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Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, et le premier ministre Justin Trudeau se font leurs adieux à la base aérienne de la 4e escadre de Cold Lake (Alberta), en août 2022, à l’issue d’une visite de M. Stoltenberg. La Presse canadienne/Jason Franson

Justin Trudeau et l’OTAN : Le problème de la défense canadienne n’est pas une question d’argent, mais de culture

Dans une lettre ouverte, 61 personnalités canadiennes à la retraite ayant œuvré dans le domaine de la sécurité ont récemment exhorté le Canada à respecter son engagement envers l’OTAN de consacrer 2 % de son PIB aux dépenses militaires. Cette lettre a rapidement été suivie par un article du Washington Post où l’on révélait que le Canada n’atteindrait jamais cet objectif.

Le premier ministre Justin Trudeau aurait admis ce fait à des responsables de l’OTAN, selon des dossiers classifiés qui font partie d’une fuite du réseau social Discord.

Cela illustre la crise au ralenti qui touche la politique de défense et de sécurité du Canada. Le pays a longtemps cherché à masquer son incapacité à atteindre les objectifs de l’OTAN par l’excellence de son personnel militaire et une série d’engagements opérationnels au fil des ans, où il a souvent assumé un rôle de leadership.

Ces actions ont occulté la dégradation de l’organisation interne liée au vieillissement des équipements et à l’affaiblissement du niveau de préparation aux conflits militaires.


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Demandes adressées au Canada

Les révélations du Washington Post ont suscité des appels pour que le Canada augmente ses dépenses et atteigne les objectifs qu’il s’est fixés en 2006 et de nouveau en 2014.

Il importe peu que le principe de dépenser 2 % du PIB constitue une norme artificielle qui n’a aucun sens du point de vue de la capacité de défense – et qui est manipulée avec cynisme par tous les acteurs en termes de ce qu’on choisit de comptabiliser. L’OTAN s’est mise d’accord sur cette base, le Canada s’est engagé à la respecter et nos alliés nous observent.

Cependant, aussi important que soit l’argent pour l’état général des Forces armées canadiennes (FAC), ce n’est pas le véritable problème qui affecte notre défense. Il s’agit plutôt d’une combinaison de facteurs qui gravitent autour d’une question de culture.

1. Une affaire de culture

Les FAC sont actuellement en sous-effectif d’environ 16 000 personnes sur un total de 101 500 postes autorisés.

Une grande partie du personnel manquant se situe au niveau des cadres intermédiaires. Il y a eu un exode de personnel qualifié après des années de leadership et de gestion médiocres, de déploiements opérationnels intensifs successifs et de perturbations familiales constantes, le tout dans un environnement où le Canadien moyen n’a aucune idée ou ne se préoccupe pas des sacrifices consentis par les membres des forces armées.

Les exigences souvent sévères de la vie militaire et les révélations d’inconduite sexuelle dissuadent de nombreux jeunes Canadiens de s’enrôler.

Le manque de personnel a également entraîné une réduction des effectifs disponibles pour gérer les programmes en cours, ce qui signifie qu’en dépit des récentes hausses des fonds alloués à la défense, des milliards de dollars ne sont pas utilisés.

Des soldats sont vus avec le drapeau canadien cousu sur leurs vestes camouflées
Les Forces armées canadiennes sont confrontées à une grave pénurie de personnel. La Presse canadienne/Jeff McIntosh

2. Absence de réflexion stratégique

La fonction publique fait également partie du problème, car elle n’a pas l’expérience requise pour comprendre l’interaction entre la guerre et la diplomatie.

Peu de fonctionnaires en dehors du ministère de la Défense nationale (MDN) saisissent les enjeux de la guerre et ils ont rarement l’occasion d’acquérir ces connaissances. Compte tenu de la nécessité de passer d’un ministère à l’autre pour progresser dans leur carrière, certains fonctionnaires du ministère de la Défense nationale n’ont pas non plus de vision globale de la question.

