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Des bénévoles, comme ici à Belfort, s'activent pour récupérer des invendus, cuisiner des légumes moches ou encore mener des actions de sensibilisation dans les écoles. Thomas Bresson / Wikimedia Commons, CC BY-SA

Invendus, rebuts et surplus : des initiatives novatrices pour lutter contre le gaspillage alimentaire

L’Agence de la transition écologique (Ademe) et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estiment qu’un tiers de la production alimentaire mondiale est aujourd’hui gaspillé. Pour la France, la masse s’élève à 10 millions de tonnes, ce qui équivaut à 150 kg par habitant et par an. Les pertes économiques liées sont estimées entre 12 et 20 milliards d’euros par an. En parallèle, les organismes d’aide alimentaire tirent le constat alarmant d’une demande en augmentation qui se double d’une réduction des dons alimentaires.

Pourtant, l’Hexagone reste mondialement réputé pour ses lois ambitieuses en matière de gaspillage alimentaire. La loi Garot de février 2016, par exemple, oblige les magasins de plus de 400 m2 à proposer une convention de don à des associations pour la reprise de leurs invendus alimentaires encore consommables. Le pacte national de lutte contre le gaspillage de 2013 donnait, lui, pour objectif de réduire de 50 % le gaspillage alimentaire à l’horizon 2025. Plus récemment, la loi EGalim 2 d’octobre 2021 engageait la restauration collective à lutter contre le problème.

Ces injonctions politiques favorisent la rencontre des acteurs de la filière alimentaire et la mobilisation citoyenne. Légumes moches, zones antigaspi pour vendre ce qui auparavant était assimilé à des pertes sèches, de nombreuses thématiques sont aujourd’hui portées par des collectifs et associations sur lesquels portent nos récents travaux de recherche.

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Tentes de glaneurs sur les marchés à Rennes ou à Lille, ouverture de conserveries à l’image des crumblers à Bordeaux, des actions citoyennes mettent en avant que la consommation d’invendu peut se faire de façon responsable. Elles participent ainsi à structurer toute une filière.

Des initiatives citoyennes qui structurent une filière

Depuis 2015, à Angers, les bénévoles du projet Solidarifood, s’affairent le samedi dès 12h pour récupérer des invendus des stands du marché place Leclerc. À 13h, quand les derniers stands de producteurs et de revendeurs rangent leurs derniers cartons, la tente des glaneurs s’active. On y trie les produits trop abîmés, récupérés pour être compostés. Le reste, environ 500 tonnes de nourriture, est distribué en moins de 2 heures.

L’équipe des bénévoles de Solidarifood. Maëlis Bénéteau, Fourni par l'auteur

L’après-midi, des salariés se mettent en place avec quelques bénévoles afin d’assurer le soir leur prestation de traiteur antigaspi. La majorité des produits sont récupérés au MIN, sorte de Rungis angevin ; un complément est acheté. Quiches, samoussas, salades de fruits, et toutes autres sortes mignardises sortent des cuisines. Toute la semaine, l’activité de traiteur rythme la cadence de la vie associative. Les salariés assurent aussi des ateliers auprès des écoles pour sensibiliser les enfants aux problématiques du gaspillage alimentaire et coordonnent l’application Eco Glan’ mettant en relation producteurs et consommateurs. Testée en région Pays de la Loire, elle a vocation à s’étendre sur tout le territoire national.

Non loin de là, à Brain-sur-Allonnes, près de Saumur, l’entreprise d’insertion Or Norme, créée en 2019, a identifié d’importants gisements de ressources alimentaires. Aux alentours, une grande diversité de fruits et légumes est produite : on appelle même ce coin « le jardin de la France ».

Ces productions sont soumises aux calibrages de leurs produits, ce qui conduit à détruire déjà 40 % de la production maraîchère locale en début de chaîne. Peggy Jousse, fondatrice de l’entreprise a ainsi mis en place un système de collecte auprès des maraîchers présents dans un rayon de 50 km autour de la conserverie. Les salariés se fournissent en patates douces, champignons, tomates et autres aliments pour concocter des sauces, des tartinades ou des compotes. Intégrée dans une démarche solidaire, l’entreprise rachète à bas coût des fruits et légumes et réalise des bocaux. La conserverie investie d’anciennes caves pour valoriser les surplus de fruits et légumes moches.

