui semblent « préservés » de ces formes de violence.

Or, s’il y a un taux de criminalité avec violence plus « faible » en milieu rural qu’en ville, nous devons rappeler que cela ne signifie pas que les espaces ruraux sont exempts de toute forme de violence. Dans le rapport sur les violences sexistes et sexuelles en milieu rural l’autrice rappelle que de nombreuses formes de violence sont passées sous silence et invisibilisées du fait de l’interconnaissance locale.


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En réalité, ce ne sont pas tant les questions de violences et/ou de criminalités qui font débat, mais un rapport à la politique et une récupération faite notamment par des mouvements d’extrême droite. À Bordeaux, Toulouse, Brest, Crépol ou encore Clermont-Ferrand des manifestations ont été interdites par crainte de violences entre des groupes d’extrême droite et d’extrême-gauche. Pourtant, les élus locaux apportent une nuance importante sur leur territoire, mais souvent peu visible et peu mise en avant face aux instrumentalisations de ce drame.

Aussi, s’il faut être prudent avec les données que l’on peut mobiliser, il est clair que des montées identitaires et politiques traversent de tels évènements comme cela a pu être notamment observé sur le réseau social X. On voit ici encore que la ruralité, bien loin d’être en marge des problématiques contemporaines, se retrouve en leur cœur.

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