Le Collège des Forces canadiennes, où j’enseigne les études de la défense, forme chaque année environ dix hauts fonctionnaires dans le cadre de son programme de sécurité nationale, mais la fonction publique ne s’occupe pas ensuite de leur « gestion de carrière ».

Cela signifie que lorsqu’ils reprennent leur travail, leurs responsabilités n’ont souvent que peu à voir avec la formation qu’ils viennent de recevoir.

3. Complaisance des Canadiens

Mais le plus grand défi pour la défense du Canada vient peut-être des Canadiens eux-mêmes. L’étendue géographique et l’éloignement de notre pays ont longtemps donné à ses citoyens le sentiment que peu de menaces militaires pesaient sur eux.

Une photo en noir et blanc montre deux hommes, dont l’un porte une barbe blanche, en tenue militaire
Le premier ministre Mackenzie King, à gauche, et le sénateur Raoul Dandurand à Ottawa lors d’une visite royale en 1939. (PC PHOTO via Archives nationales)

C’est le sénateur Raoul Dandurand qui a le mieux exprimé cette idée lorsqu’il a déclaré en 1924 que le Canada est « une maison à l’épreuve du feu, loin des matières inflammables ».

En 1875 déjà, un homme politique déclarait : « … dans la situation où nous nous trouvons, où nous ne risquons pas d’être impliqués dans une guerre et où nos ressources sont largement sollicitées pour des améliorations publiques, il est hautement souhaitable que nos affaires militaires soient gérées de la manière la moins onéreuse possible. »

L’attitude du Canada à l’égard de la défense s’inscrit dans une longue histoire fermement ancrée dans les réalités géopolitiques d’un continent dominé par seulement trois États amis – dont l’un est une superpuissance – dotés de riches ressources naturelles et séparés du reste du monde par trois immenses océans.

Les politiciens canadiens s’inspirent de l’opinion publique qui demeure plus préoccupée par les questions intérieures d’inflation, de soins de santé et d’éducation que par la défense.

Ce n’est toutefois pas en augmentant les dépenses de défense que l’on résoudra les trois problèmes mentionnés ci-haut.

Ce n’est pas un enjeu

La complaisance canadienne garantit en effet que l’aveu du premier ministre à nos alliés ne le hantera pas vraiment sur le plan intérieur, au-delà de quelques jours de mauvaises nouvelles. Il est également peu probable qu’il s’agisse d’un enjeu électoral.

Et si les conservateurs succèdent à ce gouvernement, ils ne feront sans doute rien de différent – la résolution de ces problèmes ne rapporte tout simplement pas sur le plan de la politique intérieure.

Le Canada court toutefois d’énormes risques politiques sur le plan international s’il poursuit dans cette voie. Son image en prendra un sérieux coup auprès de ses alliés les plus proches.

Bien que l’administration du président américain Joe Biden soit beaucoup plus diplomatique que celle de son prédécesseur sur cette question, il est évident que les États-Unis ne considèrent plus que le Canada se soucie réellement de son rôle et de ses engagements internationaux et qu’ils ont commencé à nous mettre à l’écart.

Le fait que les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie n’ont pas inclus le Canada dans les discussions sur l’accord trilatéral AUKUS avant sa signature en est une preuve éclatante. Dans un contexte de tensions internationales croissantes, s’aliéner ceux avec qui nous devons travailler ne constitue pas une bonne stratégie.

La population canadienne a été consternée par la fragilité de son système de santé lorsqu’il a été soumis aux pressions de la pandémie de Covid-19. Nos forces armées subissent le même genre de pression, et nous ne pouvons pas simplement supposer qu’elles seront prêtes à relever les défis du nouvel ordre mondial.

Le sous-investissement du Canada dans sa sécurité est justifié par des considérations culturelles qu’on ne peut écarter facilement. Malheureusement, parfois, il faut une catastrophe majeure pour comprendre qu’il est essentiel de s’occuper de certains enjeux.

This article was originally published in English

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