Elle souhaite à l’avenir développer une gamme plus accessible, pour vendre ses produits dans d’autres régions au sein de distributeurs nationaux et démocratiser la consommation de fruits et légumes moches.

Les bocaux Or Norme. Peggy Jousse, Fourni par l'auteur

Autre exemple, dans la métropole nantaise, porté par l’association Handicap Travail Solidarité (HTS) en lien avec des établissements de services d’aide par le travail (Esat), le projet SoliFoodWaste vise à associer revalorisation d’invendus alimentaires et créations d’emploi pour des personnes en situation de handicap. Les politiques territoriales locales semblent assez volontaristes sur les enjeux alimentaires, ce qui permet à l’initiative de s’épanouir, notamment car elle a à disposition tout un annuaire d’acteurs concernés.

L’association a su les articuler au sein d’un système polarisé, reposant sur la proximité géographique. Ils vont d’un petit commerce, dont le pain rassis deviendra des cookies, à un grand centre commercial. Un « atelier anti-gaspi et Solidaire » y a vu le jour, dans lequel l’association vend ses produits, parfois fabriqués devant le client (des smoothies à partir des fruits et légumes invendus par exemple). C’est ainsi tout une filière qui s’organise territorialement : grandes surfaces, petits commerces, Esat, consommateurs, écoles, tous trouvent un intérêt à la démarche citoyenne.

Changements de paradigme

Bien que récentes, ces organisations se pérennisent dans le temps et l’espace. Elles ouvrent des voies à d’autres leviers d’action. En positionnant les citoyens non plus en coupables mais en acteurs responsables devant le gaspillage et initiateurs de projets, un changement de paradigme s’opère. Pour une clientèle nouvelle, la consommation de rebuts alimentaires n’est ni cachée, ni honteuse : elle devient parfois revendiquée et militante.

Agir contre le gaspillage c’est aussi agir en amont du gaspillage, pour changer les pratiques dans le temps. Ces acteurs se rendent ainsi auprès des professionnels pour les former à la réduction du gaspillage alimentaire dans leur quotidien. Des partenariats ont vu le jour auprès des acteurs de la restauration scolaire collective ou auprès de chefs de restaurant, poussés en ce sens par la loi Egalim 2.

À suivre et à assister aux temps forts de ces deux initiatives, l’implication des bénévoles est particulièrement ressortie que ce soit dans la transformation des produits, dans leur distribution ou bien dans leur mobilisation pour viabiliser l’espace de production. Ils agissent et apprennent au contact de leurs pairs et pas seulement sur le gaspillage alimentaire : des sujets tels que la nutrition, l’alimentation, la transmission, le don, l’entre-aide sont au cœur de ces dynamiques.

Une salariée de l’atelier Anti-Gaspi de SoliFoodWaste nous explique :

« En termes d’appropriation par le travail et de compréhension pour les travailleurs, c’est un très bon outil d’accompagnement par l’emploi. En termes d’éducation du client, c’est une sensibilisation au circuit court et au recyclage. Pour la relation avec la grande surface, c’était aussi intéressant de travailler avec eux. Pour les normes hygiène, c’est un moyen d’apprentissage pour les travailleurs d’ESAT. C’est une expérience riche, même au niveau du goût sur le smoothie. On récupérait 250 kilogrammes de fruits et de légumes de la veille. Ce n’était pas toujours des produits adaptés donc on faisait des essais, on goûtait, on faisait des dégustations. »

La prise de conscience de la dilapidation de nos ressources à l’échelle mondiale et plus spécifiquement dans les pays occidentaux encourage la création de ces structures solidaires. En agissant localement et en donnant la possibilité de valoriser les rebuts de proximité, ces organisations proposent de nouvelles trajectoires pour nos habitudes et pratiques alimentaires.


Emmanuel Bioteau, professeur des universités de géographie au laboratoire ESO Angers, et Valérie Billaudeau, co-directrice et maîtresse de conférence en information et communication au laboratoire ESO Angers, ont supervisé la rédaction de cet article.

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