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Joe Biden et le défi du vote hispanique

Le président américain Joe Biden arrive à une réception pour célébrer le mois du patrimoine hispanique à la Maison Blanche le 30 septembre 2022 à Washington, DC. Chip Somodevilla.Getty Images via AFP

36,2 millions d’électeurs potentiels, soit 4 millions de plus qu’en 2020, et environ 15 % du total de l’électorat américain. Tel est le poids que peut théoriquement représenter l’électorat hispanique lors de l’élection présidentielle de novembre 2024, qui s’annonce difficile pour le président Biden.

Certes, traditionnellement, ces Américains de plus de 18 ans, d’origine hispanique, ne sont pas tous inscrits sur les listes électorales, et leur taux de participation demeure plus faible que celui des autres groupes, ce qui minore quelque peu l’impact politique de la première minorité des États-Unis. Cependant, ce « géant », qui ne s’est pas tout à fait réveillé encore, compte de plus en plus. En Californie et au Texas, ces électeurs potentiels représentent un tiers de l’électorat. Ils peuvent également faire pencher le résultat vers un parti ou un autre dans certains États indécis, comme l’Arizona. Aucun candidat ne souhaite « perdre » ces suffrages. Selon la National Association of Latino Elected and Appointed Officials (NALEO), 17,5 millions d’électeurs hispaniques, soit 6,5 % de plus qu’en 2020, et 11 % du total, devraient voter le 5 novembre prochain.

Une communauté traditionnellement plutôt acquise aux Démocrates

Historiquement, la minorité hispanique, très hétérogène, a majoritairement voté pour le Parti démocrate, même s’il existe des exceptions collectives, notamment les groupes originaires de Cuba et, moins nombreux, du Nicaragua et du Venezuela, tr ois pays gouvernés par des dirigeants à orientation marxiste.

Cependant, élection après élection, le Parti républicain peut se prévaloir d’un socle de 20-30 % de l’électorat hispanique, avec de bien meilleurs résultats pour Ronald Reagan en 1984 (37 %), George W. Bush en 2004 (un record de 40 %), ou bien encore 38 % pour Donald Trump en 2020. Les valeurs traditionnelles prônées par les Républicains correspondent à celles auxquelles les Hispaniques adhèrent généralement d’un point de vue culturel. Le terrain récemment gagné par les Républicains au sein de la minorité, visible dans les élections locales ou au Congrès fédéral, ne permet cependant pas de franchir la barre des 50 % au plan national.

Outre les différences d’origine déjà évoquées, il existe des disparités de genre (les hommes latino tendent à voter plus volontiers pour les Républicains que les femmes) et de niveau d’instruction ou social (les électeurs peu qualifiés ou avec un faible niveau d’instruction ont davantage voté pour Trump en 2020).

Pendant un meeting de Donald Trump en janvier 2020 dans le New Jersey. Ron Adar/Shutterstock

Les sondages les plus récents, conduits en novembre 2023 ou janvier 2024, ne révèlent pas de changement majeur dans ce schéma qui demeure favorable aux Démocrates, même si des candidats républicains aux diverses fonctions locales ou au Congrès fédéral peuvent leur ravir des postes.

Selon le sondage conduit par l’association hispanique UnidosUS en novembre 2023, les priorités des électeurs hispaniques n’ont guère varié par rapport aux autres élections : l’inflation, l’emploi et l’économie, la couverture médicale, la criminalité et les armes à feu, et enfin, chose nouvelle, le coût du logement demeurent leurs priorités absolues. Sur tous ces sujets, ils indiquent majoritairement que le Parti démocrate semble mieux répondre à leurs inquiétudes.

L’administration Biden l’a bien compris qui, dès l’automne 2023, a lancé une vaste campagne de séduction, rappelant les mesures générales prises dans le cadre de sa politique socio-économique (Bidenomics), dont les Hispaniques ont pu profiter.

La création de 13,5 millions d’emplois – dont 4 millions occupés par des Latinos –, l’aide à l’ouverture de petites entreprises, ainsi que l’augmentation du nombre d’Hispaniques ayant accès à l’assurance santé contribuent toutes à l’amélioration du niveau de vie de la minorité. Le ministre de la Santé, Xavier Becerra, tout comme la secrétaire d’État au petit commerce, Isabella Casillas Guzman, sont d’ailleurs des Hispaniques, témoignant du choix politique de ces nominations.

Les jeunes – électeurs ou futurs électeurs – ont également bénéficié d’aides à l’éducation, d’investissements dans les établissements qu’ils fréquentent majoritairement, et de bourses. Enfin, les électeurs hispaniques soutiennent massivement le droit à l’avortement, dont le Parti démocrate s’est fait l’ardent défenseur. Toutefois, la bonne santé économique du pays ne se perçoit guère au quotidien : l’inflation et le coût du logement suscitent des critiques et un certain mécontentement à l’égard des Démocrates.

Un intérêt moins marqué pour la question de l’immigration

Curieusement, alors que les deux partis se déchirent violemment sur la question migratoire et la gestion des flux à la frontière avec le Mexique, et que le Parti républicain ne lésine pas sur les moyens pour attaquer ce qu’il juge être l’immobilisme présidentiel face aux flots d’immigrants à la frontière (recours en justice, transport de migrants dans des municipalités démocrates, campagnes dans les médias et sur les réseaux sociaux…), ce sujet, toujours sensible pour l’électorat hispanique, semble moins important en 2023-2024 que par le passé, éclipsé par les soucis de la vie quotidienne.

Interrogés sur la question migratoire, les sondés d’UnidosUS accordent largement leur priorité à l’obtention de la nationalité américaine, à terme, pour les immigrants entrés aux États-Unis enfants et illégalement. Il apparaît ainsi que le projet de loi DREAM Act de 2001, constamment rejeté au Congrès chaque fois qu’il a été présenté, et qu’Obama avait tenté d’imposer par une mesure exécutive temporaire (DACA), demeure la principale priorité des Hispaniques sur ce sujet, avec ce même chemin vers la naturalisation pour les immigrants irréguliers vivant depuis longtemps aux États-Unis.

Le renforcement de la sécurité à la frontière, ou bien la finalisation du mur, apparaissent comme beaucoup moins importants. Tout programme massif d’expulsions est largement rejeté. En d’autres termes, les violents débats politiciens sur les mesures prises – ou non prises – par l’administration Biden à propos des flux migratoires récents, en forte augmentation depuis l’accession au pouvoir du Démocrate, ne semblent pas avoir d’impact significatif sur la minorité dans son ensemble.

Pour autant, elle ne saurait rester insensible à une question qui fait régulièrement la une de la presse. 28 % des adultes hispaniques (électeurs ou ne possédant pas encore la nationalité américaine) indiquent d’ailleurs suivre régulièrement les informations concernant la frontière, ce qui signifie en creux que, pour une vaste majorité, ce n’est pas une préoccupation quotidienne. Plus indulgents que la population catégorisée comme blanche par le recensement, mais plus sévères que les Afro-Américains, ils estiment dans un sondage conduit par le Pew Research Center en janvier 2024 que le grand nombre de migrants tentant de franchir la frontière mexicano-américaine est une véritable crise (38 %) ; la même proportion répondent qu’il s’agit simplement d’un « problème majeur » ; 74 % trouvent que le gouvernement américain gère mal ou très mal la question ; et 47 % considèrent que la situation migratoire à la frontière génère davantage de criminalité.

Joe Biden dans l’embarras

L’administration Biden dispose d’une marge de manœuvre très étroite sur la question migratoire. Alors que le Parti républicain présente aujourd’hui une position peu ou prou unifiée sur le rejet des flux migratoires illégaux, le président se trouve pris en tenaille entre, d’une part, l’aile gauche de son parti, les élus latinos démocrates, ainsi que les associations des droits de l’homme et des droits civiques qui prônent une vigoureuse politique d’accueil et un mécanisme permettant, à terme, une naturalisation de certains immigrés irréguliers ; et d’autre part ceux qui considèrent que cet afflux massif de migrants a des retentissements négatifs sur les collectivités qui les accueillent, à la frontière ou ailleurs dans le pays.

Tout cela se déroule sur fond de manque criant de juges et d’agents fédéraux à la frontière et dans les services de l’immigration. Des recrutements ont eu lieu mais après les coupes opérées par l’administration précédente, le processus prend du temps et nécessite des fonds que le Congrès refuse d’octroyer.

S’y ajoutent des procédures judiciaires incessantes de la part des Républicains, ce qui bloque l’application de nombreuses décisions, le blocage du Congrès – et notamment de la Chambre des Représentants – sur la vaste réforme du système migratoire dont George W. Bush comme Barack Obama disaient déjà qu’il ne fonctionnait plus, et les mesures autoritaires prises par certains gouverneurs républicains.

Ainsi, les gouverneurs du Texas ou de Floride notamment expédient les migrants vers les villes du Nord et le Texas, va jusqu’à prendre le contrôle d’une partie de la frontière, aux dépens de la Border Patrol qui relève du gouvernement fédéral, dans un bras de fer entre État fédéré et autorités fédérales sans précédent depuis le XIXe siècle.

En outre, la volonté des Républicains du Congrès de contraindre l’administration à des mesures coercitives à la frontière en échange d’un accord sur l’aide à l’Ukraine place le président Biden dans une position intenable. Il dispose de très peu d’options, toutes les mesures nécessitant, pour leur mise en œuvre, des moyens financiers et humains que le Congrès ne lui accorde pas, ou bien un accord avec le Mexique pour revenir à la politique trumpienne de maintien des migrants de l’autre côté de la frontière, accord que Mexico ne semble pas disposé à renouveler.

Tout juste a-t-il pu augmenter le nombre de réponses favorables aux demandes d’asile et accorder aux immigrés vénézuéliens en situation irrégulière le droit de travailler temporairement aux États-Unis, en vertu du programme Temporary Protected Status, mis en place dès 1990 pour les ressortissants de pays ravagés par la violence ou des catastrophes naturelles.

Un peu probable revirement en faveur de Donald Trump

C’est justement parce que la question migratoire est devenue un casse-tête insoluble et que les électeurs hispaniques, qui vivent parfois aux États-Unis depuis plusieurs générations, s’intéressent également à d’autres sujets, qui les concernent au quotidien, que le président Biden met l’accent sur sa politique sociale et économique, espérant conserver leurs faveurs lors de l’élection de novembre prochain.

En dépit des annonces tonitruantes de la presse et des think tanks conservateurs, il n’est pas certain que les électeurs hispaniques, même déçus, rallient majoritairement le camp républicain lors de la prochaine élection présidentielle. Le danger pour Biden, en revanche, serait un faible taux de participation de leur part.

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